Croisée des chemins - Partie 1 "La recrue"

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Sur une route de campagne, non loin de Verdun, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1944, circule une camionnette.

Le clair de lune et le manteau de neige brise l’obscurité de cette silencieuse nuit. Tout comme, soudainement, les coups de mortiers et de fusils brisent celui du calme de cette lumineuse nuit.

Les balles fusent de part et d'autre, un dialogue de sourds s'installe. Dans la forme, tout le monde répond mais dans le fond, personne ne s'entend. Ces faux débats d'hommes armés symbolisent la guerre, mais la guerre n'est que le prolongement, armé, des querelles d'hommes d'Etat. Notre jeune soldat est loin de ces divergences étatiques. Non, lui ce qui le frappe, peu à peu, ce sont tous ces paradoxes qui surgissent, c'était son premier affrontement. Malgré le bruit assourdissant des coups de feu, notre recrue se demande comment, malgré cela, le craquement d'une brindille, son souffle haletant puisse trahir sa position.

Ce souffle, qui laisse échapper une brume chaude, brume si étrangement vitale à ses yeux. Ce souffle sur lequel il se concentre pour ne pas qu'il cesse afin de pouvoir continuellement se réchauffer les doigts, comme pour un feu qui serait sur le point de s'éteindre. Si ces doigts venaient à geler, cela ne signifiera pas, pour lui, qu'il ne pourra plus préparer de succulents milles-feuilles, mais qu'il ne sera plus en capacité de défendre sa position comme lui a enseigné son instructeur, de l'académie militaire, en un jour. En un jour d'instruction, il dut apprendre à échanger son tablier d'apprenti pâtissier pour l'uniforme d'infanterie.

Il se revoit encore en train d'user de ce souffle pour tellement de moments qui lui paraissent en cet instant, si insignifiants. Pensant que s'il avait su lire entre les lignes des journaux avant ce soir-là, il se serait mobilisé bien avant, même s'il lui aurait fallu parcourir la France entière, comme ce fut le cas aujourd'hui. Originaire de Dax, dans le sud du pays, il se disait qu'il y avait bien meilleur contexte pour aller visiter le Nord.

Il continue d'économiser son souffle, ce même souffle qu'il se revoit gaspiller avec des bougies, avec des sautes d'humeur, avec condescendance...

« Pfff, pfff, pfff », à rythme régulier, il en use comme s'il tentait de ranimer un membre cher de sa famille ou encore un ami fidèle...

« Grenade ! »

À peine, il ne les sentait plus qu'une grenade se glisse sous leur camion, comme si le bruit de son dernier...

Le souffle de l'explosion mit fin à tous les autres. Ils étaient six, le 5 décembre et ne sont plus que cinq le 6, l'équilibre cynique des nombres. L'alchimie parfaite, un jour de plus mais une vie en moins. Tout ce qui est donné d'un côté est repris de l'autre, c'est ce qui se produit quand deux camps s'affrontent.

Au matin du 7 Décembre 1944.

« Officier Maxence faites-moi votre rapport sur la mission de repérage du 4e régiment, demanda-t-il sereinement avec une douceur que son officier ne lui reconnaissait pas.

- Le soldat, Jacques HOMPLI, né le 6 janvier 1916 à Rouen, mort en mission. Le sergent BAVE, né le 17 juin 1915 à Tourcouin et les soldats Marc AIHAVI, 27 ans et Thomas TISIER, 31 ans, ont tous été transportés à l’hôpital militaire de Saint-Dizier. Une recrue manque à l'appel.

- Jason, murmura-t-il dans un profond soupir, les yeux dans le vague alors qu'il feuilletait un calpin.

- Cette jeune recrue, Chef, n'a pas été enregistrée correctement, elle serait née en 1928, et elle est portée disparue... »

Pendant ce temps, le capitaine pose son calpin et s'avance vers la fenêtre

« ...Il aurait été séparé de son unité suite aux échanges avec les troupes allemandes postées à Verdun la nuit passée. Fin du rapport chef.

- Où es-tu petit ? s'interrogea-t-il calmement les yeux portés au loin vers l'horizon.

- Chef ? l'interpela-t-il plus timidement qu'à son habitude comprenant que le capitaine était affecté.

- Merci, rompez Maxence. »

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