1er Novembre 2017 - 04h38

8 minutes de lecture

PARTIE 2 : RETROUVAILLES

« La vie c'est des étapes... La plus douce c'est l'amour... La plus dure c'est la séparation... La plus pénible c'est les adieux... La plus belle c'est les retrouvailles. »

Anonyme

Hôpital de Sainte-Croix, service des urgences.

Je déteste travailler la nuit de Halloween. Je n’arrive pas à croire que lorsque j’étais encore un étudiant naïf et inexpérimenté, je me portais toujours volontaire pour travailler le soir du 31 Octobre. C’est vrai qu’il y a toujours des cas plus étranges les un que les autres, comme le jeune homme que j’étais en train de recoudre. Il avait trouvé que ça serait marrant de faire semblant d’avoir un couteau lui sortant du derrière, bien sûr badigeonné de faux sang. Sauf qu’il avait ensuite oublié ce petit détail avant de s'asseoir sur un banc en pierre. Je vous laisse imaginer le résultat. Je venais donc de passer une heure à lui recoudre l’anus. Je déteste Halloween. Et je déteste encore plus la bêtise humaine. Heureusement, ma garde se terminait dans moins de deux heures, et je pourrais bientôt rentrer chez moi, prendre une douche et me mettre au lit tranquillement. J’avais été de garde pour presque dix-huit heures, et mon lit me semblait actuellement aussi lointain que le désert du Sahara. Mais bien plus accueillant.

Je venais donc de recoudre les fesses de mon dernier patient lorsque mon biper se mit à sonner de façon frénétique. Je détestait aussi cette sonnerie stridente, une autre mélodie aurait le même effet et serait bien plus agréable à écouter à longueur de journée. Je saisissait mon biper et regardait le message. Il provenait de l’un de mes résidents, un blessé grave venait d’être amené aux urgences et il avait besoin de moi au bloc. Je soupirai, mon lit me semblait de plus en plus lointain, s’éloignant de seconde en seconde. je pars en courant vers le bloc, ma fatigue s'évapore pour laisser place à une totale concentration. Le bloc est mon temple, la chirurgie ma religion et la fatigue n’y a pas sa place. Quand j’arrive je vois Éric, mon résident favori debout dans le bloc. Le temps que je me prépare, je lui demande les infos du patient à travers l’interphone.

" Homme blanc, entre 35 et 40 ans, la police l’a découvert suite à un appel anonyme dans une poubelle, dans un quartier de Saint-Denis. Quand les premiers secours sont arrivés sur les lieux, il était en arrêt depuis quelques secondes, ils ont réussi à le réanimer avant de l’amener ici. Il a été battu à mort et il a plusieurs saignements internes, mais le problème c’est la barre en fer plantée dans son ventre. Il est à peu près stable pour le moment, mais je ne parviens pas à arrêter tous les saignements et je ne sais pas quoi faire de cette barre."

Éric parle sans s'arrêter, toujours en farfouillant dans le corps du patient. Je finis enfin de me laver les mains, et je rejoins mon résident qui me laisse la place avec un soulagement évident. Je prends le temps d’observer les dégâts en détails. Éric a fait du bon travail, mais ça ne sera pas suffisant pour sauver ce patient. Je vérifie les constantes une dernière fois, avant de toucher la barre qui traverse l’homme de part en part. Heureusement, elle n’a touché aucun organe interne, même si elle effleure le foie et la rate. Avant de m'attaquer à la barre, je m’emploie à recoudre toutes les autres plaies qu’il a, quand je retirerai la barre, il saignera sûrement beaucoup, il n’a pas besoin d’autres pertes de sang. C’est un travail long et fastidieux, ceux qui ont fait ça ne l'ont pas loupé. L’homme est couvert de blessures, internes et externes. L’homme gît sur le côté, à cause de la barre, et l’accès à certaines zones est difficile. Pendant que je continue de réparer toutes les plaies une à une, j’envoie Éric parler à la police, je vais avoir besoin de l’identité de mon patient pour prévenir sa famille, et je l’envoie aussi chercher du sang O négatif.

Tout doucement, millimètre par millimètre, je commence à enlever la barre. Il y a très peu de résistance, mais les constantes du patient commence à baisser dangereusement. Pourtant, je n’ai pas le choix, je dois le faire, si je veux avoir une chance de le sauver. Je reprends ma progression, et au bout d’une demi-heure d’efforts combinés, la barre est sortie. L’homme se met à saigner, et je fais de mon mieux pour endiguer les fuites. Éric revient juste à temps avec le sang, qu’il fait directement passer dans la perfusion et revient se positionner en face de moi. Son aide n’est pas de trop, et bientôt nous commençons à gagner du terrain. Soudain un bip retentissant de fait entendre et l’homme sur la table fait un arrêt. Je me met aussitôt à lui faire un massage, tandis que Éric prépare les palettes. Après trois chocs, le cœur de l’homme redémarre. On a eu chaud, et l’homme n’est toujours pas sorti d’affaire car la violence des chocs répétés ont fait reprendre l'hémorragie de plus belle. Nous travaillons en silence avec Éric, et je profite que la situation soit sous contrôle pour lui demander si il a appris l’identité de l’homme. J’aime connaître le nom des personnes que j’opère, ça les rends plus réelles, pas comme les mannequins à numéro que nous utilisions à l’école de médecine.

  • Selon la police, il s’appelle Gabriel Blanc, 37 ans.

Mes mains s'arrête en plein mouvement et je fixe Éric. Je dois avoir l’air d’un fou, mais je ne peux pas m’en empêcher. Gabriel. Gabriel Blanc. un nom que je ne pensais jamais plus entendre mais que je n’ai jamais été capable d’oublier. Gabriel. Gabriel. Gabriel, qui vient de faire un arrêt sur ma table d’opération. Gabriel qui est arrivé avec une barre de fer planté dans le corps. Gabriel qui me sourit à 15 ans, le visage illuminé par le soleil. Je déglutis. Mes mains ne bougent toujours pas. J’ai besoin d’être absolument certain. Je demande à Éric de me dire la couleur de ses cheveux. Quand il me répond que l’homme est roux, je manque de m’effondrer. Ce n’est vraiment pas le moment, même si Gabriel est stable pour l’instant.

Je ne devrais pas être là. Même si Gabriel n’est pas officiellement de ma famille, et même si je ne l’ai pas vu depuis plus de 20 ans. Il m’a suffit d’entendre son nom pour que tout me revienne avec autant de force que si nous nous étions quittés hier. C’était mon meilleur ami sur cette table, et je ne devrais pas être celui qui l’opère.

  • Est ce que le docteur Simon est là ce soir ? Je demande, fébrile. Clovis Simon, le titulaire en chirurgie générale, et j’aurais besoin de lui pour me remplacer.

  • Non, il est de repos aujourd’hui me répond Éric. Il y a un problème docteur? me demande t il ensuite.

Je ne réponds pas tout de suite avant d'acquiescer de la tête et de dire :

  • Je le connais, c’est mon meilleur ami. Je ne devrais pas être celui qui opère.

Éric me regarde avec de grands yeux, mais je n’y prête pas attention et je cherche un solution. Pour n’importe quel autre patient, je l’aurais laissé prendre les rênes, sous ma supervision. Mais il s’agit de Gabriel et je ne peux pas le laisser entre les mains d’un résident, aussi bon soit il. Je respire profondément.

  • OK, tu peux demander au docteur Zoé Martin, de la psychiatrie de nous rejoindre.

Éric s'exécute rapidement, sans faire de commentaire. Cinq minutes plus tard, Zoé nous rejoint et je lui explique la situation. Je lui demande de rester et de veiller à ce que je reste professionnel. Ce n’est pas très orthodoxe comme manière de faire, mais avec Zoé dans le bloc, je me sens assez confiant pour finir cette opération.

Le reste de l'opération se passe bien, Gabriel reste stable tout du long. Je remercie tous les dieux auxquels je ne crois pas pour ce petit miracle. Zoé reste tranquillement dans le fond du bloc et je peux sentir ses yeux sur moi, examinant le moindre de mes gestes avec des yeux de faucon. Elle prend son rôle au sérieux et ne rate rien.

Une fois que Gabriel est emmené aux soins intensifs, en salle de réveil, je me réfugie dans la salle commune des titulaires de l'hôpital. Je m’écroule dans un fauteuil et je reste là, dans le noir immobile. Je n’arrive pas à penser, je n’arrive pas à réaliser que c’est Gabriel. Mon Gabriel, dans mon hôpital. Battu à mort. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer. Alors je ne fais aucun des deux et je reste juste là, dans mon fauteuil.

La lumière soudaine me sort de ma transe. Zoé se tient sur le pas de la porte, l’air soucieuse.

  • Ça va, Alex? Tu n’as pas l’air très bien.

J’ai parlé de Gabriel à Zoé, et elle sait ce qu’il représente pour moi. Je voudrais la rassurer mais je ne sais pas quoi dire. Je passe ma main sur mon visage, puis dans mes cheveux.

— Je viens d’aller voir Gabriel, il va bien. Enfin aussi bien que possible étant donné la situation. J’ai son dossier si tu veux.

Je prends le dossier d’une main hésitante. Je le parcours en silence. Tout semble en ordre. Je regarde les personnes à contacter en cas d’urgence : Marie Blanc et Colline Blanc. Les jumelles. Je me demande comment elle vont, ce qu’elles sont devenues. Elles ont dû bien changé en vingt ans. Je me demande si elles me reconnaîtront.

— J’ai demandé à Sandra de contacter la famille, elle a laissé un message.

Je hoche la tête, sans un mot. J’entends Zoé qui s’approche, mais je ne relève pas la tête. Elle s’assoit à côté de moi et me prends dans ses bras. Je me laisse aller dans son étreinte.

— Rentre chez toi Alex. Je te promet de l'appeler au moindre changement. Il n’y a rien que tu puisse faire de plus ici. Et tu as besoin de dormir.

Zoé a raison. J’ai besoin de dormir. Alors je rentre chez moi comme un zombie. Je n’habite pas loin de l'hôpital, heureusement. Je prends une douche brûlante avant d’enfiler un vieux survêtement hyper confortable. Je me dirige vers ma chambre et je cherche une vieille boîte à chaussure au fin fond de ma penderie. La boîte est bien là, couverte de poussière. Je m’installe sur mon lit en tailleur avant de poser la boîte devant moi. Je finis par l’ouvrir. Je mets les lettres de côté pour le moment et je m'intéresse aux photos. Je les observe méthodiquement une à une, les rapprochant de mon visage pour observer le visage de Gabriel. Je n’ai pas pu voir son visage durant l’opération et je me demande si il est toujours aussi beau, toujours aussi lumineux?

je finis par m’endormir épuisé par tant d’émotions dans une journée. Je rêve de Gabriel cette nuit là, j’en suis certain. Pourtant en me réveillant le lendemain, je serai incapable de me raconter le contenu de ce rêve particulier.

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