Chapitre 3

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Moriko

 Quelqu’un avait attenté à la vie du chef. Peu après mon arrivée au village, j’appris auprès de Mikan pourquoi nous avions été convoqué : nous devions aider à l’enquête et débusquer le coupable. Or, j’avais perdu mon sang-froid. À l’annonce de la nouvelle, la première chose qui m’était venu en tête, c’était la vengeance. Cependant je n’eus pas le temps de partir pour Nornaelesia car des gardes m’ont jeté dans cette prison pour, à ce qu’ils disent, me limiter dans mes actions. Je servais le village depuis toujours et c’était ainsi qu’on me recevait après plus d’un mois d’absence.

 Recroquevillée dans le coin de la porte boisée, je marmonnais. Je réfléchissais. J’étais enfermée depuis une bonne heure dans cette étroite pièce, entourée de murs en bois clair et pierres grisâtres. Une pauvre bougie posée sur une petite table en bois se trouvant dans le coin en face de moi, éclairait cette boite misérablement vide dans laquelle je me trouvais. Le sol de pierres et poussiéreux me collait les fesses et était gelé. Il ferait franchement mieux de revoir les chambres pour ses invités.

 Tsukai s’était perchée sur le bord extérieur de l’unique minuscule fenêtre du mur de pierre, juste en face. Elle était censée me surveiller mais au lieu de ça, elle dormait, la tête baissée et enfoncée dans les plumes de son poitrail. La surveillance, ce n’était pas réellement leur fort non plus.

Pourquoi ne me laissent-elles pas faire…

 Je me levai et allai à cette fenêtre. Je l’ouvris mais deux barres de fer noir me séparaient de l’extérieur. Je posai mon menton sur le bord intérieur de la fenêtre puis m’adressai d’une voix forte au faucon endormi.

— Hey Tsukai ! Il ne fait pas trop froid dehors ?

 Le rapace se redressa, surprise, et observa les alentours de brefs coups d’œil rapides comme si quelqu’un allait nous agresser d’un moment à l’autre. Je l’interpellai en toussant un petit coup. Elle tourna la tête en ma direction et comprit que c’était moi qui l’avais réveillée. Ce n’était pas pour autant qu’elle répondit à ma question et elle se retourna d’une traite. On lui avait probablement donné l’ordre de ne pas m’adresser la parole. En fait, j’avais le droit de parler à… personne. Bon c’était déjà bien en soit, cependant j’avais aussi besoin d’un peu de communication. Enfin je décidai de tout de même continuer à lui parler, même si elle ne répondait pas. Le temps passait plus vite.

— Je sais bien qu’on t’a donné l’ordre de ne pas me parler mais je m’ennuie. Je suis contente que tu sois sortie indemne de ton dernier voyage. Tu n’as donc pas croisé de chasseurs, tu en as de la chance. Alors je vais te parler mais ce serait plus simple face à face… Dehors… Profitant de…

— Dans tes rêves la chèvre. Retourne dormir.

 Je me retournai et m’adossai au mur froid. Tout ce que je voulais c’était sortir d’ici pour…

 Tsukai qui s’était recroquevillée se redressa, en alerte. Elle aussi, elle avait senti que du monde arrivait. Il m’était impossible de sentir si c’était des connaissances ou des étrangers ; la poussière avait imprégné mes parois nasales et bouché mes pauvres sinus. Je me relevai et m’agenouillai en silence en dessous de la fenêtre encore ouverte, en me redressant légèrement afin de laisser mes yeux dépasser le bord et visualiser ce qui se passait dehors.

— Tsukai décale toi, je ne vois rien, murmurai-je.

— Ferme la fenêtre sinon ils vont croire que je t’ai parlé et je ne veux pas de problème à cause d’une bécasse comme toi.

 Bon, la bonne nouvelle, c’était que des connaissances approchaient… Comme me l’avait demandé si gentiment ce volatile malpoli, je fermai la fenêtre discrètement mais rapidement avant que les individus n’arrivent.

 En supposant que c’était des connaissances et que ces connaissances étaient celles qui avaient donné les ordres à Tsukai… Ils devaient donc venir me voir ! Et j’eus une idée. J’espérais simplement que parmi eux il n’y ait pas Natsumi ni Fubuki, encore moins Mikan. Si Mikan était là, j’étais finie.

 J’allai mettre mon plan à exécution quand j’entendis la porte menant à la pièce où je me trouvais, s’ouvrir. Il fallait que je me dépêche. J’allai éteindre la bougie et dissipai la fumée produite. Une fois cela fait, je m’adossai à gauche de la porte afin que personne ne puisse m’apercevoir en l’ouvrant. L’oreille droite tendue, je surveillais les bruits de pas résonnant dans le couloir. Ils cessèrent et j’entendis une clef entrer dans la serrure. Je retins alors mon souffle lorsque la porte commença à s’ouvrir et que la première personne entra.

 C’était le moment.

 Je me propulsai à la sortie. Alors que j’allais courir, un bras tendu à ma hauteur me stoppa net dans mon élan et il se resserra autour de mon pauvre cou. Je ne pus me retenir de tousser et cracher ma salive. Je tenais le bras en essayant de m’échapper du mieux que je pouvais. Je commençais à étouffer. Je me débattais. Une telle force ne pouvait venir que d’une seule personne…

— Alors Moriko, on a mal ?

— Ravie… de te revoir aussi… Mikan…

 Mon amie relâcha son étreinte et je m’effondrai à genoux, toussant en frottant la gorge sûrement rougie. Du mieux que je pouvais et entre deux toussotements, j’essayais de communiquer.

— Ça fait longtemps dis-donc…

— Deux heures, tout au plus. Mais je remarque que tu ne t’es toujours pas calmée. Tu croyais vraiment pouvoir m’échapper comme ça ? se moqua-t-elle.

 Alors que je comptais répondre, des pensées, des paroles, des sensations, des bruits, des odeurs, des ombres surgirent. Ma tête me fit atrocement mal. Je la baissai et fermai les yeux pour que mon entourage ne le remarque pas. On aurait dit un souvenir. Étrange mais lointain… Ou était-ce simplement le fruit de mon imagination ? Une scène violente. J’espérais que ce ne fut que ma tête qui me jouait des tours. Elle cessa et je pus enfin rouvrir les yeux. Cela avait duré quelques secondes mais ce fut pour moi une éternité. Je retins mes larmes, clignai des yeux puis redressai la tête. Je masquai ma douleur et lui répondis enfin, l’air de rien.

— Je t’emmerde Mikan. Vous n’aviez pas à m’enfermer dans ce trou à rat. Je compatis pour vos invités, crachai-je.

— Oh que si, nous avions à le faire. Seul sait l’Esprit Supérieur ce qui aurait pu se passer si nous t’avions laissé partir.

 J’essayai de me lever, encore un peu sonnée par cette force, en m’appuyant sur le mur en bois à ma gauche. Je parlais en m’efforçant de passer une jambe devant l’autre, sans tomber.

— Je dois y aller… Chercher le fumier qui a osé…

 Seulement, Fubuki me barra la route. La louve se tint devant moi le poitrail redressé et me fixant de ses deux yeux de glace. Elle n’avait pas besoin de parler pour me faire comprendre qu’elle s’excusait mais qu’au fond, elle avait eu raison de garder le silence.

 Je lui demandai de se pousser et de me laisser y aller. Elle ne bougeait pas. À peine esquissai-je un pas vers la droite, elle se décala à droite. Comment vais-je sortir de ce merdier… Devant moi se trouvait une louve nerveuse et derrière moi, une folle furieuse. Il fallait que quelqu’un vienne m’aider car j’étais actuellement coincée. Habituellement j’avais de l’imagination mais à ce moment-ci je séchais… Ou presque.

 L’air vaincu, je m’adossai au mur et me laissai glisser doucement. Mikan et Fubuki se détendirent légèrement en me voyant ainsi et elles se regardèrent, fières. L’occasion se présenta.

 Je me relevai rapidement avant de m’élancer à ma gauche en direction de la sortie. Seulement je ne fus pas assez rapide et je reçus à droite un violent coup d’épaule de la part de Fubuki qui me cogna contre le mur. Le choc provoqué par le coup réveilla la douleur endormie de mon précédent accident ; mon bras me lançait et les frottements de poils sur mes plaies me brûlaient. Certains poils avaient même collé. Je soufflais pour oublier la blessure qui me travaillait.

 À moitié sonnée par le mur, je m’assis en tailleur en me frottant le bras droit sans toucher aux plaies. Ça faisait un mal de chien. Ce qui était étrange, c’était que je recevais des coups violents en grand nombre, dans des parties du corps beaucoup plus sensibles et cela ne me faisait absolument rien, ou un bleu, mais de pauvres plaies causées par une chute sur du gravier me mettaient dans cet état. C’était un peu similaire à la sensation que l’on ressentait lorsqu’on se coupait avec du papier ou un couteau : ça piquait tellement que la douleur en était insupportable.

 Cette fois-ci je devais l’avouer, j’étais coincée pour de bon. Elles ne me connaissaient que trop bien. D’un côté c’était bien qu’elles me connaissent mais trop… C’était dommageable. Que nous puissions lire en vous comme dans un livre, c’était un peu gênant quand même.

 Je commençais enfin à reprendre mes esprits et une voix vive se fit entendre dans cet étroit couloir. Voix reconnue j’esquissai un sourire, le regard porté vers elle. Enfin elle se montrait.

— J’exige des explications à ce vacarme. Que se passe-t-il ici ?

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