Ne lâche pas ma main

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Ambre attrape ma main. Nous passons la grille noire du cimetière abîmée par le temps.

Aussi abîmée que mon âme.

Des gouttes d’eau taries glissent sur la peinture écaillée.

Aussi écaillée que mon cœur.

Dans quelques jours, je prends un nouveau départ dans une école d'art. Tu devrais être avec moi. M'aider à préparer mes affaires, me rassurer.

Je n’ai jamais mis les pieds ici et j’aurais aimé ne jamais avoir à y aller. C'est de ta faute si je suis là.

Maman.

Tu m’as menti.

Tu as dit que tu resterais toujours avec moi.

Même si je perdais un match de tennis. Même si j’avais une mauvaise note. Même si je n’écrivais plus.

J’ai arrêté le tennis. Mes notes sont en chute libre. Je n’ai plus d’inspiration.

Pourtant, tu n’es pas là.

Tu as dit que tu serais là pour me protéger de tout. Que tu m’apprendrais à conduire. Que tu m’emmènerais au cinéma pour mes 18 ans.

Je suis seul contre tous. Je ne sais toujours pas conduire. J’ai eu 18 ans la semaine dernière.

Maman.

Tu m’as menti.

Tu as lâché ma main alors que je tenais la tienne fortement.

Tu m’as toujours dit que tu ne m’abandonnerais pas. Que tu ne me laisserais pas seul avec Papa et Théo.

Papa est en prison, Théo s’est envolé. Il est allongé à tes côtés dans un corps de petit garçon qui ne grandira plus jamais.

Je ne comprends pas.

Je ne comprends pas pourquoi je ne peux m’empêcher de t’aimer à la folie. Je te dessine. Tous les jours. Je retrace la courbe de ta mâchoire, je reproduis tes longs cils et tes cheveux interminables. La tristesse de tes yeux et ton faux sourire.

Ce sourire que je déteste. Celui que tu me servais chaque matin. Je te demandais toujours si tu allais bien. Par politesse ? Par automatisme ? Je ne sais pas.

Mais comme tu me répondais « oui » tous les jours, je suis désolé de ne pas avoir entendu le « non » qui s’y cachait.

Si tu savais à quel point tu m’as fait du mal.

Tu es égoïste.

Égoïste de m’avoir laissé seul. Seul face à toutes ces ombres qui dansent autour de moi et qui me narguent jours et nuits.

J’ai finalement pris du recul.

Sur ta vie.

Sur ma vie.

Sur la nôtre.

Ton absence ne me pèse plus. J’ai fait mon deuil.

C'est faux.

Ton visage manque à mes yeux. Tes bras manquent à mon corps. Ton sourire manque à mon cœur. Tes mains manquent à ma peau.

Tu me manque tellement

Bien plus que d’entendement.

Tu avais le plus beau prénom du monde.

Mais si tu savais le comble de cette histoire. J’ai rencontré quelqu’un. Elle s’appelle Ambre.

Comme toi.

Elle éclaire la nuit sans étoiles qu’est devenue ma vie. Elle est descendue au fond du gouffre dans lequel j’étais recroquevillé. Dans lequel je pleurais tous les soirs lorsque ma peau abîmée était happée par les ténèbres. Elle est venu à moi et a tendu sa main. Je compare souvent mon existence à une fleur fanée. Une fleur que les gens ne regardent pas. Qu’ils écrasent sans s’en rendre compte. Pourtant, elle, elle a cueilli cette fleur et l’a replantée au creux de son cœur. Elle l’a réchauffée en lui soufflant des poèmes. Elle l’a arrosée de ses larmes et l’a protégée corps et âme.

J’avais peur. Peur de ne plus être seul finalement. Peur de m’attacher à quelqu’un qui me laisserait tomber. Comme toi tu l'as fait.

Mais il y avait cette part de moi qui me soufflait que ce n’était pas un hasard. Que d’une certaine manière, tu vivrais en elle.

Alors j’ai attrapé sa main.

Elle m’accompagne tous les jours. Elle est allé me chercher au fond du lac gelé dans lequel j’avais plongé.

C'est grâce à elle si je suis ici aujourd’hui. Elle a insisté pour que je vienne te dire au revoir.

Sa main serre fort la mienne.

Elle est là où tu aurais dû être.

Si tu savais comme je te hais. Je te hais pour tellement de raisons. Pour tous tes mensonges et tes cachoteries. Je te hais pour avoir baissé les bras. Je te hais pour t’être laissé dépérir sous mes yeux. Parce que à cause de toi, la dernière image que j’ai de ma mère est celle d’un fantôme. Un fantôme qui erre dans une maison occupée par un monstre. Un monstre qui t’a fait du mal autant qu’il m’en a fait après ton départ. Je te hais pour avoir décidé d’en finir dans ma propre chambre. Dans laquelle je dors tous les soirs et dans laquelle je revis cette soirée durant mes nuits.

Je te hais pour ne pas être là lorsque je me réveille en sursaut, apeuré et tremblant. Je te hais parce que tu ne réponds pas quand je t’appelle. Parce que tu ne réponds plus quand je t’appelle.

Mais, on dit qu’il n’y a qu’un pas entre la haine et l’amour.

Si tu savais comme je t’aime. Je t’aime pour m’avoir mis au monde. Pour m’avoir accompagné à mon premier jour de classe. Je t’aime pour m’avoir emmené à mes cours de piano. Pour m’avoir soufflé des mots doux lorsque ça n’allait pas. Je t’aime pour avoir partagé 15 ans de ta vie avec moi. Je t’aime pour tous ces soirs où tu m’as raconté des histoires passionnantes. Pour avoir joué avec moi à tous ces jeux stupides que j’inventais. Je t’aime parce que tu es ma mère. Mais je t’aime surtout parce que tu es Maman.

Je n’ai pas apporté de fleurs. Je sais que tu n’aimes pas ça. Alors je te laisse mes dessins.

Au fil du temps, ils seront sans doute dégradés par la pluie. Ils s’envoleront à cause du vent. Ou peut-être qu’un inconnu va les prendre. Mais ce qui compte, c'est que je ne les garde plus. Qu’ils soient à toi maintenant. Qu’ils restent ne serait-ce que quelques secondes sur cette pierre et que tu les sentes tout près de toi.

Et c'est dans seulement une semaine que j'entre à l'Université. Sans ma mère pour être à mes côtés.

Mais je ne t'en veux pas. Je ne t'en veux pas parce que je t'ai pardonnée.

Ambre pose sa tête sur mon épaule. Elle ne parle pas. Elle sait que j’aime le silence. Pourtant, cette fois-ci, c'est moi qui le rompt par un murmure à peine perceptible :

- Ne lâche pas ma main.

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