Passion coupable

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XXIème siècle. La fin du monde n'a pas eu lieu. L'esclavagisme n'a plus lieu d'être. L'holocauste est un lointain souvenir. Les années soixante ont engendré une vague de libération sexuelle qui a déferlé sur les considérations monogamiques et archaïques d'antan. On se proclame bien pensant et ouvert d'esprit, on prône l'égalité raciale, l'égalité des sexes, la liberté de penser et d'action. Pourtant, si le monde n'a jamais été plus ouvert, il n'en a pas moins été aussi fermé d'esprit.


Aux informations, les médias font état du vote d'un projet de loi qui a divisé l'Assemblée. Dorénavant, sauf contrordre du Conseil Constitutionnel, les homosexuels pourront se marier. Les réactions sont partagées et font ressortir les états les plus primaires de la population française. Une certaine Virginie, starlette mondaine en quête de notoriété et autoproclamée porte-parole d'un mouvement qui se radicalise, ne promet ni larmes, ni sueur, mais bien du sang. A l'agence, les commentaires sont mitigés. Indifférence, approbation sans enthousiasme, franche hostilité, les avis virevoltent en salle de pause tandis que tourbillonnent les touillettes à café. Perdue dans ses pensées, Catherine ne pense qu'à la soirée qui l'attend, tandis que le débat a dérivé vers une autre fange de la population en marge. « Il vaut mieux des Roms morts que des regrets », lâche l'un de ses collaborateurs qui, ravi de constater que sa réplique a fait mouche, s'empresse de la partager sur Twitter.


De retour à son bureau, Catherine épluche sa liste de mails sans trop la voir. Confirmation de rendez-vous, mail automatique de réception ... de mail, proposition exceptionnelle pour « enlarger » son pénis, rien ne parvient à exciter sa curiosité ou focaliser sa concentration. Elle lève le regard un instant pour s'apercevoir que deux de ses collègues l'épient en chuchotant, un sourire entendu au coin des lèvres. Découvertes, elles s'empressent de faire semblant de vaquer à leurs occupations. Savent-elles ? Un flash. Les caresses de Marc sur son corps, leur empoignade vigoureuse. Un profond sentiment de culpabilité martèle le cœur de Catherine, dans ce royaume béni où la morale est reine et où les ragots et les rumeurs sont autant de coups de poignards pour les coupables de déviance.


A-t-elle vraiment commis un crime ? Marc n'est-il pas l'unique responsable de cette histoire ? Lui, le directeur charismatique de l'agence, mari attentionné et père exemplaire de deux enfants. Catherine rougit de honte à l'idée de cette pauvre femme, mère au foyer, qui ne se doute de rien à propos de son mari. Sur le quai de la gare, n'est-ce pas lui qui, sa progéniture et sa tendre moitié à peine parties, programmait un rendez-vous avec Catherine pour le soir même ? Mais qu'avait-elle en tête en acceptant cette entrevue intime et emplie de sous-entendus ? La reconnaissance d'un travail acharné, la perspective d'une promotion, la découverte d'un supérieur en dehors du cadre professionnel... Foutaises. Elle avait souhaité tester son potentiel de séduction. Pour s'en sortir dans un tel monde, il fallait sortir les crocs, ou comme Marc l'avait si bien fait, montrer qu'on en avait dans le pantalon. Face à elle, il n'avait pas été déçu.


Sans surprise, l'absence de Marc ne passe pas inaperçue. La porte close en bois massif de son bureau fait à Catherine l'effet d'un cercueil. La secrétaire particulière du patron s'occupe des affaires courantes, suite à la réception d'un mail du chef lui indiquant qu'il ne viendrait pas aujourd'hui. « Cloué au lit ». « Malade à en crever ». Tu parles... Ce n'est pas tout à fait faux, en réalité. La nuit a été longue mais Catherine a tenu à venir travailler, pour ne pas éveiller les soupçons. Marc est là où elle l'a laissé et où elle doit le rejoindre ce soir. Désormais, elle ne peut plus faire machine arrière. Le tintement de l'horloge résonne dans sa tête comme le battement d'un cœur qui semble sur le point de s'arrêter. Au moindre bruit, Catherine relève la tête et scrute ses collaborateurs. N'est-ce pas là un regard furtif qui se dérobe ? Un sourire en coin qui s'affaisse ? Un doigt pointé vers elle qui se rétracte ? Jamais journée n'a paru aussi longue.


Vient enfin la délivrance. Ses collaborateurs partent les uns après les autres. Dernière à partir, Catherine attrape son sac à main, qu'elle n'a même pas défait, récupère ses clés de voiture et descend jusqu'au parking pour s'engouffrer dans le cocon protecteur de son véhicule. La nuit est tombée. La route jusqu'à l'appartement luxueux de Marc se profile au travers des ruelles sinueuses de la vielle ville. A l'approche du lieu du crime, Catherine comprend bien qu'elle risque de s'engager dans une spirale infernale. Chaque jour, il faudra mentir, maîtriser le sentiment de culpabilité qui s'insinue en elle, affronter le regard inquisiteur des autres et se demander à chaque instant s'ils savent ce qu'elle a fait. Cette souillure, elle devra la garder pour elle. A qui pourrait-elle en parler ? Ce qui s'est passé la veille doit être pour Marc le cadet de ses soucis. Résolument, elle se gare, sort du véhicule et attrape son sac dans le coffre. Elle utilise le double des clés de Marc qu'elle possède depuis hier pour entrer dans la résidence. Personne en vue. Parfait. A mesure qu'elle monte les marches, son sentiment de culpabilité se fait de plus en plus pesant. L'escalier paraît interminable. Ses jambes rechignent à la mouvoir, son sac semble peser une tonne. Pourtant, il faut y aller. Arrivée jusqu'à la porte de l'appartement, elle s'arrête un instant pour masser sa nuque endolorie. Son corps porte encore quelques stigmates des ébats de la veille. Il avait fallu qu'elle repasse chez elle changer de vêtements (son chemisier avait craqué sous l'excitation de son partenaire d'un soir), se remaquiller et récupérer quelques affaires en vue de la soirée qui s'annonçait. Marc n'y était pas allé de main morte pour obtenir ce qu'il voulait. Et il avait obtenu ce qu'il méritait.


La porte s'ouvre et Catherine pénètre à l'intérieur avant de la refermer sans faire de bruit. Rien n'a changé depuis hier. Elle s'engage dans le couloir et se rend dans la chambre conjugale, où Marc l'attend. A mesure qu'elle avance, des flashs lui martèlent le crâne. Une bouteille de champagne servie au coin du lit, une ambiance tamisée, des photos de famille retournées, comme si ce qui allait se passer devait rester secret, des draps satinés... La porte de la chambre est close. La voix de Marc, apaisante et enivrante, la caresse de ses doigts sur sa jambe, son souffle brûlant sur sa nuque... Catherine réajuste la lanière de son sac sur son épaule et ouvre la porte. Les hurlements rageurs de Marc alors qu'elle se dérobe, la chaleur de ses doigts imprimée sur sa chair meurtrie, son souffle rauque et bestial. Catherine entre dans la pièce. Les draps déchirés, des morceaux de verre brisé, une bouteille de champagne qui devient une arme providentielle face à un homme qui a perdu toute son humanité et qui a besoin qu'on lui remette les idées en place...




Le corps de Marc gît sur le lit. Une tâche rouge sombre imprègne les draps sous sa tête immobile. Son regard froid et inerte est posé sur la bouteille de champagne ensanglantée. Lentement, Catherine pose son sac et sort méticuleusement ce qui va lui permettre de faire disparaître le corps et toutes les traces de son passage.


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