Conséquences

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Drago s'éveille d'un sommeil de plomb, le genre de sommeil réparateur qu'il n'a plus connu depuis trop longtemps. L'espace d'un instant, l'épuisement s'attarde dans ses muscles, mais ce n'est pas désagréable. C'est une fatigue saine : celle d'un corps qui s'est dépensé dans l'effort, après une longue période de torpeur.

Drago savoure cette sensation tandis qu'il reste étendu là, entièrement nu, dans une chaleur moite qui le préserve du froid. Il sent la naissance de courbatures dans ses abdominaux et au creux de ses reins : une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, que ses membres manquaient d'exercice physique depuis un certain temps déjà.

Cette pensée fait naître un sourire fugitif sur son visage. L'une après l'autre, les perceptions de son corps se manifestent, et il s'attarde sur chacune d'elle. La lueur tamisée de la baguette d'Hermione, restée allumée auprès d'eux, à veiller toute la nuit sur leurs étreintes. L'odeur douce et fleurie de la jeune femme, mélangée à celle de Drago, leurs deux parfums mêlés jusqu'à devenir indissociables. La respiration d'Hermione, profonde et paisible dans le silence. Et surtout, son corps chaud contre le sien.

D'une main légèrement tremblante, Drago effleure la silhouette toute en courbes de la jeune femme, comme pour vérifier qu'elle est bien réelle, là, auprès de lui. Après tout, il pourrait très bien s'agir d'un nouveau tour de son esprit. Peut-être s'est-il vraiment enfoncé dans ces ténèbres qu'il redoutait tant. Mais si telle est vision qu'il y a à y trouver, alors peut-être ces ténèbres ne sont-elles pas si terribles...

En écho à ses pensés, Hermione frémit et ouvre soudain les yeux. Aussitôt, son visage s'éclaire d'un sourire :

- Bonjour, toi, dit-elle dans la semi-obscurité.

- Bonjour, toi, répète Drago, sans parvenir à déterminer si ce qu'il vit est réel ou non.

L'expérience lui a appris à se méfier des espérances, particulièrement ces dernières semaines. Mais tout a l'air si réel, pourtant. Alors qu'il se laissait lentement sombrer dans la nuit ces derniers temps, alors même qu'il souhaitait voir la fin arriver au plus vite, Drago a vu progressivement décliner sa sensibilité aux couleurs, à la luminosité, à la température, aux goûts, aux odeurs, aux sons... Mais là, tout de suite, ces sensations explosent dans son esprit tel un feu d'artifice d'une intensité sans pareille.

Après des mois de privation, cette petite atmosphère intimiste dans la solitude de cette cave sous les rues de Londres prend soudain pour son cerveau des allures de grand spectacle. Tout l'émerveille : la beauté de la lumière, le parfum irrésistible des cheveux d'Hermione, sa peau sur la sienne... A tel point qu'il pourrait se murer ainsi des heures dans le silence, à tout admirer, tout redécouvrir, humer ces arômes et s'y vautrer jusqu'à ne plus jamais les oublier.

Silencieuse face à lui, Hermione semble pouvoir lire sans peine le cours de ses pensées :

- Tu te demandes si tout cela est réel, n'est-ce pas ? s'enquiert-elle.

Drago esquisse un sourire d'excuse :

- J'espère que tu ne m'en voudras pas trop. J'ai appris à me méfier de mon esprit.

- Non, je comprends.

La jeune femme se redresse sur un coude pour porter son visage à hauteur du sien :

- C'est difficile de croire au bonheur, lorsqu'on l'a perdu depuis longtemps.

Il y a un mélange de douceur et de gravité dans ses paroles. Rien que sa voix suave suffit à bouleverser Drago plus que de raison. Elle se penche alors et l'embrasse délicatement sur les lèvres :

- Ça, tu le sens ? demande-t-elle.

Drago acquiesce, le souffle court, incapable de parler ni même de respirer.

- Et ça ?

Ses baisers descendent le long de son cou, épousent la courbe de ses épaules. Drago perçoit chaque caresse de ses lèvres comme une pluie de frissons, une multitude de petits arcs électriques qui lui font comprendre que oui, il est toujours bien en vie, ancré ici sur cette Terre, avec cette jeune femme dans ses bras, et que ce qu'il vit est réel.

- Tu m'as ramené à moi, murmure-t-il en effleurant d'une main la joue d'Hermione.

- Je regrette d'avoir mis tant de temps à le faire.

- Non... Ne regrette rien.

Drago l'embrasse à son tour. Le souvenir de leurs ébats de cette nuit lui revient, comme dans un rêve embrumé. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas connu pareille passion dans sa vie. Il n'est même pas sûr, en fait, d'avoir déjà éprouvé quelque chose de comparable.

Bien sûr, avant de sombrer dans la guerre, avant d'être marqué par Voldemort et de rejoindre les rangs de ses Mangemorts, il avait connu quelques nuits torrides d'adolescent. Il était beau, à l'époque, et il avait su en profiter, particulièrement auprès des jeunes filles de bonne famille envoyées à Serpentard. Mais ce n'était rien de plus que des jeux d'adolescent. Il s'était bien amouraché une fois ou deux, de Pansy Parkinson ou d'Astoria Greengrass, mais jamais rien qui ne lui fasse tourner la tête comme c'est le cas aujourd'hui, dix ans plus tard.

Aujourd'hui, il se trouve vieux. Le malheur lui a volé les atouts de son corps, et bien plus. Mais dans l'obscurité de cette cave humide, il se sent plus heureux qu'il ne l'a jamais été. Pour la première fois de sa vie, il est amoureux. C'est une pensée étrange, qui pourtant s'épanouit en lui telle une rose, et il la laisse faire sans lutter :

- Je t'aime, murmure-t-il à Hermione, sans la moindre crainte.

Les grands yeux bruns de la jeune femme s'illuminent à l'annonce de ces mots :

- Je t'aime aussi, répond-elle sans la moindre hésitation.

Et cela résume le lien qui les unit désormais. Plus d'hésitation. Plus d'espace entre leurs mots, leurs cœurs et leurs corps. Drago a suffisamment souffert dans sa vie pour connaître la valeur de ce qu'il éprouve aujourd'hui. Il sait que dans l'existence, le bonheur est bien souvent plus rare que tout le reste, et qu'il faut le chérir et s'y accrocher lorsqu'il se présente. Alors, Drago s'accroche. Parce qu'il l'a promis. Parce que, pour la première fois depuis dix ans, il veut vivre :

- Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? demande-t-il, avec la sensation d'être un enfant perdu dans la nuit.

Hermione incline la tête :

- Tu es inquiet ?

- Tant que je suis ici avec toi, j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. J'ignore quelle heure il est, et je ne veux pas le savoir. Mais tôt ou tard, le monde finira bien par nous rattraper. Il nous faudra sortir de cette cave, et alors... Je ne sais pas ce qui arrivera.

- Que veux-tu qu'il arrive ?

- Weasley... Potter... Ma maladie...

Hermione baisse les yeux. Drago s'en veut de ramener aussi vite leurs problèmes dans leur vie, mais il serait puéril de les éviter.

- Je ne veux pas faire souffrir Ron, déclare soudain Hermione. Et je ne dis pas ça pour te faire souffrir non plus. Notre histoire à lui et moi est terminée, mais... Je tiens toujours à lui. Il sera toujours une part de moi, et je ne veux pas lui faire de mal. Pas plus que je ne lui en ai déjà fait, en tout cas...

- Comment crois-tu qu'il réagira ?

- Je n'en sais rien... Il y a quelques années, j'imagine qu'il t'aurait cassé la figure, ou pire, mais maintenant... Il me paraît plus sage. Plus aguerri, en un sens, et cela le rend plus insaisissable. Mais je crois sincèrement qu'il pourra s'en sortir sans moi. Il avait déjà pratiquement réussi. Sa seule erreur aura été de se raccrocher à mon souvenir. Il faut croire que quelque part, nous sommes tous retenus par notre passé d'une manière ou d'une autre... Mais Ron, lui, n'a plus qu'un pas à faire pour s'en libérer.

- C'est étrange, mais... Je ne veux pas qu'il souffre non plus.

Hermione sourit :

- Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait à Drago Malefoy ?

- Ah, ne te moque pas...

Drago ébouriffe ses cheveux bouclés, et rit du plaisir particulier que ce simple geste lui procure :

- Je trouve aussi qu'il a changé, en bien, poursuit-il. Cela a dû lui demander un gros travail sur lui-même. Tout le monde n'est pas capable d'une telle chose.

Hermione acquiesce :

- Il va me manquer...

Drago la serre contre lui :

- Il n'a aucune raison de sortir de ta vie. Pas totalement.

- Mais cela vaudra peut-être mieux pour lui.

- Ce sera à lui de décider.

Drago soupire, rattrapé par toutes ces pensées parasites qui assaillent son esprit :

- C'est difficile pour moi de penser à l'avenir... J'ai l'impression d'être un imposteur.

Hermione fronce les sourcils :

- Pourquoi un imposteur ?

Drago prend le temps de chercher ses mots. Il se concentre, sur toute cette multitude de petites choses qu'Hermione lui a permis de retrouver, temporairement : l'odeur de la pierre, de la terre battue et de leurs ébats, l'écho discret de la roche et de la rue au-dessus d'eux, le contact du matelas sous ses doigts, avec sa couverture rêche, et la peau d'Hermione sur la sienne... Tous ces petits riens forment notre réalité. Ils forment notre vie, jour après jour. Sans eux, et Drago l'a appris à ses dépens, nous ne sommes plus rien. Ils nous ancrent dans le présent, et il faut prendre le temps de s'y attarder, parfois, pour apprécier pleinement la valeur de la vie.

Mais Drago sait aussi à quel point tous ces petits riens peuvent être éphémères. Déjà, il les sent lui échapper. Ses sens sont affûtés, là, tout de suite. Mais ils ne tarderont pas à replonger dans les ténèbres :

- Je suis heureux ici, maintenant, avec toi, déclare-t-il finalement. Mais ce serait se mentir que d'affirmer que je vais mieux, juste parce que nous nous sommes trouvés toi et moi. Quel qu'il soit, le mal qui me ronge existe toujours. Il ne s'avouera pas vaincu si facilement, uniquement parce que toi et moi avons partagé une nuit ensemble...

- Combien de nuits crois-tu qu'il faudra ? réplique Hermione, malicieuse.

Drago voit bien qu'elle tente de combler ses craintes en disant cela, mais l'inquiétude s'attarde déjà sur ses propres traits :

- Un problème après l'autre, d'accord ? reprend-elle. Tu m'as promis que tu ne baisserais pas les bras. Et moi, je t'ai promis de ne pas t'abandonner.

- Mais je n'ai rien à t'offrir, Hermione ! Strictement rien ! Je ne peux même pas envisager de construire un avenir avec toi, parce que... Parce que ce serait injuste ! Je suis un cadavre ambulant ! Qui sait combien de temps il me reste à vivre ? Je peux mourir d'un instant à l'autre, sombrer dans un abîme trop profond pour que tu puisses m'y rechercher, je peux me coucher un soir et ne pas me réveiller le lendemain ! Est-ce que tu as conscience de tout cela ?

- Bien sûr que oui ! C'est pour cela que nous allons nous battre, Drago ! Nous battre ensemble !

Fébrile, Hermione prend sa main dans la sienne et la porte à ses lèvres pour l'embrasser :

- Ce que nous avons maintenant, cela me suffit. Amplement.

- Mais tu mériterais tellement mieux ! Tu mériterais quelqu'un qui puisse te faire des promesses, quelqu'un avec qui planifier tes rêves, et les réaliser !

- Tu es mon rêve ! Tu es mon rêve, et je compte bien le réaliser.

Drago reste bouche bée. Hermione l'embrasse pour le faire taire :

- Ne te préoccupe pas de tout cela, d'accord ? Fais-moi confiance. Je vais y arriver. J'ai ramené mes parents du monde de l'oubli, je parviendrai bien à te ramener du monde des morts.

Drago ne peut s'empêcher de sourire face à une telle détermination. C'est bel et bien Hermione Granger, telle qu'il l'a toujours connue :

- Et que diront tous les autres ? s'inquiète-t-il. A l'hôpital, tes collègues, tes patients... S'ils apprennent que nous sommes ensemble, la presse...

- On s'en contrefout de ce que les gens pensent.

- Non. Crois-moi, on ne s'en contrefout pas. Ça m'a pris beaucoup de temps pour récupérer mon anonymat, et du temps où je ne l'avais pas, les autres, comme tu dis, avaient le pouvoir de me pourrir la vie... Je ne veux pas qu'ils te fassent la même chose.

Hermione hausse les épaules, avec un petit rire ironique :

- Il y a bien longtemps que les tabloïds ne s'intéressent plus à moi, si cela peut te rassurer.

- Ils ont sorti quelques articles, pourtant, quand tu t'es remise avec Ron.

La jeune femme ne peut masquer sa surprise. Drago reprend :

- Tu ne le vois peut-être pas parce que tu n'y fais pas attention, mais tu es toujours une héroïne de guerre, Hermione. Les gens se préoccupent de ce que tu deviens. Lorsque Ron et toi vous êtes remis ensemble, ça a fait la une de plusieurs journaux, surtout Sorcière Hebdo. Le sorcier moyen était ravi de voir les deux légendes Ron Weasley et Hermione Granger se remettre ensemble. Une vraie romance dramatique, comme Roméo et Juliette. Tout le monde espérait y voir enfin un happy end. Mais maintenant, si tu t'affiches avec Drago Malefoy...

Hermione secoue la tête :

- Je les emmerde tous !

- Ça ne suffira pas. Ça ne les tiendra pas à l'écart.

- Je n'ai pas envie de me cacher. Je n'ai pas honte d'être avec toi.

- Moi non plus. Il n'est pas question d'avoir honte, pas du tout. C'est juste que... Ils ne comprendront pas.

- Mais ça ne les regarde en rien ! Et puis, ce n'est pas comme si nous allions nous afficher comme des adolescents, de toute façon...

- Non, mais il faudra faire attention.

Hermione expire d'un coup, exaspérée, mais elle finit par acquiescer :

- Il suffira de se montrer prudents à l'hôpital, c'est tout.

- Et moi qui rêvais de te bécoter dans les couloirs...

La jeune femme lui accorde un sourire d'indulgence. Elle sait que Drago ne fait qu'essayer de la détendre, face à cette dure réalité qui les attend.

- Tu n'as qu'à me bécoter maintenant, réplique-t-elle. Profites-en, tant que le monde ne nous a pas encore rattrapés.

Drago ne se fait pas prier pour obéir. Il profite lui aussi de chaque seconde de répit que sa maladie lui accorde, de chaque sensation volée à la mort qui l'attend. Sous ses doigts, Hermione lui apparaît comme une œuvre d'art dont les infinies nuances se déploient lentement, une sculpture aux mille et une facettes, douce et parfaite, qui remplit son univers et l'enivre. Drago reprendrait bien de ce vin, encore et encore, jusqu'à s'y noyer. Il ne se lassera jamais du parfum de sa peau et de ses cheveux, du goût de ses lèvres, de sa voix rauque et mélodieuse entre deux soupirs, de la chaleur moite qui les unit, et de sa beauté pure dans la pénombre à peine esquissée. Pendant ce bref moment, Hermione et lui sont immortels. Leur vie entière pourrait se résumer à ce seul instant, un instant hors du temps. Ils ne seront jamais plus heureux, plus liés et plus vrais que maintenant. Et quel que soit le futur qui les attend, ils l'affronteront ensemble.


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