Chapitre 5

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— Il nous faut un plan. Si nous y allons sans information et que nous suivons sa méthode, soyez sûrs qu’il ne restera de nous que des miettes. - Je me mis sur le genou droit, les deux mains sur celui-ci. Tête baissée, je fermai les yeux. Père, écoutez-moi. Y aller tête baissée, c’est insensé. Ils sont sournois et même si leur chef est considérablement affaibli, rappelons qu’ils ont L’Ombre et L’Architecte à leurs côtés, renommées sur Kakushima. Attendons quelques jours, le temps que Mizuho Kan échafaude un plan efficace et que nous recevions des nouvelles du Sud. Cela nous épargnerait toute erreur ou perte de temps possible.

 Les gouttes frappaient les plaques transparentes, espérant pouvoir un jour pénétrer l’enceinte. L’espoir les animait, les rendait violentes à crescendo. Elles briseraient les boucliers tant leur violence croissait. L’impatience, l’empressement… Telles des âmes fougueuses désireuses de conquête.

 Le foyer rocheux brûlait, crépitait, le bois carbonisait. Une flamme amoureuse dansait cependant, tentant de survivre dans la haine aqueuse. Qui survivra : haine ou Amour ? La haine se calmait au-dehors pour laisser place à une fine brise, douce et rassurante. Des gestes fins balayèrent les restes accrochés aux coins environnants. Quelques rayons lumineux transpercèrent ces nids noirs, étalant leur chaleur.

 Père, la voix ténor, rompit cet apaisement pour prononcer d’un simple ordre son accord.

— Je t’entends fils. Il se releva, le torse tailladé ressortant d’entre le croisement de son yukata noir légèrement relâché. Se retournant vers les gardes : Faites amener Mizuho Kan immédiatement. Assu, je te congédie ; tu es libre de ta journée.

 Je voulus ouvrir la bouche mais son regard m’intima le silence. Son aura guerrière m’écrasait. Un ordre est un ordre, peu importe que je sois son fils ou une larve. Je me contentai alors de faire un signe de tête, me relever, me retourner et sortir de la pièce chaude pour envahir l’extérieur humide encore des ébats de haine.

 Mon corps était chaud, l’air ambiant était froid. Mes mains me brûlaient, mon souffle devenait opaque. J’avançais au travers des ruelles vides, silencieuses, ennuyeuses. Ce village était d’une froideur… Plus glacial que mon île natale. Je n’y avais pas vécu longtemps… 8 ans tout au plus. Mais peu importait.

 Voilà dix minutes que j’étais parti du domaine, et mon entrevue avec Père me travaillait… Envahir le Sud… Cela faisait 10 ans que nous les provoquions sans bouger… Puis subitement il passait à l’action… Quelque chose le préoccupait.

 Quoi qu’il en soit, cela ne me regardait pas. Personne ne savait ce que pensait le Chef. Pendant ce temps, je profitais de cette pause pour m’occuper l’esprit… Les réunions m’avaient dévorées la tête et il ne me restait pas grand-chose. La seule à laquelle je pensais, c’était moi. Si mon aînée m’entendait, je passerais un sale quart d’heure…

 Je fis une pause dans le mi-quartier nord, devant une demeure moyenne, de qualité moyenne. Encore une, en pierre grise, aux fenêtres de bois de chêne. Ces matériaux ne me plaisaient pas du tout. Je repris ma route, continuant de descendre les petites rues étroites, longeant les maisons qui, malgré les matériaux similaires, ne se ressemblaient pas. Un subtil charme.

 J’arrivais sur un des axes principaux : la Route de la Chance. Drôle de nom n’est-ce pas ? Père avait dû attribuer des noms au hasard à chaque axe. La Route de la Chance est un axe au centre, remontant vers celui donnant sur le Domaine situé tout au Nord du Village.

 Plutôt que redescendre sur la place centrale, je préférais continuer dans les ruelles du haut-quartier sud. Les demeures de ce quartier se démarquaient des autres quartiers, par leur richesse et leur innovation. Leurs dimensions étaient diverses, aucune ressemblance et les matériaux se différenciaient. Ce décor était tellement plus appréciable à observer… Mon esprit s’y égarait. Cependant, aucune occupation particulière. Toujours des ruelles ennuyeuses…

 Ce village était d’une tristesse sans nom… La seule chose distrayante étaient les femmes. Elles étaient plus… Intéressantes, généreuses, et disons-le, performantes. De plus, elles avaient des charmes… Bien en chairs. Ne croyez pas que je n’étais intéressé que par cela. Non, j’aimais m’entrainer à l’épée avec Kan, mon unique ami. Cela avait quelque chose de défoulant et m’aidait à oublier mes différents avec mon Père.

 Après avoir traversé l’axe centre-est, je pénétrai enfin les bas-quartiers sud. Les ruelles de pavé gris, sales et infectieuses, laissaient croulées les ordures et les chats amaigris par la famine. La pauvreté se ressentait dès l’entrée ce quartier. Les gens ne souriaient pas, ne chantaient pas, ne dansaient pas, ne riaient pas, ne parlaient pas. Tout était désespoir et accablement. Père n’accordait des privilèges qu’aux personnes ayant une position idéale. Le reste de la population devait s’en sortir par ses propres moyens. C’est-à-dire… Pas grand-chose. L’accès aux commerces leur était limité et le noir était très surveillé. La moindre tentative de désobéissance valait la mort ou les oubliettes à perpétuité, en compagnie des rats. Le noir, la contrebande, les réunions, les regroupements, les manifestations, le journalisme, les informations… Il y avait un pôle d’informations se trouvant à la Place Centre, sous l'Erable mais ces informations étaient bien évidemment délivrées par les hommes de mon paternel.

 Arrivé au terme de mon vagabondage dans les nombreuses ruelles de Nornaelesia, je m’arrêtai devant ma maison de passage. Je toquai doucement, indiquant mon arrivée : la jeune femme m’ouvra, habillée d’un voile ample et transparent. Elle entoura mon cou de ses bras et m’entraina à l’intérieur en riant. Dans l’obscurité, nos corps et nos bouches se rencontrèrent. Je me laissais aller au plaisir, à l’évasion, pendant cette heure interrompue par Kan à qui j’avais donné rendez-vous plus tard. J’embrassai une dernière fois la femme, me rhabillai à moitié pour rejoindre mon ami. Je fermais la porte derrière moi et je fermais ma veste.

— Alors ? C’était agréable ? m’interrogea Kan, curieux.

 Je me contentai de sourire en fermant mon dernier bouton de col. Cette femme était la seule avec qui j’arrivais à me sentir enfin libre. Pas besoin de mots pour se comprendre, c’était un moment simple et torride. Je la connaissais depuis quelques années maintenant et pourtant, je ne m’en lassais pas.

 Nous nous mettions en marche vers l'ouest, en direction du bar de Reita. Alors que nous discutions du plan de ce matin, une jeune femme nous heurta brutalement devant la vitrine d’un magasin. Elle grogna mais nous l’ignorions et continuions notre chemin. Pourtant, je lui jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule pour voir si elle allait bien : on devinait sous sa capuche noire deux mèches blanches tombant sur son visage et un petit nez légèrement mate en trompette. Elle n’était pas du coin. Je le signalai à Kan mais il ignora ma remarque, trop concentré sur une brune qui passait par là.

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