Homecoming

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" Je caresse la chambre des yeux

Le lit, les tapis et les murs bleus

Tout ce qui t’enfermera

Ce soir quand tu seras là… " [4]

Je ne t’ai jamais rendu les clés de chez toi.

Parce que j’ai toujours considéré que c’était un peu chez moi, un peu chez nous.

Malgré la désuétude du décor, presque Melvillien quand on y pense.


En arrivant, j’ai salué la vieille, sur le palier ; tu sais, celle qui brique toujours les escaliers qui débouchent devant sa porte - je n’ai jamais retenu son nom.

Elle n’a pas paru surprise de me voir et m’a même gratifié d’un sourire affable.

Elle croit peut-être qu’on s’est remis ensemble, comme ces couples qui se font et se défont en permanence.

Parce que tu dois sans doute le fréquenter en cachette, à l’abri des regards, chez lui ou dans une chambre d’hôtel.

A faire la pute avec cet autre, cet intrus que tu vas rejoindre dans son paddock pour te faire tringler comme une salope.

A moins que tu ne le fasses chez toi, à la tombée du jour.

Oh non, ne t’inquiète pas, je ne m’emporterai pas cette fois-ci, je resterai calme.

J’ai appris à me maîtriser, à encaisser depuis nous.

Depuis que je t’observe, que je ne suis plus dans ta vie.

J’ai appris la patience…

Tu n’as pas changé la serrure - quelle impudence !

Rien n’a changé d’ailleurs, tu as horreur du changement - excepté quand tu m’as remplacé moi.

Le tic-tac de l’antique réveil argenté m’accueille aussi fidèlement que l’aurait fait ton chat.

Celui que j’ai trucidé il y a quinze jours.

Juste comme ça, par envie, parce qu’il m’a toujours détesté.

Je sais que tu en as été affectée, mais il le fallait.

Oui, il faut bien que j’élimine un à un tous les obstacles qui m’empêchent de te reconquérir.

J’ai commencé par ta mère, puis cette saleté de chat, ce rival à poils que tu flattais de tes caresses.

Note que ça aurait pu être l’inverse, je n’avais pas vraiment de priorité.

La console en contre-plaqué patiné par le temps est toujours là elle aussi.

Tout comme le tapis persan ou ces lourds rideaux opaques que l’on tirait pour faire l’amour.

Mais ça, tu l’as probablement oublié.

Il est trois heures et demi, c’est ce qu’indiquent les aiguilles ; alors j’ai le temps de m’installer, de m’avachir dans le vieux fauteuil club, de mettre un vinyle jazzy sur la platine-disque, d’écouter le son rétro de ta stéréo en me servant un verre de whisky.

J’ai le temps de t’attendre.

J’ai le temps d’attendre que ton Boeing se pose à Roissy.

Tu te souviens de notre rencontre ?

C’était sur un vol Air France Paris-New York, il y a de cela dix-sept ans.

Dix-sept ans…

Tu étais alors toute jeune hôtesse de l’air, et moi en voyage d’affaires.

Tu m’as plu tout de suite, ton sourire, tes jambes interminables, tes seins…

On s’est marié trois mois plus tard, nuit de noces et lune de miel torrides.

Mais sans vivre ensemble.

Tu disais que vivre ensemble, c’était tuer l’amour à petit feu.

Tuer l’amour…

Et puis tes infidélités, du moins celles que je me figurais.

Ma jalousie excessive, cet enfant qui ne venait pas.

Mes coups de colère, homériques, la première gifle.

La seconde…

Mes impatiences, ton inconstance, la violence possessive de mon amour, ton dégoût.

Les fleurs, les parfums, les bijoux, tout ça n’a pas suffi à te retenir.

Et puis, ta lettre un matin, sur la table de la cuisine.

Cette lettre que j’ai relue avant de venir.

Tu n’as jamais répondu aux miennes, tu écourtais nos trop brèves conversations, mes coups de fil.

Et moi, j’en crevais.

J’en crevais, tu comprends ?

Quelqu’un a tourné la clé dans la serrure, tout à l’heure.

Je l’ai laissé entrer.

Il a semblé surpris de me voir dans ton salon.

Sûrement ton nouveau mec.

Il avait un bouquet à la main, une façon de se faire pardonner lui aussi ?

Il ne te baisera pas ce soir…

Pas que tu sois rancunière, non, il n’en aura simplement pas l’occasion.

Il n’a pas eu la décence de vider ailleurs son hémoglobine que sur ton beau tapis persan, ce con !

J’ai tiré les rideaux, finalement ; j’ai envie de faire l’amour.

Quand tu rentreras, je te ferai l’amour.

Longuement, comme à nos débuts, comme avant.

Et je te forcerai à jouir, ma chérie, à aimer ma façon de t’aimer.

Juste avant de mourir…

" La torpeur la plus douce me guette

Je prends la dernière cigarette

Et je m’endors en baignant

Dans ton sang … " [5]


[4] paroles extraites de la chanson Irrésistiblement, écrite Brigitte Fontaine, composée par Mathieu Chedid et interprétée par Vanessa Paradis

[5] idem

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