Chapitre 10

9 minutes de lecture

Je bondis dans ma chambre, exaltée à l’idée d’enfin arriver à Literla pour la première fois. Je remets rapidement toutes mes affaires, dans mes valises et sors de ma chambre, tous mes bagages à la main. Je n’avais même pas pris le temps de remarquer que Kaïs me suivait, j’étais trop heureuse d’enfin fouler une terre étrangère et de découvrir un peu plus les environs.

Nous amarrons sur le port et je descends la première du bateau, suivi de près par mon partenaire qui semblait vraiment moins enjoué que moi, surement parce qu’il était déjà venu ici et parce que je me comportais comme une enfant à sautiller de partout. Mais je ne pouvais pas m’empêcher d’exprimer le bonheur que je ressens à ce moment précis. Mon cœur bat à mile à l’heure, mes yeux courent partout autour de moi, de visage en visage, de maison en maison, de vitrine en vitrine.

Je me tourne vers Kaïs en gardant mon grand sourire d’enfant et remarque qu’il était en train de m’aider en prenant la grosse valise qui me pèse sur l’épaule. Son sourire est inexistant mais il essaye de se rendre serviable. Sans dire un mot, il commence à s’avancer dans la foule et je le suis en continuant de regarder autour de moi, m’éloignant petit à petit du bateau à voile. Les personnes ici ne sont pas vraiment différentes de celle de ma ville, les bâtiments non plus d’ailleurs mais moi je me sens différente. Je ne suis plus qu’une simple voyageuse dont personne ne fait attention, mais cette sensation ne me dérange pas du tout. Je ne suis personne ici et ça n’est pas plus mal.

Cependant, Kaïs se fond beaucoup moins dans le décor, les gens le regardent du coin de l’œil, lui rient au nez, marmonnent dans son dos et une forme de colère, mélangée avec de la pitié, m’envahie. Je ne saisis pas pourquoi ces personnes se permettent de le juger alors qu’il ne fait que passer et je comprends, à l’attitude qu’il dégage, qu’il est habitué à cette situation. Pourtant, j’aimerais qu’il s’indigne, qu’il réagisse, qu’il ne se laisse pas faire. Soudain, j’ai une idée. Moi, personne ne me juge ! Il est le seul centre de l’attention et porte ce poids seul.

Je décide de me mettre à son niveau et glisse timidement mes doigts dans les siens, ne manquant pas de rougir de plus belle. Il est très surpris de mon acte mais je n’ose pas lever les yeux et affronter son regard. Je préfère plutôt agir comme si tout était normal et fixer un point devant moi. Mais mon plan a marché, les personnes autour de nous ne parlent plus. Ils nous dévisagent mais nous sommes tous les deux dans la même situation, il ne supporte plus cela tout seul et c’est le plus important à mes yeux.

Nous continuons de marcher vers un hôtel pour poser nos affaires et une fois arrivés dans les couloirs de l’hôtel et que j’ai vérifié qu’il n’y avait plus personne autour de nous, nous nous lâchons la main en rougissant. Je rentre la première dans la chambre, pas encore prête à affronter ses grands yeux noisettes et me dirige vers la fenêtre qui donne sur une rue bondée de monde, remplie de bars et de boutiques les unes les plus classes que les autres. Les femmes sont si belles mais bien loin des grandes robes faramineuses de chez moi. Tout est plus élégant mais aussi plus simple à la fois. Mon admiration est vite coupée lorsque Kaïs vient se poser à côté de moi, dans un petit fauteuil. Je prends alors mon courage à deux mains et me tourne vers lui pour affronter sa possible colère.

- Pourquoi avez-vous fait ça ? Enfin, as-tu fait ça ? dit-il en se redressant dans le fauteuil.

- Parce que tous les regards étaient sur toi, répondis-je timidement.

- Et alors ? Je suis habitué tu sais, tout le monde me regarde toujours comme ça.

- Je ne trouve pas ça normal et je voulais pas que tu vives ça seul.

- Oh je t’en prie, épargne-moi ta pitié.

- Excuse-moi… Je pensais bien faire.

- C’est gentil mais je ne pense pas qu’être vu comme ça ensemble te plaise. Et moi non plus d’ailleurs, ne recommence plus jamais.

Je prends une grande inspiration, essayant de contrôler ma gêne et ma colère. Etre vu ensemble ne me dérange pas, d’autant plus que je n’ai pas à être quelqu’un en particulier ni même à prouver quoi que ce soit ici mais visiblement il me voie encore comme une bourge malgré nos efforts. Et manifestement je ne peux rien y faire, j’avais déjà essayé. Je baisse les yeux, ne continuant pas cette conversation et pars en direction de la salle de bain après avoir récupérer quelques affaires dans ma valise.

Je ferme la porte à clé et profite de cette longue douche pour me détendre un peu après cet échange qui m’avait beaucoup énervé, plus que ce que je ne veux l’avouer. Je ne ressens pas le dégoût qu’il semble croire, bien au contraire, je commence à l’apprécier malgré son côté glacial et son manque certain de tact. Je n’en ai rien à faire que les gens me jugent moi, qu’ils s’indignent devant notre alliance, tout ce que je veux c’est qu’il ne se sente pas seul, qu’il ne se laisse pas faire, qu’on ne le voit plus comme un pauvre, un moins que rien. Les regards que les autres portent sur lui sont purement méchants, remplis de déni et imaginer que ces expressions viennent de personne comme ma mère, comme les personnes qui l’entourent, me donne envie de vomir. Qui était le plus respectueux et respectable ? La noblesse qui juge ou les pauvres qui assument ?

Je sors de ma douche, propre mais sale de l’intérieur. Je m’entoure d’une serviette et me regarde dans le miroir rempli de bué. Je passe ma main pour y apercevoir mon visage, un visage si lisse, des joues si remplies alors que celle de mon partenaire sont si creuses et les traits si sombres. Pris d’un coup de sang, j’ouvre la porte de la salle de bain et sors, gardant bien ma serviette contre moi. Il faut que je dise à Kaïs qu’il n’est pas question qu’il croit ça. Celui-ci est en train de prendre quelques affaires dans son petit sac. Il lève les yeux vers moi, pendant que je le fixe, bien décidée à lui faire passer un message.

- Je ne suis pas d’accord ! m’exclamai-je.

- Pardon ?

- Je n’ai pas peur ou honte de marcher à ton niveau. Je me fiche de ce que les gens pensent de nous deux. Je me fiche qu’on nous juge, qu’on les répugne. Et je ne suis pas d’accord pour que tu subisses ça tout seul !

- Amélia, arrête.

- Non ! Tu ne comprends donc pas ? Ces gens étaient de ma… catégorie mais je refuse qu’ils continuent comme ça. Désormais, à chaque fois que quelqu’un te dévisagera comme ça, je prendrais ta main pour le faire taire, pour qu’il arrête ou alors que tu ne sois plus le seul à te faire juger. Il ne connaisse rien de toi ! Moi non plus d’ailleurs ! Mais maintenant que nous sommes ensembles, mon argent est ton argent. Tu n’es pas pauvre et je ne supporterais pas qu’on te juge comme tel. Tu as plus de valeur qu’ils n’en auront jamais. Ce sont eux que nous devrions juger pour leur manque de respect et non toi pour tes affaires ! Je ne suis pas d’accord !

Puis je me tais, reprenant mon souffle et le questionnant du regard. Il semble un peu abasourdi mais il ne peut pas me faire changer d’avis désormais.

- Tu as fini ? dit-il en haussant un sourcil, un léger sourire aux lèvres.

- Oui. Je… J’ai fini.

- Je peux prendre la salle de bain ?

- Euh… Je m’habille et oui tu pourras.

- Bien.

Je cligne plusieurs fois des yeux et secoue la tête, voyant qu’il ne compte pas répondre. Mais au moins le message est passé et c’est le plus important. Je retourne dans la salle de bain, m’habille d’une chemise et d’un pantalon marron et attache mes longs cheveux blonds rapidement, histoire ne de pas me prendre la tête avec cela. Je jette un dernier coup d’œil dans le miroir et laisse échapper un petit rire en repensant à ce qu’il venait de se passer. Il doit me prendre pour une folle mais tant pis. Je récupère mes anciens vêtements et retourne dans la chambre sans rien dire. Kaïs passe à côté de moi et s’enferme dans la salle de bain, silencieux.

A priori, il ne sait pas s’exprimer, ni à propos de ses ressentis, ni à propos de ses besoins. Je me demande bien ce qu’il se passe dans sa tête à l’heure actuelle. Est-il en train de regretter ? De se moquer de moi ? Se dit-il que je suis folle ? Je retourne devant la fenêtre et observe les gens passés, la ville. L’air est déjà plus frais ici grâce à la mer non loin. Soudain mon ventre se met à faire un son étrange, défiant tous les animaux encore existants sur cette Terre. Je ris légèrement en entendant ce bruit et me dirige vers le téléphone pour passer une commande. Je ne sais pas ce que monsieur veut mais je décide de nous faire plaisir avec des bons petits plats. Je saisis la carte et appelle pour demander le plus gourmant des plats.

Quelques minutes plus tard, le service passe et je prends le plateau pour le poser sur la petite table à manger. Je place les choses pour nous donner une impression que tout est normal alors que ça ne l’est absolument pas. Quand il sort de la salle de bain, je lui adresse un petit geste de la main pour lui dire de venir manger. Une bonne odeur imprègne la chambre et on se sent presque dans un restaurant. Il me regarde comme si je venais de lui offrir le plus beau des cadeaux et je lis presque de la reconnaissance dans ses yeux. Il s’installe à sa place en regardant le plat, toujours aussi silencieux, mais cette fois, ce silence est plus parlant que tout ce qu’il a pu dire auparavant.

- Je me suis permise de commander pour toi, j’espère que ça te plait. C’est ce qu’il faisait de meilleur selon moi.

- C’est parfait. Merci... Pour tout.

- Ce n’est rien.

- Non vraiment. Je ne sais pas pourquoi tu es aussi gentille avec moi mais je te remercie.

- Je ne suis pas gentille avec toi, je te traite comme mon égal.

- Je croirais presque tu m’apprécies.

- Mais c’est le cas ! Je n’ai absolument rien contre toi, tu es un homme serviable, gentil malgré ton air glacial. Je ne te connais pas encore mais tu me sembles être une bonne personne. »

- Oui… Tu ne me connais pas.

Et sur ces belles paroles, il refroidit de nouveau l’ambiance qui semblait enfin se détendre un peu. Je ne sais pas pourquoi il met autant de distance entre nous mais il ne veut vraiment pas vouloir créer quelques sortes de lien. Nous commençons à manger silencieusement avant qu’il reprenne la conversation.

- J’ai recommencé ?

- Pardon ? répondis-je en penchant la tête sur le côté.

- J’ai encore glacé l’ambiance.

- Un peu, annonçai-je en rigolant légèrement.

- Je ne voulais pas. Je ne voudrais juste pas que tu me prennes pour quelqu’un que je ne suis pas.

- Je ne demande qu’à te connaître.

- Je sais, oui. Et ça me dérange. (Il laissa un blanc avant de remarquer que sa phrase avait encore été désagréable). Parce que je n’ai pas l’habitude qu’on essaye de me connaître, et parce que je ne suis personne.

- Ne dis pas ça. Tu es quelqu’un. Tu es mon ami.

Il redresse les yeux vers moi, attendri par ce que je viens de dire, pendant quelques secondes avant de retrouver son expression dure et de recommencer à manger silencieusement, dégustant ce bon petit plat. Je viens surement de dire quelque chose de déplacer mais je ne suis plus à ça près de toute façon. Je mange à mon tour en prenant le temps de savourer et j’admire la vue de notre chambre en souriant légèrement, prête à sortir de nouveau dehors et de découvrir ce que cette ville avait à m’apporter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire annamartineau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0