Jeanne d'Artagnan

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Alexandre Dumas inventa une merveilleuse histoire de cape et d'épées qui parut en feuilleton dans les pages du quotidien La Presse, créé le 1er juillet 1836 par Émile de Girardin et Armand Dutacq.

Il s'avéra que l'auteur pour ses recherches, s'inspira du Capitaine des mousquetaires, Charles de Batz de Castelmore, ce dernier ayant servi dans les mousquetaires de Louis XIII et de Louis XIV. Il faut ajouter que l'imagination des héritiers permit au cours du temps d'étendre l'univers du roman-feuilleton historique.

Ainsi bien des années plus tard, on découvrit que le personnage central de d'Artagnan avait eu une fille, ce qui du reste lui posa des problèmes, tant la progéniture avait de qui tenir. Mais saviez-vous qu'il avait eu aussi une sœur ?

*

Très jeune, Jeanne déplora la mort de sa mère, emportée par une violente maladie. Elle perdit son soutien le plus proche. Toutefois, son géniteur, d'Artagnan père, l'ayant reconnue, se décida à informer son épouse qu'il vécut une aventure avec leur gouvernante d'alors, un soir d'humeur maussade aux tout premiers temps de leur mariage.

Un coup de sang, une pulsion sans doute, le motivèrent à trousser sa servante ce qui à cette époque traduisait une pratique courante. Pour ne pas ouvrir la porte à trop de commérages dans ces temps troublés, il libéra son employée de sa charge, s'engageant à veiller à ce qu'elle ne manquât de rien. De fait, au décès de sa parente, Jeanne trouva une place auprès de son père et surtout réussit à gagner la confiance de sa belle-mère.

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Douze mois plus tôt, il reçut de son père, son épée, une solide éducation et le rang d'une vieille noblesse. Certes un cheval jaune âgé de treize ans, assorti de quinze écus vinrent compléter son pécule. Le jeune Charles d'Artagnan, plein de fierté, prit la route depuis sa Gascogne natale vers la capitale.

D'Artagnan père espérait avoir laissé une solide empreinte dans l'âme de son garçon. L'enjoignant au choix de toujours se battre, au moindre prétexte, afin d'asseoir son origine et défendre son honneur. Il devrait se construire une réputation comme il seyait à tout jeune cadet prétendant à servir dans les Mousquetaires du roi.

Malgré le peu de ressources dont il disposait, le jeune homme se montra très économe durant son trajet et ne laissa aucune facture ou reconnaissance de dette auprès de quelque malfaisant usurier. Par contre, du côté de Meung, on lui déroba dans son pourpoint une lettre de son père à l'intention de M. de Tréville alors qu'on le rossait par le fait de manants au service d'un sombre individu aux allures moqueuses et dédaigneuses à l'endroit du gascon.

Dans la bataille, il brisa sa rapière. Malgré tout, il réussit à se remettre sur pied et rejoindre la capitale sans autre coup férir. Mais il n'oublia pas les sournoiseries de ce hautain personnage, ni ses échanges avec une mystérieuse femme au nom intrigant de Milady. Étant certain que le prétentieux détenait sa lettre, il espérait pouvoir lui demander sous peu, réparation.

*

Au fief des d'Artagnan, après des mois sans nouvelles, une lettre arriva enfin au domaine et la maîtresse de maison en obtint la primeur. Pressée de toutes parts, mari et belle-fille, elle se décida à en donner lecture à voix haute, non sans avoir pris un petit remontant, histoire de tempérer les émotions qui la prenaient d'assaut.

*

Elle reconnut au premier coup d'œil que la lettre portait l'écriture de la main de Charles.

Le pli informa la famille réunie des premiers temps du jeune gascon dans la grande ville. Ce dernier évoqua d'emblée son esprit bagarreur, prêt à défendre son honneur comme son père l'avait enjoint à le faire. Ce détail mit des couleurs au visage de la lectrice qui s'enquit d'avaler une autre rasade de ce cordial délicieux pour équilibrer la mesure. Puis elle reprit, un peu pompette, devant l'empressement de son mari et de sa fille à connaître la suite.

De fait, Charles dut se rendre à des duels qui l'engagèrent dans les heures suivantes de son arrivée avec trois mousquetaires du roi, les dénommés Athos, Porthos et Aramis, au Pré-aux-Clercs, derrière le Couvent des Carmes Déchaux. Madame d'Artagnan marqua alors une pause, inquiète de ce qui allait suivre. Son mari la rassura en lui rappelant que leur fils écrivait la lettre et que donc il vivait encore.

Une fois les feux adoucis aux joues de la bonne mère, elle poursuivit. Car les choses se gâtèrent quand des gardes du Cardinal vinrent à les surprendre, prompts à défendre l'interdiction officielle de se battre.

D'Artagnan joignit son épée à celles des trois autres mousquetaires qui dès lors à quatre, firent mordre la poussière à un certain Jussac, meneur d'une escouade de quatre gardes. Son courage entraîna sa réputation immédiate dans les quartiers voisins et il obtint d'emblée l'admiration et la sympathie sans bornes de ses nouveaux compagnons, qui plus tôt ses ennemis devinrent ses frères d'armes.

Devant les émois de sa femme au bord des larmes, le père d'Artagnan poursuivit la lecture. Son fils ne manqua pas de présenter son admission dans les cadets des Mousquetaires grâce au lien d'amitié que son parent entretint par le passé avec Monsieur de Tréville, ce dernier ayant ses entrées chez le roi. Mais aussi, suite à ses hauts faits face aux sbires du Cardinal.

*

Le père d'Artagnan affichait une humeur partagée tant sa dévotion fut sans limite à l'égard des dirigeants de son pays dont le roi et le cardinal. Et cependant, il en tira une grande fierté.

De son côté, Jeanne n'écoutait plus.

Âgée de dix-huit printemps, elle insistait auprès de ses parents. Elle voulait découvrir le monde et par la même occasion, rejoindre son demi-frère à la capitale avec l'espoir qu'il la guidât à fréquenter la cour et ses usages. Dotée certes d'un modeste bagage mais la tête bien posée sur les épaules, une taille fine et des jambes solides, elle se savait ne pas laisser indifférente la gent masculine, ayant pu tester ses avantages non négligeables dans les bras de paysans pendant les périodes de moissons, au milieu de quelques balles de foin.

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Et tout comme son demi-frère, elle savait se battre.

Son père tint à lui enseigner quelques passes et l'avait, par ailleurs, confiée aux bons soins d'un maître d'armes. Au prétexte que si elle souhaitait un jour, qui ne pressait guère, découvrir le monde et quitter les rives du Gers, il lui faudrait affronter de nombreuses menaces.

Et à cette époque, elles ne manquaient guère : épidémies, guerres d'empire ou de religions, attaques par des bandits de grands chemins. Il valait mieux se tenir sur ses gardes et maîtriser, si ce n'était le verbe ou l'écrit, le maniement d'armes plus pragmatiques tels les épées, pistolets ou mousquets.

Or donc, ne voulant pas que sa fille paraisse trop gourgandine, comme victime d'une infâme lobotomie, il lui assura des cours de maintien, sans l'aide locale des sœurs du couvent voisin. Il s'entoura pour l'enseignement des humanités d'un précepteur qualifié et fort bel homme. Qu'il soit dit en passant que ce dernier ne résista guère aux assauts de la jeune intrépide à découvrir le comportement masculin dans l'intimité d'un secrétaire ou entre deux portes dérobées.

*

Jeanne prit la route vers Paris quelques semaines plus tard, habillée en garçonne, sa belle chevelure de feu cachée sous un large feutre et une grande cape camouflant ses formes. Une longue rapière lui caressait la jambe et le contact froid du pommeau à la garde ciselée la rassurait.

Elle ne se doutait guère qu'elle deviendrait sous peu, une dame de compagnie à la Reine et une espionne redoutable et habile à contrer les plans sombres de Milady de Winter et de son mentor le Cardinal.

=O=

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