Dream

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“Hé là ! T’es dingue !”

La gifle est retentissante. Un claquement sec se répercutant entre les arbres, parmi les échos graveleux de la sauterie voisine. Main plaquée sur sa joue en feu, José le regarde hébété. Ou plutôt, fixe un point par-dessus son épaule.

Il se retourne et se retrouve nez à nez avec son reflet passé. Un imposteur torché au spritz, éclairé par le fragile lampadaire du parking, qu’il a bien du mal à accepter. Il avait certainement pris son pied cette nuit-là, mais faisait vraiment peine à voir. Caricature de son esprit en bout de course, fringué comme un as de pique d’un bermuda tâché d’huile, d’un sweat informe et le cou ficelé d’un stetson rose pétant.

La dignité s’était faite la malle. José, son partenaire de bouteille et riche héritier népotique, télescopait aussi tous les vices du genre humain. Ce couillon avait tenté l’amour-libre avec tous ses invités, offrant ses miches et celles de sa copine aux mains lubriques des pochards, sur fond de zouk.

Lui-même se souvient, dégoûté, de s’être laissé aller dans la bacchanale, avant de plier bagage, lorsque son “ami”, plus gris qu’un Polonais, avait tenté le ballet des abeilles jusqu’au parking. D’où la tarte en pleine face.

Un long moment, ils étaient restés là à se défesser d’un regard de dorade. Enfin, il avait tourné les talons et planté José, qui, à son tour s’était détourné sans mot dire. Troquant la bringue pour le confort sommaire de sa vieille Ford Fiesta, il se souvient maintenant de la fille. Une andalouse aux cheveux cendrés, un brin rugueuse, initialement embarquée vers la plus proche bourgade, mais qui se révéla grande pécheresse devant l’Éternel.

Enfin la mémoire revient. Par la tendresse des liqueurs, son esprit assoupi dans les ténèbres, revient par les songes humides, faire renaître ses souvenirs embrumés. Enchaîné à ces derniers, le voilà désormais assis sur la banquette arrière, à contempler, impuissant, la passade lourdingue de son double onirique.

“Ce n’est pas celle que tu recherches évidemment, Lucas.” susurre une voix onctueuse à son oreille.

Il hoche la tête, mais ne la tourne pas. Ce n’est qu’un tour de passe-passe de son esprit, une escroquerie de son imagination. Il devine déjà la silhouette courbée, installée sur sa gauche. L’esquisse du croque-mitaine d’un vieux projet pour enfant, composé six ans plus tôt. Une ombre burlesque pourchassant quelques jocrisses d’un hameau à double consonne. Avatar des doutes et de la jovialité du passé retrouvé.

Plus pour très longtemps.

La Ford fut surprise par la nappe de brouillard, passage inopinée d’une masse d’air au-dessus de la côte atlantique. Son doppelgänger manqua de percuter un pin. Sa passagère laissa échapper un glapissement, pour mieux encenser la bravoure de son conducteur éméché. Lui-même. La honte lui fronce le nez, alors qu’il observe langues et regards se lier en une dangereuse étreinte baveuse aux abords d’un ravin pélagique.

Et finalement, elle est là. Comme élue par la brume, Alice surgit de sa voilure, les bras agités dans la nuit froide. Sa Alice, personnage à la croisée des mondes, que les vapeurs de l’alcool avaient longtemps croqué en caractères gras après un songe poisseux. Il ne sait même pas si c’est son prénom, ni quel est son nom. Il n’aura plus jamais l’occasion de lui poser la question.

Il se rappelle maintenant. De tout. La surprise et l’effroi qui frappa d’abord son esprit lorsque ses yeux saphir avaient croisé les siens. Les cris intemporels mêlés à ceux des freins. Le vacarme du verre brisé, barbouillé de raisiné, rendu noir et visqueux dans l’obscurité.

Pas de choc, rien qu’un rebond discret et un visage d’ange caricaturé par le bécot du pare-choc. Il n’avait même pas pu s’offrir le luxe de s’arrêter, d’embrasser le corps fracturé, inerte. Non…

La Ford avait tourné et dérapé dans un concert de hurlements, ricoché contre le garde-fou. Le pare-brise avait cédé, l’andalouse s’était envolée, engloutie dans la brume. Un vacarme de tôle tordue, fracassée par la roche et le béton.

Et puis, la paix… L’étreinte glaciale des eaux noires sous les reflets sélénites.

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