Exhumation - 1

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L’extase s’éteint en même temps que ma poitrine explose.

Le choc me fait ouvrir les yeux.

— Bonjour, prenez le temps de reprendre vos esprits. Restez couché le temps qu’un examinateur vienne prélever l’appareil…

Cette voix d'abstract, toujours la même. Rien d’humain, elle venait même pas d’un enregistrement. C’était de la toute bonne simulation de sollicitude, soi-disant. Moi, je la trouvais condescendante. J’voulais soupirer, sortir tout l’oxygène de mon corps, pour souffler toute la frustration. J’aurais dû faire autrement, j’aurais pu m’en sortir !

Je fis ni une ni deux, au diable leurs consignes robotiques, fallait que j’me bouge de ce siège, j’en pouvais plus. J’extirpe le casque de ma caboche, j’ai toujours l’impression d’enlever mon cerveau, ils sont connectés, si ça se trouve j’emporte des neurones dans la foulée.

Vertige. Ma tête tourne toujours quand j’reviens, normal. Mais j'me redresse quand même, j'ai de l'urgence dans les pieds. Faut bouger.

J’titube sur le chemin de la sortie, au passage je croise l’examinateur prévu, un bonhomme l’air fatigué qui m’articule mollement que je n’aurais pas dû sortir de mon alcôve, mais il y croit même pas, il le dit machinalement. Ensuite, c'est la nausée qui vient me faire ses salutations, j'la refoule comme je peux, c'est l'invitée qui n'est jamais bienvenue ! J'la garderai loin jusqu'à ce qu'elle défonce la porte de mon estomac. Mais elle n'y arrivera pas de toute façon.

Je sais que j'étais pas censé sortir d’un coup, surtout après la décharge qui m’avait ramené à la vie. Le corps, ce fénéant, devait récupérer. Mais j’voulais retrouver les autres et vite.

Je rentre dans la salle d'attente du débrief, il y a pas mal de monde vu le nombre de morts, mais j’m’attendais pas à ça. La simulation avait éjecté un paquet de gens.

— Alors ? T’es arrivé quoi ? J’m’attendais pas à te voir ! me lance la délicieuse Harmo. T’as chopé une flèche ? Tête tranchée, ou plus croustillant ?

— Ta gueule, Harmo, je suis pas d’humeur, tu passes bientôt ? J’peux venir dans ton groupe ?

— Avec plaisir mon lapin, me sourit-elle de ses dents légèrement de travers.

Harmonie, elle portait mal son nom. L’aurait pu autant s’appeler Dysharmonie tant elle était pas cohérente. Harmo, c’était une petite bonne femme frêle, la voix douce, mais qui avait la tendresse d’un grizzli et était capable de te clouer au sol en moins de deux. D’ailleurs, dans la simu, il n’y avait pas plus heureuse qu’elle quand elle pouvait incarner des armoires de trois mètres de haut. Ça l’excitait, l’Harmo, de devenir un bourrin indégommable. Enfin, pas si forte que ça, puisqu'elle était ici.

— T’était qui, cette fois ?

Elle sourit, affalée sur son siège, jambes écartées.

— Un crade. Un qui passait ses journées entières à la forge, suant comme pas deux. J’te jure, j’sentais le liquide couler sur chaque centimètres de son corps. Il se lavait jamais. D’ailleurs, t’as vu ? Enfin non… (elle hésita) t’as senti, l’odeur est apparue. C’est dingue.

— Ouais, d’ailleurs je suis pas sûr que ça me plait, c’est de trop, surtout vu l’époque.

— Ah oui ! Et mon forgeron, lui, il aimait sentir sa propre sueur. Sentir sa virilité ! Dégueu, mais au fond ça m’a pas trop déplu.

— T’aurais dû être un mec, Harmo, j’te l’ai déjà dit ?

— Tu passes ta vie à me le dire, mais franchement, dit-elle en indiquant mon entrejambe. Tu crois pas qu’il faut être une meuf pour vraiment apprécier d’avoir c’t’affaire là entre les jambes ?

— J’devrais peut-être demander d’incarner une femme la prochaine fois, j’pourrais en profiter, non ?

— Mais oui, vieux cochon ! Mais Elle accepte pas tout, ses voix sont impénétrables, comme les miennes ! Claqua-t-elle, hilare.

— Tu parles toujours de la simulation comme si c’était une personne, répondis-je sans la suivre. Tu fais comme ces tendres qui aiment l’appeler Artie et qui lui prête des intentions, mais c’est juste un émulateur, faut pas l’oublier.

Harmonie se pencha en avant. Elle était la preuve vivante de l’influence de la simu sur nos existences. On changeait de forme à son contact. Même notre caractère s’infléchissait, on devenait des brutes, des moyen-ageux, un peu bas de plafond. Quel destin pour des gens qui au départ étaient brillants, Artie — tant qu'à la personnifier — nous abrutissait à petit feu. Si ça se trouve Harmo était féminine avant de tomber dans les griffes de la bête.

— Ecoute. Artie, elle est consciente ; ils le disent suffisement. Peut-être pas le genre de conscience que ce qui se trame dans ta caboche toute molle, mais elle sait, elle fait des choix. Tu vois qu'elle a ses chouchous, qui ont toujours les bons rôles. Ils disent quoi encore, les autres ? Contigeance ? Hasard. Mon cul ! Elle choisit précautionneusement, Artie. Elle cogite. Tu diras ce que tu veux !

Arun, l'air exaspéré, vint s'installer entre nous.

— Naif ! C'est typiquement la vision naive qu'il faut justement rejeter, nous interrompit-il, irrité. L'IAGQ n'est pas consciente, elle ne choisit pas ! Elle répond, elle organise. C'est un opérateur d'une efficacité sublime ! Pas une nounou qui couve les uns et punis les autres !

— Ah, Arun, toi tu vas pouvoir m’aider ! l'accrochais-je tant que j'l'avais sous la main, c'était lui que je cherchais.

Ce gars là, c'était une tête, un bien implanté dans le monde réel. Il arrivait à résister à la lobotomie progressive de nos sorties outre-temps. Chez lui, ça théorisait à tout va, c'était celui qu'il me fallait.

— J'écoute, mais le débriefing va commençer, si tu veux on se retrouve après ?

Il lança une sorte de demi-regard hasardeux à Harmo, genre qu'il regrettait d'avoir proposé une sortie devant elle, en supposant qu'elle voudrait surement se joindre à nous, mais qu'il n'oserait jamais l'envoyer bouler. La brutasse n'hésita pas une seconde.

— On ira où ?

— On verra après le débriefing, Harmo, répondit-il, crispé.

Leur relation était bizarre depuis quelques temps. J'me l'expliquais pas. Je fantasmais qu'ils avaient couché ensemble, mais les dortoirs rendaient l'affaire compliquée — pas impossible — mais vraiment très compliquée (sauf quand on acceptait d'être entourrés par quelques voyeurs patentés).

— Dans la bataille, j'ai vu quelque-chose d'étrange. Un abstract très peu définit, une anomalie...

— Il y a souvent des bugs pour l'instant, dit Arun, rassurant, tout en regardant Harmo en coin. T'imagine pas la quantité de données que l'IA manie en parallèle, surtout depuis qu'elle a ajouté l'odeur.

Une voix féminine — encore une abstract — interrompit ma réponse. Elle indiqua à notre groupe de passer dans la salle de débriefing numéro dix. Evidement, avec des intervenants immatériels de ce genre, il n'était pas si étonnant de penser qu'Artie c'était ce "quelqu'un" à la voix douce qui berçait nos journées.

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