Le navire a été quitté...

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Le navire a été quitté. Lâchement, nous nous sommes enfuis loin de lui. Nos blessures étaient trop douloureuses.

Tout avait commencé, une dizaine d’années plus tôt. Nous n’étions que des enfants et déjà, il avait commencé à le construire. Je le regardais, sans trop comprendre ce qu’il faisait. Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire, je n’avais jamais rencontré ce genre de projet auparavant. Je ne savais pas que moi aussi, je participais déjà à sa construction, quelques fois je lui apportais un outil, une branche, ou des petites décorations. Nous étions enfants, complices, c’était notre jeu.


Vint l’adolescence. « L’âge ingrat » prenait tout son sens. Il délaissait sa construction, petit à petit, tandis que je prenais le relais. Il me laissait le faire seule, alors que je n’y connaissais rien. Cette construction me semblait la plus importante du monde, je voulais lui montrer qu’il pouvait terminer ce qu’il avait commencé. J’y mettais tout mon cœur, en silence, je m’appliquais pour ne pas le décevoir. C’est alors qu’il m’annonçât une terrible nouvelle « j’ai construit un autre navire, celui-là ne me plaisait pas, il est impossible à terminer ». Trop tard, j’avais pris le relais trop tard.


Je me résolus à abandonner ce cher navire, que j’imaginais pourtant voguer sur toutes les mers, tous les océans, tous les fleuves avec simplement nous deux pour capitaines.


Le destin m’amena devant un autre navire à construire, j’en étais ravi. Mon nouvel acolyte m’aidait beaucoup, puisque je n’avais jamais été bonne en bricolage. Il m’apprit plein de choses sur la construction des bateaux. Nous l’avons terminé assez rapidement. Il était beau, charmant, fin et plein de subtilité mais mon nouvel ami et moi l’avions construit trop vite et sans réfléchir. Il n’était pas assez solide et ce n’est qu’une fois sur la mer que nous nous sommes rendu compte de sa fébrilité. Nous avons fait quelques pauses, quelques retouches mais finalement il coulât. Il coulât calmement, nous nous en sortîmes sans trop de heurts, chacun de notre côté.


Ce n’est qu’une fois que j’eus rejoint la rive, que mon ami d’enfance, me rappela à la tâche, il voulait reprendre la construction de l’ancien navire. Notre navire. Oui, il était déjà notre, bien avant qu’on ne se mette à travailler à deux dessus. On le savait, mais on ne se l’était jamais vraiment avoués.


Nous reprîmes donc l’affaire, et c’est avec grand plaisir que nous nous rendîmes compte que l’on avait beaucoup appris et grandi de nos autres constructions et voyages. Tout nous semblait simple, du moins plus simple qu’avec nos mains d’enfants. L’un s’occupait de ceci, l’autre de cela. L’un faisait ceci, l’autre faisait cela. Et nous avons mis beaucoup de temps à nous décider de prendre le large. Enfin, il mettait du temps à se décider, tantôt le navire avait une rayure, tantôt il lui manquait encore quelque chose. Cela m’exaspérait. Je parti un beau jour, le laissant seul avec notre navire en lui disant que plus jamais je ne voulais en entendre parler. Il me rappela trois jours plus tard « Je suis prêt, le bateau aussi, on y va ! ». Jamais une nouvelle ne me fit autant d’effet que celle-ci, tout était enfin prêt, je partais pour un nouveau voyage avec un superbe bateau et un ami capitaine digne de ce nom !


Mais la mer fut déchaînée, les vagues étaient hautes, violentes, elles nous prenaient sans prévenir. Notre bateau prenait de sacrés coups mais tenait bon, nous aussi. Les quelques coups que l’on se prenait était aussitôt soignés par l’autre. Quand le soleil, faisait apparition nous étions aux anges, tout nous paraissait possible, nous étions invincibles. Tout ce que nous avions mis en place pendant tout ce temps, tenait bon et nous rendait heureux. Cependant, bien que le bonheur que nous avions à voguer ensemble, l’océan que nous traversions était immense et terrifiant. Notre cher petit bateau commençait à avoir triste mine, nous fîmes une pause, puis une autre. Nous pensions avoir réparé assez solidement le bateau mais il prit des vagues encore plus grandes, encore plus hautes, encore plus fortes.

Et finalement ce n’était pas le bateau qui était le plus amoché, c’était nous. Nos bras, nos jambes, nos visages, tout était écorché, avait perdu de son éclat, certaines parties de nos corps étaient même à vif tellement les chocs avaient été violents. Comment nous avons pu nous ignorer à ce point ? Pourquoi nous n’avions pas pris soin l’un de l’autre comme au début du voyage ? Nous étions méconnaissables et notre navire n’était plus qu’une épave.

 

 

Un matin mon ami capitaine, me dit « ça ne va plus être possible, il va falloir laisser l’engin, il ne peut plus voguer comme ça ».

Triste nouvelle mais je ne ripostais pas. Je comprenais.

Mais abandonner notre bijou, me parait être une épreuve bien lourde à supporter. Va-t-on le réparer un jour et prendre de nouveau le large ? Est-ce que cela en vaudra le coup ?

 

Le navire a été quitté. Lâchement nous nous sommes enfuis loin de lui. Nos blessures étaient trop douloureuses.

 

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