07 - Brume rouge de la colère

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34e jour de la saison du marteau 2445 — PDV Azéna


Douze années depuis sa naissance, depuis son adoption. Bientôt, elle allait être une femme. Son statut de louveteau allait se faner pour la transformer en quelque chose de plus grand, de plus solide, mais aussi de misérable. Ce qu'elle était complètement perdue.


En quatre ans, depuis cette fameuse soirée où elle avait consulté la lune pour de l'aide, à chaque saison du ruisseau, elle chantait sa mélodie et à chaque fois, elle devenait de plus en plus désespérée. Certes, elle était reconnaissante pour quelques aspects dans sa vie tel que son amitié inébranlable avec Fayne, la loyauté aveugle de Grendrel et le support d'acier d'Argent. Ce n'était pas assez. C'était trop lourd d'avoir tant de gens contre elle. Elle n'avait presque jamais de répit et souvent, elle devait lutter pour en avoir. Elle était épuisée.


— Pourquoi ne puis-je tout simplement pas être moi ? avait-t-elle hurlé en frappant la table lors du souper de la journée précédente.


— Parce que tu es simplement une Kindirah, avait répliqué Bayrne d'une voix glaciale et ferme. Sois un peu reconnaissante que tu portes ce nom.


Le seigneur suzerain prit une bouchée de sa côtelette de porc et affichait une expression neutre, comme si la crise de sa fille importait peu. Honnêtement, il devait être habitué puisque c'était loin d'être la première et Azéna pouvait le deviner. Malgré tout, elle était profondément insultée. À cet instant, elle s'en foutait royalement de ce nom de famille. Ce qu'elle désirait c'était du respect.


Il en fallut seulement un petit ppfff de la part de Sérus pour que la dernière once de sang-froid qu'elle possédait l'abandonna. Le front plissé et les traits déformé par la colère, elle sauta sur la table, ne prenant guère attention à la nourriture et donna un bon coup de pied au visage à Sérus.


Gendrel et Ravon avaient ris aux éclats. Eux et leur sœur au tempérament rageux furent chargés de nettoyer les excréments des animaux du domaine à la main et sans aide.


— Tu as encore plus de cran ces derniers jours, dit Gendrel avec un sourire espiègle aux lèvres. Cette punition immonde en vaut toute la peine.


Azéna ne répondit pas ; elle se contenta de terminée la tâche dans un silence dégoûté.


À chaque jour, elle se battait contre les attentes exigeantes de sa famille qui tentait de la façonner en Dame de la noblesse, les insultes et parfois même, l'agression physique des sujets de ses parents qui étaient supposés lui devoir un minimum de respect et enfin, son envie de s'enfuir qui ne cessait de croître. Elle craignait ce qui l'attendait au-delà des murailles protectrices de Nothar, mais la soirée précédente, elle s'était décidée. Elle avait fait ses bagages et une fois au portail de la cité, elle avait été prise d'angoisse. Elle avait rebroussé le chemin, la queue entre les jambes.


Peut-être que la prochaine fois, ce serait la bonne. Peut-être qu'enfin, quelque chose allait dominer sa peur. Peu importe, que ce soit de la rage, de l'impulsivité, de la pure bêtise ou même de la folie. Elle devait changer le cours de sa vie.


Elle n'avait parlé de sa tentative d'évasion à personne. De toute façon, on ne ferait que la réprimander en retour et elle n'avait pas l'énergie pour ça. Ce qui aiderait c'était un petit calmant, un petit coup de pouce, du répit bien mérité.


À la taverne des Litfow, elle s'était assigné une nouvelle mission : mettre sa main sur de l'alcool. Les adultes en buvaient souvent et ils semblaient, pour la plupart du temps, heureux sous l'effet. Le problème était qu'elle n'avait pas d'argent ni l'âge légale pour consommer. Elle détestait voler dans l'établissement de son amie, mais sa souffrance psychologique la poussait à agir malgré cela.


Cette soirée-là, Fayne était la serveuse et remplaçait sa mère qui était atteinte d'un rhume. Elle fut surprise de voir Azéna puisque cette dernière savait qu'elle n'était pas disponible pour traîner avec elle.


— Tout va bien ? demanda-t-elle alors qu'elle trouva une brève ouverture pour consulter son amie.


Elle la fixa avec inquiétude, un plateau vide à la main. Elle avait beaucoup grandit depuis leur rencontre. Après tout, l'an prochain, elle allait officiellement devenir une femme de quinze ans. Cela ne semblait pas la déranger ; elle aimait bien l'idée de devenir épouse d'un bel homme. Les roturiers avaient plus de flexibilité que les nobles sur ça. Cependant, elle désirait devenir herboriste et pas seulement une femme au foyer. Bientôt, elle allait débuter sa formation à la Bleurette, une guilde reconnue pour leurs produits de beauté, d'entretien de la chevelure et autres. Ils étaient tous créés à partir de plantes ce qui plaisait énormément à la brunette. Elle avait constamment le nez fourré dans des livres qu'Azéna lui dénichait. Elle était studieuse, disciplinée et intelligente contrairement à sa plus jeune amie.


Azéna elle, possédait tous les traits de personnalité qui ne convenait pas à une Dame de la noblesse : aventureuse, impatiente, insouciante et arborait un dédain de l'autorité ainsi qu'une langue de vipère. Ses parents avaient beau la dompter, elle ne faisait que devenir plus têtue et déterminé. La fréquence de ses crises augmentait et bientôt, elle allait craquer si ce n'était pas ses parents en premier.


— Tu ne voulais pas être chez toi, devina la jeune serveuse sur un ton qui sous-entendait de l'irritation.


Elle était consciente de la plupart des évènements dans la vie de la Kindirah, que soit une bataille à poings avec un garçon du quartier pauvre ou bien une querelle avec un membre de sa famille. Elle devinait sûrement ce qui l'amenait à la Corne Blanche.


— Encore une fois, confirma Azéna en traînant chaque mot longuement.


— Je vois que tu portes toujours le linge de Gendrel, ricana la brunette. Assure-toi tout simplement de ne pas attirer d'ennuis.


— Je sais maman, ronchonna la petite trouble-fête.


— Je vais aller te chercher un chocolat chaud, lui annonça son amie avec un clin d'œil. Ne dis rien à mon papa.


Elle savait comment remonter le morale d'Azéna. Comme d'habitude, elle n'avait pas les moyens de se payer ce régal, mais elle avait gagné tant d'affection de la part des Litfow qu'ils faisaient toujours des exceptions pour elle. Lyran grognait lorsque cela se produisait, mais il n'était jamais sérieux. Il ne pouvait pas refuser la petite Kindirah. Il ne pouvait pas dissimuler son grand cœur.


— Je tenterai de mon mieux de ne pas attirer sa colère titanesque, rigola Azéna en roulant les yeux.


Lorsque Fayne s'apprêtait à remplir sa commande, elle entendit la porte d'entrée de la taverne claquer fermement à un rythme bien trop familier. Elle vira le regard et aperçut un grand adolescent à la chevelure épaisse et ébène qui traversait la salle en sa direction. Ses yeux s'écarquillèrent de panique. C'était impossible. Pas ici. Pas dans son refuge.


— Te voilà ! rugit Sérus qui arborait déjà une expression de bœuf enragé. Père te cherche ! Tu sais très bien que je déteste jouer les chiens de commissions. Cesse de t'enfuir !


Il l'examina brièvement en ignorant la présence de Fayne et ses yeux bleus qui étaient déjà petits se firent encore plus minces. Il s'accouda lourdement sur la table à laquelle Azéna était installé et pointa son nez meurtri qu'elle avait failli casser.


— Je n'ai pas apprécié ton geste du tout petite sœurette, siffla-t-il froidement.


— Je croyais que je n'étais pas une vraie Kindirah, rétorqua Azéna avec rogne.


Pour l'espace d'instant, il parut surpris, mais il se ressaisit vite. Il ne devait pas se laisser vaincre par une petite fillette. Il devait trouver une faiblesse, une ouverture. Il baissa le regard sur les jambes de la fillette, ses lèvres s'étirant en un sourire mauvais.


— Tu ne portes pas la robe que mère t'a si gentiment prêtée ce matin. Elle va être ravis de l'entendre, termina-t-il avec sarcasme.


Il était de dos à Fayne donc cette dernière ne pouvait pas le juger d'après son langage corporel déplaisant. Elle était restée silencieuse ce qui était anormale pour elle ; normalement, elle aurait défendu son amie avec ardeur. C'était probablement une situation gênante pour elle considérant que Sérus était l'aîné de la famille et ainsi, assurément, le future seigneur suzerain.


Ce dernier attendait une réplique de la part d'Azéna qui ne vint pas. Il se lassa et examina ses environs.


— C'est donc ici que tu passes tout ton temps.


Comme à son habitude, il portait une épée courte à la ceinture, des bottes en cuir, une tunique sombre et une longue cape mauve avec l'emblème du royaume en son centre : une aspérule blanche. Il était si fier de sa nationalité que s'en était répugnant. Il fit un signe de tête comme quoi il s'attendait à une réponse lorsque sa sœur garda le silence.


— Oui, dit-elle enfin, les dents serrées.


C'est tout ce qu'elle pouvait faire pour extérioriser sa colère. Elle était observée et connue de fond en comble par son examinateur. Il fixait ses mains : son ultime point faible. Lorsqu'elle était irritée, elle avait la mauvaise habitude de les serrer en poings.


Il se comportait mieux que d'habitude. Pourquoi ? Que mijotait-il ?


Il continua de sonder l'établissement en hochant positivement de la tête comme s'il était impressionné par ce qu'il voyait. Enfin, il s'arrêta net sur Fayne. Enfin, sur la poitrine généreuse de Fayne qui était légèrement révélé par son bustier.


Ah c'était donc pour cela qu'il ne faisait pas un fou de lui ; il était en mode chasseur. Azéna ne put s'empêcher de grimacer, dégoûté par le comportement primal de son aîné. Comme si Fayne allait se laisser séduire par un gorille... La tête haute, elle avait pleinement confiance en son amie. Après tout, la paysanne savait tout à propos de Sérus.


Gênée, la Litfow leva son plateau afin de dissimuler son décolleté.


— Heu... p-pardon, marmonna Sérus en lui offrant son plus radieux sourire.


Les joues se Fayne s'enflammèrent immédiatement ; ce n'était pas bon. Elle tombait sous le charme. Après tout, Azéna devait avouer que son frère était attirant... physiquement. C'était sans doute lui le plus beau des hommes de la famille. Il avait une mâchoire forte, un visage anguleux, un corps athlétique et un regard perçant. Il était viril sans trop être poilu ; le rêve de la plupart des demoiselles.


— J-je dois aller travailler, balbutia Fayne en retournant au comptoir où elle alla préparer le breuvage de son amie.


— Elle est magnifique, lança Sérus. Qui est-ce ? Tu la connais ?


— Roh ne commence pas ! aboya Azéna qui était maintenant sur la défensive. Elle a une vie paisible et elle n'a pas besoin de toi pour lui briser le cœur.


— Je ferai attention. C'est promis. Tu me la présentes demain et je ne t'embêterai pas à ce propos, marché conclut ?


— Est-ce que j'ai vraiment le choix ? rouspéta la fillette qui savait trop bien que tout ceci n'allait la mener qu'au désastre.


— Non et on doit rentrer. Père t'attend et n'était pas de bonne humeur. Il semblerait que tu as sécher ta leçon de musique aujourd'hui. C'est malheureux, mais oublie ton chocolat chaud.


Azéna serra les poings malgré elle, à peine capable de retenir l'envie fervente de heurter l'homme-enfant de quinze ans devant elle.


***


Équilibre. Crainte. Terreur. Colère. Rage. Haine. Folie.

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