Tu es belle…

4 minutes de lecture

" Il me dit que je suis reine

Et pauvre de moi, j’y crois "

Il me dit que je suis belle

Paroles & musique : Sam Brewski alias Jean-Jacques Goldman

Interprète : Patricia Kaas

Tu es belle, mon amour, aussi belle que ce jour où je t’ai rencontrée au parc de Buisson Rond, à l’heure des premiers élagages de saison.

C’était au beau milieu de la roseraie, derrière le château de Boigne. Tu te mariais.

Entre tes doigts gantés de satin blanc, tu brandissais avec assurance et un certain dédain ce long fume-cigarette qui te donnait des faux-airs de garçonne.

J’ai succombé de suite. A ton dos nu, tes lèvres peintes et ton regard de biche ourlé de mascara. A ta silhouette sculptée dans une robe de créateur en organza.

— Toutes mes félicitations, Cyrielle, et au jeune marié bien sûr !

— Merci…

Tu égarais tes prunelles, radieuse, et t’attardas un instant sur moi.

— C’est qui, tu le connais ?

— Sans doute un pique-assiette…

Puis tu détournas la conversation sans en avoir l’air, sourire contrit et jacasseries de circonstance pour donner le change.

Nos yeux se croisèrent à nouveau un peu plus tard, et tu ouvris les hostilités.

— Pardonnez-moi, monsieur, mais je crains que nous n’ayons été présentés. Vous êtes ?

— Amoureux de vous…

Un grand éclat de rire.

— Non mais sérieusement…

— Je suis très sérieux, Cyrielle !

— Parce qu’en plus, vous connaissez mon prénom ?

Je ne répondis pas. Je laissai planer un silence gênant pour te contraindre à le briser. C’était ma technique, mon concept pour t’obliger à sortir de ta zone de confort, à te dévoiler.

— Écoutez, c’est une réception privée ici, et si vous ne faites pas partie des invités, je vous demanderai de quitter les lieux…

J’ignorai ta remarque, je voulais te déstabiliser, émotionnellement, que tu succombes.

— Vous aussi vous l’êtes ! Vous ne le savez pas encore, mais vous l’êtes…

— Quoi ? Bon ça suffit, votre petit jeu, vous allez me faire le plaisir de déguerpir sur-le-champ, vous m’entendez ?

— Amoureuse, je veux dire ! Amoureuse de moi… soufflai-je dans un soupir en baisant ta main de porcelaine, sitôt dévêtue.

— Non mais vous êtes complètement malade ! Et puis d’abord, lâchez-moi !

— Un problème, ma chérie ?

Ton bellâtre surgit de je ne sais où à ta rescousse, au moment le plus inopportun. Un grand con de séducteur, sans doute plein aux as mais au physique surfait, sans aucun charme.

— Non, je te remercie, ce monsieur s’apprêtait à s’en aller. N’est-ce pas, monsieur ? Monsieur ?

— Vous n’êtes pas encore prête, mais vous allez vite vous en rendre compte…

— Au revoir, monsieur, et bien le bonjour chez vous !

Tes paroles me cinglèrent, mais ton embarras était perceptible et ta fuite subite ne trompa personne. Surtout pas ton mari.

— Pas prête pour quoi ? Cyrielle, qu’est-ce qu’il veut dire ? Cyrielle !

Tu étais déjà trop loin de lui pour qu’il puisse encore t’atteindre.

— Répondez-moi, vous, elle n’est pas encore prête pour quoi ?

— Pour se rendre à l’évidence : elle n’est pas faite pour vous.

Un poing s’écrasa sur ma face et mon nez pissa le sang, mais je savais que j’avais gagné. Que j’avais semé le doute. Et que votre lune de miel ne durerait pas.

***

Tu es belle, mon amour, et nous en avons fait du chemin ensemble.

Du Cambodge à Bora-Bora, de Rio à Jakarta, on s’est aimés partout. Oui, nous nous aimions n’importe où, je me délectais de ta sève quand toi tu te sustentais de la mienne. Nous étions amoureux fous sous l’écume des nuages sombres que je n’ai pas vus venir.

Je te gardais captive, bien sûr, j’aurais donc dû savoir qu’un jour…

C’était lors de notre dernier séjour à Paris. Tu voulais te défaire de ces liens qui nous unissent. Tu essayais de t’enfuir, de tromper ma vigilance.

Qu’avais-tu découvert dans mes souvenirs ou mes fantasmes pour devenir aussi froide, aussi distante ?

J’aurais voulu te retenir, faire que notre amour dure encore, briser ce mur de séracs que tu avais désormais érigé entre nous, jusqu’à ne plus me laisser te toucher, mais rien n’y faisait.

Et puis la colère, cette nuit où j’ai tout envoyé valser dans la chambre, jusqu’à exploser le miroir de ton vanity-case, négligemment abandonné sur le secrétaire laqué. C’était ma façon à moi de te dire " reste ", un genre d’aphorisme pour t’exprimer tout ce qui débordait en moi, ce torrent d’émotions contradictoires qui me submergeait. Parce que tu es à moi, tu comprends ? Rien qu’à moi !

***

Tu es belle, mon amour. On ne voit presque plus les marques de mes mains sur ton cou.

Le fond de teint que tu appliquais sur ton visage a fait des miracles, il m’a été précieux.

Tu reposes sur la grande table en merisier de la salle à manger. Une nappe blanche et un coussin brodé.

J’ai fermé les volets et disposé de petits photophores dans tous les recoins de la pièce, lumière tamisée. Tu aimerais…

Tu aimerais cette ambiance intimiste, la pierre apparente et le feu de cheminée. Tu aimerais ce tête-à-tête, mon amour, tu aimerais être aimée.

***

Te voilà prête, ma princesse, ma reine, embaumée pour l’éternité.

Des larmes du Poison de Dior subliment ta fragrance, et puis cette robe rouge-rubis qui te va si bien au teint. Ta peau blanchâtre, laiteuse, tes lèvres glossées carmin.

Oui, tu es belle, mon amour, prête pour ton dernier voyage.

Celui que tu feras, post-mortem, avec moi.

Tu verras que désormais, ma reine, plus rien ne sous séparera.

Parce que je t’aime.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0