Souvenirs

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Après sa visite à Ron au Ministère, Hermione transplane directement pour prendre son service à l'hôpital Sainte-Mangouste. Aujourd'hui sera une journée décisive dans le traitement de ses parents, elle le sait, et déjà, elle appréhende les nouvelles émotions violentes qui l'attendent...

Le weekend était un test. Jonathan et Edith ont dû absorber les derniers souvenirs qui leur ont été implantés désormais. Pour la première fois depuis plus de dix ans, leur mémoire devrait à présent contenir des souvenirs réciproques de l'un et de l'autre... Après tous ces longs mois d'attente et de suspense, enfin, il va être possible de les mettre en contact. De les placer ensemble dans la même pièce, et de laisser les choses suivre leurs cours naturellement, pour permettre, peut-être, la création d'un nouveau vécu ensemble...

A peine arrivée, Hermione est accueillie par l'une des infirmières en charge de ses parents :

– Mage Granger, la salue-t-elle. Nous vous attentions. Monsieur Malefoy est déjà arrivé.

Malgré elle, le cœur d'Hermione se contracte. Elle n'est pas encore remise de son entrevue avec Ron. Pas encore remise de son merveilleux week-end hors du temps avec Drago non plus. Rien qu'en y songeant, ces événements lui apparaissent déjà presque comme un rêve, si extraordinaires qu'ils ne peuvent qu'appartenir au sommeil... En plus de tout le reste, le chagrin de Ron vibre toujours en elle. Il fait battre sa culpabilité comme le cœur d'un animal labourant ses entrailles, et elle sait qu'elle n'est pas prête de s'en débarrasser. C'est comme si tous les aspects de sa vie se mélangeaient brusquement sans aucune distinction : Ron, Malefoy, ses parents... Trois fils conducteurs de sa vie qui forment désormais une trame indissociable, mais dont elle ignore encore le dessin. Un paquet de cartes dont on aurait violemment rebattu le jeu...

– Où est monsieur Malefoy ? demande-t-elle à l'infirmière en se forçant à conserver son sang-froid.

– Il vous attend dans votre bureau pour peaufiner les derniers détails.

– Parfait.

Hermione inspire profondément. Il est temps d'aller voir si elle a rêvé ou non.

Lorsqu'elle pousse la porte de son bureau, elle doit presque s'empêcher de retenir son souffle. Drago est bien là, debout très droit dans l'un de ses ensembles noirs, occupé à passer en revue les notes des derniers souvenirs implantés aux époux Granger. Il se retourne aussitôt en l'entendant entrer, et le sourire qu'il lui adresse à cet instant dissipe tous les doutes irrationnels qu'elle aurait encore pu nourrir à son sujet :

– Bonjour, toi, lui dit-il simplement.

– Bonjour, toi, s'entend-elle répondre, heureuse au-delà de l'entendement rien qu'au son de sa voix.

C'est étrange. Elle n'a plus ressenti ce genre d'euphorie depuis son adolescence, et ne pensait pas être capable de l'éprouver à nouveau un jour. Et pourtant, à voir Drago Malefoy se tenir ainsi dans son bureau, comme si c'était là la chose la plus naturelle du monde, Hermione réalise pour la première fois que oui, ça y est, ils sont ensemble. Drago est sien, et elle est sienne. Désormais, la trame de leur avenir s'entremêlera, aussi profondément que l'amour qui les unit.

Devant son silence, le jeune homme laisse échapper un petit rire :

– Je te fais tant d'effet que ça ? la nargue-t-il.

– Tu n'as pas idée...

Hermione n'a pas honte de l'admettre. Devant lui, elle n'aurait pas honte de quoi que ce soit. Elle referme la porte sur eux pour leur accorder un peu d'intimité :

– Tu as eu le temps de récupérer un peu ? lui demande-t-elle par jeu.

– J'aimerais te dire que oui, mais je connais deux ou trois courbatures qui ne seraient pas de cet avis.

– Je t'avais dit que tu devrais pratiquer davantage d'exercice physique.

– Heureusement qu'en Médicomage dévouée, tu as prévu de te charger de ma remise en forme...

Il lui saisit la main pour l'attirer contre lui, et Hermione se laisse faire, anticipant déjà le contact de son corps contre le sien. Il l'embrasse doucement, une main dans son dos, l'autre contre sa joue. Hermione redécouvre son odeur comme si c'était la toute première fois qu'elle la sentait, et elle se demande si son cœur pourra réellement survivre à tant de bonheur renouvelé, chaque jour de sa vie.

Lorsqu'ils se séparent enfin, elle a le rouge aux joues et les jambes tremblantes. Pire qu'une adolescente... Face à elle, Drago arbore lui aussi un petit teint rosé qui met en valeur l'éclat de ses yeux pâles, et ses cheveux légèrement débraillés lui donnent un air délicieusement tentateur. Chose rare pour lui, il a remonté les manches de sa chemise blanche sur ses avant-bras, libérant sans complexe sa Marque des Ténèbres, mais surtout le tracé fin et délicat de ses muscles, et sa peau semée de grains de beauté. Hermione s'arrête sur chaque détail comme sur une œuvre d'art. C'est donc cela, être amoureux ? Elle croyait l'avoir oublié... Avec Drago, elle a le pressentiment qu'elle ne l'oubliera plus jamais.

– Je suis passée voir Ron avant de venir au travail, lui dit-elle, histoire de laisser au plus vite ce sujet derrière eux. Je... Je lui devais une explication.

Le jeune homme acquiesce, guère surpris :

– Ça n'a pas été trop dur ? lui demande-t-il, se préoccupant toujours en priorité de son ressenti.

– Ça n'a pas été plaisant, pour lui comme pour moi, c'est sûr... Je lui ai fait beaucoup de mal.

– Ce n'était pas dans tes intentions.

– Peut-être, mais je lui en ai fait quand même.

– Tu as fait ce qu'il y avait de plus correct à faire, étant donné les circonstances. Envers lui, envers toi et moi...

– C'est ce que j'essaye de me répéter... Mais ça ne rend pas les choses plus faciles.

– Comment a-t-il réagi ?

– Il était dévasté, bien sûr. Mais... je crois qu'il a compris ce que j'étais venue lui dire. Il n'a pas cherché à me retenir, il ne s'est pas mis en colère... Tu avais raison, il a changé, en mieux. Plus que je ne saurais le dire.

– Vous pourrez peut-être rester amis, alors.

– Peut-être... Il veut que nous gardions nos distances pour l'instant, et je le comprends. J'ignore dans quel état je serais à sa place.

– Ça lui passera. Ne t'en fais pas, je suis sûr que c'est un type bien. Il a juste besoin de temps, c'est tout. C'est normal.

Pressant doucement ses épaules, Drago approche son visage du sien et l'embrasse sur le front :

– Tu as fait ce qu'il fallait pour que nous soyons ensemble, mon amour, murmure-t-il. N'aie aucun regret pour ça.

Hermione frissonne. « Mon amour »... Jamais encore Drago ne l'avait gratifiée d'un tel surnom. Et pourtant, cela sonne tellement naturel entre ses lèvres.

– Tu as raison, répond-elle en se cramponnant à lui.

A nouveau, elle respire son odeur fraîche et salée qui a le don de l'apaiser. Le spectre de Ron s'éloigne, enfin, l'espace de quelques instants. Drago a raison. Elle a fait ce qu'il fallait pour laisser le passé derrière eux. Aujourd'hui marque le début de leur nouvelle vie ensemble, à Drago et elle...

– Est-ce que ça va aller ? lui demande le jeune homme en la regardant droit dans les yeux. Pour aujourd'hui ? On peut attendre quelques jours de plus, si tu veux...

– Non, refuse-t-elle aussitôt. Non, ça va aller, je t'assure. Je ne veux pas attendre plus longtemps.

Elle se redresse, tente d'insuffler à sa posture la même assurance qu'à ses paroles :

– Mes parents attendent déjà depuis trop longtemps. Il est temps de les réunir.

Elle lui prend la main :

– Comme toi et moi nous nous sommes réunis...

En réponse, Drago lui accorde à nouveau ce sourire qui lui donne la force d'avancer, et tous deux quittent le bureau pour l'agitation trépidante de l'hôpital.

L'équipe au grand complet les attend déjà devant la salle de repos où il a été convenu que la « rencontre » entre Jonathan et Edith Granger aurait lieu. Pour l'occasion, la pièce a été équipée d'un miroir sans tain, afin qu'Hermione puisse observer ses parents sans qu'eux-mêmes ne la voient. En effet, ils ne sont pas encore parvenus au stade de leur mémoire qui a fait d'eux les parents d'une petite Hermione... Pour l'instant, ils sont simplement deux étudiants en médecine, jeunes mariés et amoureux, qui songent à construire un avenir...

La porte du fond s'ouvre pour laisser entrer Jonathan Granger. Depuis les quelques jours qui se sont écoulés, une certaine transformation s'est déjà opérée en lui : il a troqué son pyjama et sa robe de chambre d'hôpital pour une tenue plus conventionnelle : un jean et un polo un peu trop jeunes pour lui, plus adaptés à sa mentalité de vingt-cinq ans qu'à son âge réel de cinquante-trois ans. Il a visiblement fait quelques efforts de présentation : ses joues sont rasées de près, ses cheveux soigneusement peignés en arrière, et pour un peu, Hermione trouverait presque que son père a l'air nerveux. Sans doute a-t-il eu le temps d'assimiler les souvenirs de sa romance avec Edith durant le week-end. Et sans doute les infirmières l'ont-elles averti qu'aujourd'hui, pour la première fois depuis l'« accident » qui leur a à tous les deux fait perdre la mémoire, ils allaient se retrouver elle et lui seuls dans une même pièce...

Hermione se fend d'un sourire. La brusque timidité de son père à la perspective de revoir sa bien-aimée la touche, d'autant plus à présent qu'elle nage elle-même en plein océan de guimauve. Ne reste plus qu'à prier à présent pour que les choses se passent bien...

– Je vais vous laisser maintenant, Jonathan, dit l'infirmier qui l'a conduit dans la pièce. Le petit déjeuner est servi sur la table là-bas. Edith ne devrait pas tarder à arriver. Respirez un grand coup, soyez vous-même, et tout ira bien, vous verrez. N'oubliez pas que vous êtes mariés depuis presque trente ans, elle et vous. Les vieilles habitudes vont vous revenir rapidement, ne vous en faites pas.

– Mais si jamais je... Je ne lui plaisais pas ?

– Il n'y a aucune raison que vous ne lui plaisiez pas, vieux charmeur. Allez, je vous laisse. Vous allez assurer.

Sur ce dernier clin d’œil, l'infirmier se retire, et Jonathan s'assoit pour attendre nerveusement devant sa petite tasse de thé, aussi tendu qu'Hermione derrière la vitre sans tain. La jeune femme sent Drago lui presser doucement l'épaule, et elle se force à prendre à nouveau une profonde inspiration.

Quelques secondes plus tard, la porte se rouvre, et c'est au tour d'Edith d'entrer. Cette fois, l'infirmière ne l'accompagne pas : elle se contente d'un « Soyez sages, les amoureux ! », avant de refermer doucement la porte sur eux.

Jonathan se lève d'un seul coup, comme dressé sur ressorts, et Edith sursaute presque en l'apercevant. Elle aussi semble avoir fait quelques efforts de présentation. Elle n'a plus rien à voir avec la femme-enfant au regard vide qui se balançait d'avant en arrière dans sa chambre quelques mois plus tôt. Aujourd'hui, ses cheveux bruns teintés de mèches auburn sont soigneusement disciplinés en lourdes boucles sur son épaule gauche. Un discret éclat de maquillage rehausse la teinte noisette de ses yeux et de ses tâches de rousseur. Elle a revêtu un petit chemisier blanc dans lequel elle ne semble pas très à l'aise, comme parée de vêtements qu'elle aurait empruntés. Une chaînette dorée scintille à son poignet droit, en écho à son regard. On pourrait presque reconnaître un peu de sa fille en elle. L'esquisse du visage d'Hermione apparaît de-ci de-là dans les traits de sa mère, marquée par l'âge et par dix années d'oubli, mais vivante et vive aujourd'hui, malgré tout.

– Bonjour, dit-elle d'une petite voix timide, et Hermione porte ses mains à son visage en pleurant.

Même si ses parents ne peuvent même pas s'apercevoir de sa présence, elle ne peut contenir son émotion à les voir ainsi réunis, échangeant quelques mots pour la première fois depuis plus de dix ans.

– Tu dois être Jonathan, poursuit Edith avec un sourire réservé.

– Et tu dois être Edith.

Jonathan s'avance. Une égale réserve se lit dans tous ses gestes, mêlée d'émerveillement et d'incertitude. De longues secondes, les deux époux se scrutent l'un l'autre, tentant de déchiffrer leurs traits, de reconnaître en eux le conjoint et l'amour qu'ils se sont portés...

Les souvenirs qui leur ont été administrés quelques jours plus tôt les ont ramenés au cœur de leurs vingt-cinq ans. Ils ont donc gardé en mémoire l'image qu'ils avaient d'eux à cette époque. Et voilà qu'ils se découvrent à présent, presque trente ans plus tard.

– Tu es très belle, murmure finalement Jonathan.

Edith rosit légèrement, et ce n'est pas seulement dû au maquillage :

– Merci... Tu as... un peu grossi.

Jonathan éclate de rire. Derrière la vitre, Hermione ne retient plus ses larmes :

– Ils se parlent, Drago ! s'exclame-t-elle en l'agrippant par les épaules. Ils se parlent, tu te rends compte ! Ils rient ensemble !

– Je vois ça, Hermione, rayonne Drago en la serrant contre lui. Je les vois.

D'un geste, Jonathan invite Edith à s'asseoir, puis il lui serre du thé en parvenant presque à contenir ses tremblements :

– Alors aujourd'hui, c'est le grand jour, pas vrai ? reprend-il.

– Oui. Le jour où nos médecins si dévoués testent les souvenirs que nous avons l'un de l'autre...

– Et nos sentiments.

Jonathan repose la théière avec un léger sourire. Malgré elle, Hermione ne peut retenir un petit rire. Elle n'aurait jamais imaginé son père aussi séducteur. Visiblement, Edith s'en rend compte elle aussi, et ses joues se teintent à nouveau d'une agréable couleur rosée :

– De quoi te souviens-tu ? demande-t-elle alors.

Jonathan se masse la nuque :

– C'est très confus... Je ne me souviens pas de l'accident. Je sais juste ce que les médecins m'en ont raconté : le choc a été très violent, et a entraîné des dommages habituellement irréparables dans l'aire de nos cerveaux dédiée à la mémoire... Nous avons été sélectionnés pour tester un traitement expérimental, et jusqu'à présent, ça marche... Mais ce sont les souvenirs les plus anciens qui remontent en premier.

– Non, je voulais dire... De quoi te souviens-tu à propos de moi ? A propos de nous ?

Jonathan se fend d'un regard très doux :

– Je me souviens du jour de notre rencontre. Tu portais un tailleur bleu marine : je ne l'oublierai jamais. Tu étais ravissante, perdue là au milieu de cette foule d'étudiants, avec tes cheveux qui étincelaient de reflets roux sous la lumière du soleil... Je ne voyais que toi. C'était mon premier jour, ma toute première heure de médecine. Et je ne voyais que toi.

Plusieurs secondes s'écoulent, dans un silence qui n'a rien de gênant. Edith paraît subjuguée, et Hermione n'a pas de mal à comprendre pourquoi :

– C'est drôle, reprend finalement Edith. Dans mon souvenir, ce tailleur était vert...

– Il faut croire que leur traitement n'est peut-être pas totalement au point, plaisante Jonathan.

Puis, plus sérieux :

– Et toi, de quoi te souviens-tu ?

– Du jour de notre mariage, répond Edith sans hésiter. Nous avons tous eu une frayeur parce que ton père avait égaré les alliances. Ta mère m'avait prêté son ruban de soie bleu, pour me porter bonheur. Ta tante Mildred a critiqué ma robe en croyant que je ne l'entendais pas... Elle n'a jamais pu m'aimer celle-là. Même sans mes souvenirs, je crois pouvoir affirmer que ça n'a pas beaucoup changé aujourd'hui...

– Tu es sûre ? Dans mon souvenir, il me semblait qu'elle t'adorait !

– Je ne sais plus... Peut-être qu'il nous faudra du temps pour que tout cela se stabilise à nouveau dans nos esprits. Après tout, les médecins nous ont prévenus que ce traitement était lourd, et imprévisible... Il ne faudra pas trop nous en vouloir s'il nous arrive d'avoir des trous de mémoire de temps en temps.

Jonathan hoche la tête avec indulgence. De l'autre côté de la vitre, Hermione, elle, fronce les sourcils. Elle n'a pas besoin d'échanger un regard avec Drago pour savoir qu'il partage ses réflexions. Des divergences apparaissent déjà dans les souvenirs et ressentis de ses parents. Des divergences mineures, certes. Mais elles sont bien là malgré tout. Elles ne feront que se creuser à mesure que les souvenirs s'enracineront dans leur esprit, chercheront leur place, et surtout, combleront les innombrables manques que Drago et Hermione n'ont pas pu reconstituer. Et si Jonathan et Edith ne comblaient pas leurs manques de la même manière ?

– J'aimerais te poser une question, reprend soudain Jonathan, de ce même air timide qu'il avait au début de l'entretien. Loin de moi l'idée de te brusquer, et si c'est le cas, je t'assure que je m'en excuse d'avance. Mais... Je crois que ce serait mieux si nous essayions d'être honnêtes dès le début l'un avec l'autre.

– Le début, c'est un peu une façon de parler, relève Edith pour détendre l'atmosphère.

– Oui, bien sûr. Tu vois ce que je veux dire.

– Je t'écoute.

– Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu penses de moi ? Est-ce que tu ressens toujours quelque chose pour nous ?

Si Edith paraît surprise par la question, elle ne le montre pas. Elle prend néanmoins son temps pour répondre. Ses petites mains croisées devant elle expriment sa concentration :

– J'ai la tête remplie de merveilleux souvenirs avec toi, répond-elle enfin au bout de longues secondes. J'avoue que j'ai encore du mal à m'y raccrocher. Comme si toutes ces pensées qui envahissaient mon esprit... n'étaient pas encore très palpables, très concrètes. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ?

– Oui. Je crois que j'éprouve la même chose. C'est comme si je me souvenais d'un rêve que j'avais fait il y a très longtemps, mais... Sans savoir s'il est réel ou non.

– Voilà. J'aime ces souvenirs que j'ai avec toi. Mais je ressens encore un tel écart entre ces souvenirs et ce que nous sommes aujourd'hui...

D'un geste, elle désigne son reflet et celui de Jonathan dans le miroir sans tain :

– Tu n'es pas trop déçue ? demande Jonathan. Dans les souvenirs que tu as de moi, je sais que je dois avoir l'air plus fringant.

Edith éclate de rire :

– Qu'est-ce que je devrais dire ?

– Tu es toujours très belle.

– Merci beaucoup. Mais je n'ai plus vingt-cinq ans. Ce serait se mentir que de prétendre le contraire, même si nos esprits restent bloqués à cet âge pour l'instant...

– Est-ce que les médecins t'ont dit que... Que nous avions une fille ?

Edith acquiesce, plus pensive que jamais. Derrière la vitre, Hermione retient son souffle. Pour la première fois depuis plus de dix ans, ses parents s'apprêtent à parler d'elle. A reconnaître son existence.

– Oui, murmure Edith. Hermione. Ils ne nous autorisent pas à la voir tant que nos souvenirs d'elle ne nous sont pas revenus... Cela paraît tellement vertigineux tout ça. Le dernier souvenir qu'il me reste en tête, c'est ma fête d'anniversaire chez nous, dans notre petit appartement à Londres. Nous sommes jeunes mariés, nous faisons encore nos études... Mais la réalité, c'est que trente années se sont écoulées depuis, et que j'ai déjà une fille de vingt-huit ans... Elle est plus âgée que je ne le suis en esprit.

– Est-ce que ça te fait peur ?

– Un peu. Je t'avoue que la nuit, j'ai peur de m'endormir. Je sens ce vide immense en moi qui sommeille encore, prêt à m'avaler... Je songe à toute cette vie que j'ai perdue, et je me demande si j'arriverai un jour à la retrouver totalement. Et si cette vie a été heureuse...

Jonathan lui prend la main :

– Je me souviens de ce pour quoi je t'ai épousée, déclare-t-il d'une voix douce mais ferme. Je suis peut-être aussi confus que toi à cet instant, et j'ignore peut-être totalement comment nos mémoires évolueront par la suite... Mais je tiens à te dire que dorénavant, nous allons pouvoir traverser cette épreuve ensemble.

Il ajoute, si bas qu'Hermione peut à peine l'entendre :

– Tu sais, les souvenirs que j'ai récupérés de toi sont les plus beaux qui me sont revenus, depuis le début de ce cauchemar.

Edith sourit. Une petite larme se glisse au coin de ses pattes d'oie :

– Je suis rassurée de ne plus être toute seule, avoue-t-elle.

– Nous allons nous en sortir. Si tu veux, nous comparerons nos souvenirs un par un, nous prendrons le temps de nous redécouvrir. Nous nous sommes aimés une fois. C'était à la fois hier, et il y a très longtemps. Je ne doute pas que nous puissions y parvenir à nouveau.

Edith acquiesce, les doigts serrés autour de ceux de Jonathan. Derrière la vitre, Drago et Hermione, eux, consentent enfin à échanger leurs impressions. Le moment qu'ils redoutaient est enfin venu. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas l'éviter, bien sûr, mais... Ils ont atteint le point de non-retour. Les souvenirs qu'ils ont reconstitués de toutes pièces vont être passés au crible de la réalité, de la logique et de l'esprit d'Edith et Jonathan. Ne reste plus qu'à savoir s'ils y résisteront.

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