La Cave

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Hermione réapparaît directement devant la boutique de Drago. Le temps n'est pas aussi clément, dans les rues de Londres. Il se teinte d'une bruine malsaine qui empoisse l'atmosphère. Sans vraiment savoir pourquoi, la jeune femme y voit là l'ombre d'un mauvais présage. Elle reste néanmoins trop bouleversée par ce qu'elle vient de vivre pour s'y attarder plus longtemps : n'hésitant plus, elle pousse la porte de la boutique et fait sonner le carillon.

Personne.

Drago n'est pas là : les lieux résonnent de son absence. De plus en plus persuadée que quelque chose ne tourne pas rond, Hermione fait le tour de l'arrière-boutique, appelant quelques fois son nom, avant de se résoudre à retourner dans la rue, là où se trouve l'accès de la cave qui sert de dortoir au jeune homme.

Hermione frappe ; sans résultat. Les doubles portes enfouies au niveau du sol sont verrouillées. Se permettrait-elle... ?

L'espace d'un instant, Hermione envisage de renoncer, de rentrer chez elle, et de se débarrasser de cette stupide robe blanche qui la déguise en une personne qu'elle n'est pas. Et puis, la perspective de se retrouver toute seule dans son appartement, avec Ron susceptible de débarquer d'un instant à l'autre, la retient. Non, elle ne peut décidément pas se retrouver seule là tout de suite. Elle a besoin de parler à Drago.

Bien sûr, peut-être a-t-il eu des plans pour le week-end, lui aussi. Peut-être n'est-il pas chez lui. Mais cela ne lui ressemblerait pas. Lorsqu'ils se sont quittés à la fin de la semaine, le Serpentard lui a assuré qu'il travaillerait chez lui les deux jours suivants, fignolant les derniers détails des prochains souvenirs à implanter aux parents d'Hermione. Il devrait être là.

Hermione en est là de ses réflexions lorsqu'elle parvient enfin à se convaincre de forcer la porte de Drago. Ce n'est qu'un petit sortilège de rien du tout, après tout, et elle est sûre que le jeune homme ne lui en tiendra pas rigueur. Ce n'est pas comme s'il avait quelque chose à cacher dans cette cellule de moine qui lui sert de foyer, de toute façon...

– Alohomora, murmure la jeune femme.

Les doubles portes s'ouvrent sans bruit devant elle. A ses pieds, l'obscurité. L'escalier s'enfonce dans le noir :

– Drago ? appelle Hermione.

Pas de réponse. Tout semble indiquer que le Serpentard s'est bel et bien absenté. Et pourtant, Hermione ne peut se départir de ce pressentiment étrange, ces picotements à l'arrière de la nuque qui lui intiment de continuer, de passer son visage à travers l'ouverture, sa baguette allumée et pointée devant elle :

– Drago ?

A mesure qu'elle descend les marches, les contours de la cave lui apparaissent, avec ses colonnes taillées dans la roche, ses sculptures rongées d'humidité, et ses voûtes perdues dans les ténèbres. Les quelques affaires personnelles que Drago a entreposées là se profilent également : un poêle éteint, une malle d'où dépassent quelques robes de sorcier, une étagère croulante de livres, et le bout du matelas élimé que Drago utilise comme lit. Une silhouette y est étendue :

– Drago ! s'exclame Hermione.

Refermant à toute vitesse les deux battants derrière elle pour échapper à la pluie, Hermione se précipite au chevet de Drago. Quelques instants lui suffisent pour constater qu'il va bien, mais l'adrénaline pulse malgré tout dans ses veines au rythme de son cœur affolé :

– Tu m'as fait une de ces peurs ! dit-elle tout en s'asseyant sur le rebord des couvertures.

Drago ne répond pas. Il est éveillé pourtant, car ses yeux grands ouverts fixent le plafond au-dessus de sa tête. A mesure que les secondes s'écoulent, l'horrible pressentiment se cristallise dans les veines d'Hermione : Drago n'a pas réagi à sa présence. Il reste là, étendu sur le dos, sans même battre des paupières, un air étonnamment pensif plaqué sur son visage figé. La plus affreuse des pensées traverse l'esprit d'Hermione comme une balle : et s'il était mort ?

Elle presse aussitôt sa main dans les siennes, mais non : sa peau est chaude, et son pouls bat régulièrement sous la pulpe de ses doigts.

Hermione expire longuement, bien que son soulagement soit de courte durée :

– Drago ? insiste-t-elle tout en secouant le Serpentard de toutes ses forces. Drago, tu m'entends ?

Aucune réaction. A ses yeux grands ouverts et à sa respiration, Hermione devine que le jeune homme n'est pas endormi, et pourtant, il semble incapable de revenir à lui, incapable de réagir à son environnement et de remarquer sa présence. Comme s'il ne pouvait plus la voir, ni la toucher, ni l'entendre...

Le cœur au bord des lèvres, Hermione se force à réfléchir, très rapidement. Drago n'a pas pu sombrer ainsi au fond de lui-même, c'est impossible. La dernière fois qu'ils se sont vus, il allait bien ! N'est-ce pas... ?

Hermione repense à ces derniers instants. Lorsque Drago l'a observée rentrer chez elle, pour un nouveau week-end avec Ron, tandis que lui s'en retournait seul, comme toujours, dans sa cave obscure, avec ses fioles de souvenirs pour unique perspective. Allait-il vraiment bien ? Ou était-ce elle qui tentait de s'en convaincre ? De s'en convaincre le plus possible, afin de ne pas culpabiliser de ce temps et de ce bonheur passés avec Ron ?

De plus en plus désespérée, Hermione regarde autour d'elle, en quête d'une solution, n'importe quoi qui pourrait lui permettre de faire réagir le jeune homme.

Ses yeux se posent sur un morceau de parchemin, à demi déroulé sur le sol au pied du lit. Un encrier et une plume sont posés juste à côté. L'encre semble encore fraîche. Visiblement, avant de s'abandonner à ses pensées au point de ne plus pouvoir en sortir, Drago était occupé à rédiger une lettre...

La mort dans l'âme, Hermione saisit le parchemin entre ses doigts. Elle a conscience de commettre ainsi une violation de plus, mais qui pourrait l'en blâmer alors qu'elle vient de trouver son ami dans cet état ? Sa stupéfaction ne fait qu'augmenter lorsqu'elle réalise que la missive lui est adressée.

« Granger », a écrit Drago de son écriture fine et serrée. « Ou plutôt devrais-je dire « ma très chère Hermione ». Cela correspondrait mieux à mon sentiment te décrivant. Ces « Granger » derrière lesquels je m'abrite, nous le savons tous les deux, ne sont qu'une façade destinée à me protéger. De quoi, exactement ? De quoi aurais-je bien besoin d'être protégé, quand chaque jour qui passe m'efface un peu plus de la surface de la Terre ?

J'ignore combien de temps il me reste. Crois bien que je ne prends aucun plaisir à rédiger cette lettre, et si je le fais, ce n'est pas par auto-apitoiement. Je le fais parce que, le moment venu, je ne veux pas te laisser sans rien. Je veux avoir une chance de te dire adieu, avant que ces ténèbres qui m'étouffent ne se soient totalement refermées sur moi.

Adieu, donc, Hermione Granger. Tu as débarqué dans ma vie à l'instant où je m'y attendais le moins, et à l'instant, sans doute, où j'en avais le plus besoin. Tu m'as fait prendre conscience de ma maladie avant qu'il ne soit trop tard, et tu m'as ainsi permis de profiter encore un peu de ma vie, avant qu'elle ne s'éteigne. Grâce à toi, j'ai redécouvert le goût des framboises, l'odeur de la pluie sur les feuilles en automne, et ton parfum si fleuri. Le monde m'est apparu plus vivant que jamais sous le soleil chaud du cimetière de Highgate, lorsque je t'ai pressée contre moi. Et ce baiser que je t'ai volé (pardonne-moi), m'accompagnera encore longtemps dans cette obscurité stérile qui m'attend...

Ces sensations, je crois, ont été les plus belles de toute mon existence. De même que l'espoir que tu as su me redonner. Il y avait bien longtemps je n'avais plus connu l'espoir : je crois que je n'en connaissais plus ni le nom, ni l'apparence. Et je voudrais te dire que, même si cet espoir a été vain, j'ai été ravi de le connaître avec toi.

S'il-te-plaît, ne t'accable pas trop. Je n'écris pas cette lettre pour que tu te sentes coupable. A aucun moment tu ne m'as abandonné, tu as fait tout ce qui était humainement possible. Peut-être n'étais-je pas destiné à être sauvé, tout simplement. Je ne suis pas comme toi, ma douce Hermione. Je n'ai pas la volonté de me battre contre vents et marées contre tous les malheurs que la vie a décidé de me jeter à la figure, ou que je me suis moi-même infligés. Je suis en paix, à présent. J'ai accepté mon sort. A présent, je te demande d'en faire de même.

Tu es de loin la personne la plus forte, la plus brillante, la plus admirable que j'aie jamais rencontrée. Je veux que tu te souviennes de ces mots dans les instants où tu douteras de toi. Malgré toutes les épreuves que tu as traversées, tu n'as jamais renoncé. Tu affrontes la vie avec courage et bravoure, accomplissant ton devoir au détriment de ton propre bonheur, te dévouant aux autres avec l'abnégation la plus totale. Peu de gens peuvent se vanter d'avoir une aussi belle âme que la tienne.

Aujourd'hui, tu touches à nouveau au bonheur, et je sais que cela te fait peur. Tu ne devrais pas. Rien ne devrait effrayer une personne comme toi. Car il n'y a aucune épreuve qui ne puisse te résister. Tu es magnifique, ma douce Hermione, dans tous les aspects de ton cœur, de ton corps et de ton esprit. Je t'en prie, ne laisse pas ma mort te hanter, et sois heureuse.

Je pense que tu seras celle qui trouvera mon corps. Pour cela aussi, je suis désolé. J'aimerais avoir le courage de te laisser cette lettre et de disparaître pour mourir seul, mais cela me fait trop peur. Je préfère rester chez moi, dans ce petit univers en vase clos que je me suis créé, loin du monde extérieur et de mon passé. Je te lègue la boutique, ainsi que tout ce sur quoi j'ai déjà travaillé. Prends les souvenirs, soigne tes parents. Je sais que tu en es capable. Ce sont là mes dernières volontés.

Il ne me reste à présent plus qu'une seule chose à te dire. J'aimerais avoir la force de la garder pour moi, de me montrer altruiste, comme toi, mais, aux portes de la mort, il faut croire que mes défauts me rattrapent. Pardonne-moi, Hermione : je vais me montrer égoïste, mais sache encore une fois que je ne te dis pas cela pour que tu t'en veuilles. Je te le dis uniquement parce que j'ai besoin de le dire. J'ai besoin de le coucher sur papier, au moins une fois, afin que ces mots s'impriment un peu dans la réalité... Qu'ils existent, lorsque moi je cesserai d'exister...

Je t'aime. De toute ma vie, je n'ai jamais aimé personne comme je t'ai aimée toi. Je ne te demande pas de m'aimer en retour : simplement d'accepter mes sentiments pour ce qu'ils étaient : l'émotion la plus pure, parfaite et absolue que j'ai jamais éprouvée. Je tâcherai d'emporter cet amour avec moi dans la nuit, pour me réchauffer le cœur de temps à autre, jusqu'à la toute fin. »

La lettre n'est pas signée. Dans la frénésie de ce dernier paragraphe, peut-être Drago a-t-il renoncé à la finir...

Tremblante de tous ses membres, Hermione repose le parchemin sur le sol. Les larmes coulent librement sur ses joues, sans qu'elle ne songe à les retenir. Cette lettre vient d'ouvrir son cœur en deux, et il en sort un océan de larmes, l'océan de tous ses regrets, de tout ce qu'elle n'a jamais osé s'avouer, de tout ce qu'elle n'a pas su dire...

Dans la solitude de cette cave sordide, Drago a tracé ces mots en songeant à elle. Pendant qu'elle déjeunait dehors sous la lueur éclatante du soleil en compagnie de la famille Weasley, il contemplait sa propre mort, s'efforçant tant bien que mal de l'accepter, et de lui livrer un adieu décent...

Hermione s'en doutait. Elle le pressentait depuis des semaines : Drago n'était pas dans son état normal ces derniers temps... Et pourtant, elle n'a rien fait. Elle a préféré ne rien dire. Ne pas voir, car la vérité aurait été trop difficile...

– Espèce d'imbécile ! s'exclame-t-elle en frappant du poing la poitrine du jeune homme.

Il ne réagit pas, bien sûr, ce qui exacerbe encore un peu plus sa rage :

– Tu n'as pas le droit de me dire adieu comme ça, tu entends ? Tu n'as pas le droit ! Tu n'as pas le droit de renoncer !

Saisie d'une brusque inspiration, toujours secouée de sanglots, Hermione agrippe sa baguette et la dirige droit sur le front de Drago :

– Legilimens ! lance-t-elle.

Un tourbillon d'images l'aspire aussitôt, compresse son esprit, l'engloutit, se mélange, jusqu'à ce que sa conscience entre brusquement en contact avec quelque chose d'étranger. Drago. L'esprit de Drago. Elle l'a touché, aussi concrètement que sa main posée sur la sienne. Elle l'a senti frôler ses pensées l'espace de quelques secondes... Et puis soudain, aussi brusquement qu'il lui est apparu, Drago la rejette, avec une force et une terreur instinctives.

Auprès d'elle, le jeune homme se met à hoqueter bruyamment :

– Drago ? s'écrie Hermione, se penchant aussitôt sur lui.

– Qu'est-ce qui se passe ? Qui est-ce ? panique le Serpentard en tentant vainement de se redresser.

– Drago, Drago, c'est moi ! tente de le rassurer la jeune femme. Hermione !

– Hermione...

Le visage de Malefoy s'apaise, mais une pellicule de sueur malsaine recouvre désormais ses traits :

– Qu'est-ce qui s'est passé ? demande-t-il. Pourquoi est-ce que tu as essayé d'entrer dans mon esprit ?

– Je suis désolée... J'aurais dû savoir que cela réveillerait de mauvais souvenirs en toi. Mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen de te faire réagir.

– Me faire réagir ? Comment ça ? Et puis, pourquoi sommes-nous dans le noir ?

Horrifiée, Hermione contemple le jeune homme à demi-redressé sur ses coudes, regardant autour de lui sans la voir, tel un aveugle inaccessible à la lueur de sa baguette :

– Drago, la lumière est allumée..., lui dit Hermione très lentement.

Il fronce les sourcils. Mais il ne faut pas longtemps pour que la vérité s'insinue en lui :

– Je ne vois plus rien...

– Je sais. Et tu ne réagissais plus non plus. Tu ne pouvais plus m'entendre, ni percevoir mon toucher.

– Je ne me suis pas senti sombrer...

– Je n'ai pas su quoi faire d'autre. Je suis désolée.

Le jeune homme secoue la tête :

– Ce n'est pas grave. Je comprends pourquoi tu l'as fait. Au moins, ça a marché.

De longues secondes, tous deux restent silencieux, rattrapés par l'ampleur de ce qu'ils viennent de vivre, et tout ce que ça implique. Malefoy semble visiblement désireux d'éluder toutes ces questions :

– Qu'est-ce que tu fais ici ? s'étonne-t-il. Je croyais que tu devais passer le week-end avec Ron. A moins que le week-end ne soit déjà fini ?

– Non, on est samedi. Ron a voulu m'emmener au Terrier. Ça ne s'est... pas très bien terminé.

Le jeune homme hausse un sourcil :

– Pourquoi ?

– Oh, ils ont été adorables, tous... C'était ma faute, je crois. Je ne me suis pas sentie à ma place parmi eux. C'était comme s'ils attendaient tous de moi que je redevienne l'ancienne version de moi-même comme par enchantement, mais... J'en étais incapable.

Hermione esquisse un petit sourire, avant de se rappeler que Malefoy ne peut pas la voir :

– C'est ridicule, dit le jeune homme avant qu'elle n'ait le temps de l'interroger.

Il lève une main hésitante, et effleure sa joue du bout des doigts :

– A mes yeux, tu es restée exactement la même.

– Tu veux dire, la Sang-de-Bourbe à qui tu promettais les pires tourments ?

– Non... La jeune femme qui excellait en tout. Qui nous éblouissait tous par son intelligence et son talent. Qui était promise à un brillant avenir...

Hermione baisse les yeux, de nouveau émue aux larmes. Elle ignore si ces mots devraient franchir ses lèvres ou non, mais, par honnêteté, elle se doit de les dire :

– Je dois t'avouer quelque chose, commence-t-elle. Mais avant cela, je voudrais que tu me pardonnes...

– Tu ne peux pas me demander de te pardonner sans me dire ce que tu as fait Granger, c'est de la triche, la taquine-t-il.

Hermione rit mollement, mais elle ne retient que ce nom : « Granger »... Et la première ligne de la lettre qu'elle vient de lire :

– Je voudrais aussi que tu ne te mettes pas en colère... Même si tu en aurais le droit.

– Là, tu commences à me faire peur.

– C'est de bonne guerre, tu ne crois pas ?

Le silence s'étire entre eux, douloureux, mais Hermione finit par prendre son courage à deux mains :

– J'ai lu la lettre que tu étais en train d'écrire.

La surprise teinte le visage de Malefoy. L'espace d'un bref instant, Hermione croit même également y déceler de la colère, ce qui ne l'étonnerait pas. Personne n'aime voir ses lettres inachevées, non envoyées, se trouver révélées au grand-jour, particulièrement des lettres aussi intimes que celle-ci. Mais c'est parce qu'elle est aussi intime, justement, qu'Hermione ne peut pas éviter d'en parler :

– Tu n'as pas le droit de renoncer maintenant, Drago, murmure-t-elle. Tout n'est pas encore perdu.

Elle lui presse la main, très fort, pour être sûre qu'il la sente :

– Tu es vivant, ici, avec moi. Tu es bien vivant. Il te suffit de choisir de rester, et tu resteras auprès de moi.

– C'est si simple, vraiment ? ironise-t-il.

Il secoue la tête, puis reprend :

– Je ne vois pas l'intérêt de faire traîner les choses. Je ne veux plus rester, Hermione. Je ne veux pas prolonger artificiellement une existence qui n'en vaut plus la peine. Autant plonger tout de suite, et éviter d'être un boulet pour tout le monde, tu ne crois pas ?

– Tu ne seras jamais un boulet pour moi !

– Toi plus que quiconque, tu devrais avoir conscience de ce que cela représente. Même si rien de tout cela n'est de leur faute, ni de la tienne, je suis sûr que tes parents ne tenaient pas à ce que tu te sacrifies ainsi pour eux.

– Et pourtant, j'ai eu raison de le faire ! Ils sont en train de guérir grâce à moi, grâce à toi! Tout le monde me répétait que c'était impossible, mais nous sommes en train de réussir ! Toi seul as cru en moi ! Pourquoi n'es-tu pas capable de croire au même genre de miracle pour toi-même ?

Drago hausse les épaules :

– Peut-être parce que je ne veux pas d'un miracle. Je ne le mérite pas.

– Tu le mériterais plus que n'importe qui ! Ne serait-ce que pour tout ce que tu as fait pour moi !

– Et ça suffit à tout racheter ? Vraiment ?

– Il n'y a rien à racheter, Drago.

A court d'arguments, Hermione se passe la langue sur les lèvres, désemparée. Comment sauver quelqu'un de lui même ? Comment sauver quelqu'un qui ne désire même pas l'être ?

– Je ne veux pas que tu meures..., dit-elle simplement. N'est-ce pas une raison suffisante pour toi de rester ?

Les doigts de Drago glissent dans ses cheveux. Peut-il les sentir ? Ses iris scrutent le vide, à la recherche de sa présence qui lui échappe. Comme lorsqu'elle l'a trouvé étendu sur son matelas, il semble soudain en proie à une profonde introspection, et la jeune femme redoute un instant qu'il n'ait replongé au creux de lui-même :

– Pourquoi es-tu là ? lui demande-t-il finalement.

Hermione est si surprise par la question que, l'espace d'un instant, elle n'est pas sûre de l'avoir bien comprise. Mais Malefoy insiste :

– Tu as quitté le week-end au Terrier avec Ron. Mais pourquoi es-tu là ? Pourquoi n'es-tu pas rentrée chez toi ?

– Parce que... je voulais te voir, répond Hermione, avec une simplicité désarmante.

Elle-même ignore précisément ce qui a motivé ses intentions. Au moment de transplaner, elle obéissait au besoin impérieux de voir Drago, c'est tout. Elle n'a pas d'autre explication à lui fournir tandis qu'il fouille en elle de son regard aveugle :

– Pourquoi ? l'interroge-t-il.

– Parce que... j'avais besoin d'être comprise. Et tu es le seul à me comprendre.

Elle songe à la lettre abandonnée sur le sol :

– Tu es le seul à me voir, telle que je suis vraiment. Et à aimer ce que tu vois...

Drago reste silencieux. Sans doute prend-il conscience, tout comme elle, de ce qu'elle a lu dans sa lettre. Cette déclaration d'amour, il avait prévu de la lui faire après sa mort. Lorsqu'elle ne pourrait plus le rejeter, comme la dernière fois. S'il la lui faisait dans l'instant, cependant, le rejetterait-elle... ?

– J'aime tout de toi, répond-il simplement, d'une voix enrouée par l'émotion. Inutile de te mentir à présent. Mais je ne veux pas que cet amour pèse comme un nouveau fardeau sur toi.

– Ce n'est pas un fardeau...

– Je suis sérieux, Hermione. Tu es en train de reconstruire ta vie, et je le comprends parfaitement. Je suis heureux pour toi. Je ne veux pas que tu culpabilises, et que tu te retiennes d'avancer à cause de moi. Je suis un adulte. Je peux encaisser mes peines de cœur, et ce n'est pas pour cela que je baisse les bras, je te le promets...

– Je suis sérieuse moi aussi. Tu n'es pas un fardeau. Tu ne seras jamais un fardeau.

Alors, répondant à son geste, Hermione caresse la joue de Drago de sa main tremblante. Il frissonne. Un semblant d'acuité revient dans son regard :

– Je crois que j'ai fait fausse route, murmure-t-elle. J'étais... totalement perdue. Pendant des années, j'ai cru savoir ce que je désirais, mais... La vie que je voulais retrouver, au final, ne me correspond plus. Il est temps que je cesse de vivre dans le passé, pour accepter le présent, ici, et maintenant.

– Qu'est-ce que tu veux dire... ?

Face à elle, Drago demeure interdit. Hermione peut voir qu'il la distingue de mieux en mieux à travers ses ténèbres. Elle en profite pour accrocher son regard, et ne plus le relâcher :

– Je veux dire que ma vie, aujourd'hui, elle est ici, avec toi. Dans cette cave, à tenter de te sauver, malgré toi s'il le faut... Parce que j'ai besoin de toi. Parce que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée depuis toutes ces années... Parce que... je t'aime, et j'aime celle que je suis devenue grâce à toi.

Ça y est, elle l'a dit. Il n'y a plus de retour en arrière possible. Et pourtant, passée la barrière de ces paroles fatidiques, Hermione n'éprouve rien d'autre qu'une infinie légèreté. La fin du mensonge, envers Malefoy et envers elle-même, enfin.

– Qu'est-ce que tu dis... ?

Elle n'a plus peur de l'affirmer à présent :

– Je dis que je t'aime, répète-t-elle. Et que si tu m'aimes vraiment, tu dois vivre toi aussi. Tu dois vivre pour moi, mais surtout pour toi. Pour ce que nous pourrions être ensemble.

Cette fois, Drago se redresse totalement. Sa vue lui est revenue. Il saisit le visage d'Hermione entre ses mains en coupe :

– Tu penses sincèrement ce que tu dis ? lui murmure-t-il. Tu ne dis pas cela juste à cause de la lettre ?

– Non, je ne dis pas cela à cause de la lettre. Je le savais depuis un moment, maintenant. J'avais juste trop peur de l'admettre.

– Et Ron ?

– J'avais peur de le faire souffrir. Qu'il souffre comme moi-même j'ai souffert. Mais il ne fait plus partie de ma vie. J'ai eu beau essayé de l'y réintégrer, la place est déjà prise. Elle est prise depuis longtemps.

Elle ne le lâche pas des yeux en disant cela. Elle pense chaque mot qui sort de sa bouche. Sans doute les paroles les plus profondes et les plus sincères qu'elle ait prononcées depuis très, très longtemps. Elle peut presque entendre les battements de son cœur résonner en rythme avec ses mots, et ses émotions.

Face à elle, Malefoy a le souffle court. Son visage s'est rapproché du sien au point de sentir sa respiration chatouiller sa peau. Il y a une telle fragilité dans cet espace qui les sépare, une telle hésitation : la peur de souffrir, d'être rejeté une fois encore, d'espérer encore et toujours en vain...

Hermione fait taire tout cela. D'un élan, elle comble ce vide qui les sépare elle et Drago, ce vide absurde qui les a fait souffrir pendant si longtemps, alors qu'il suffisait simplement qu'ils se retrouvent...

Comme la première fois dans son appartement, Hermione embrasse Drago, abandonnant toute réserve, unissant sa langue et sa chaleur à la sienne jusqu'à en perdre la tête. Les mains enfouies dans ses cheveux, le jeune homme suffoque presque face à une telle étreinte, mais il ne la relâche pas. Ses doigts descendent le long de ses reins et l'attirent contre lui, sur ce lit où tant de malheur et de solitude se sont débattus pendant si longtemps.

Il est temps de les chasser aujourd'hui.

Sans réfléchir une seconde de plus, s'enivrant uniquement de l'instant présent, Hermione défait les attaches de sa robe d'été blanche et laisse le tissu glisser de ses épaules comme une seconde peau. Elle est de nouveau elle-même, ici, maintenant. Ses cheveux cascadant librement dans son dos comme unique vêtement.

Etendu devant elle, Drago reste subjugué par cette vision venue d'un autre monde. De longues secondes, il la dévisage, incapable de croire à ce qu'il voit. Hermione n'éprouve plus rien du malaise qu'elle ressentait chez les Weasley. Seule dans l'intimité de cette cave, toute nue sous le regard de Drago, elle se sent belle. Elle se sent telle qu'elle devrait être. Marquée par la guerre, peut-être, mais transcendée malgré elle. Elle aussi, elle est la fille qui a survécu. Et qui survit toujours.

Saisissant la main de Drago dans les siennes, Hermione l'attire à ses lèvres, embrasse ses doigts un par un, puis les fait descendre sur la courbe de ses seins :

– Je veux que tu reprennes goût à la vie, murmure-t-elle. Avec moi. Je veux que tu redécouvres chaque parcelle de tes sens, avec moi. Je m'y dévouerai corps et âme s'il le faut.

La gorge serrée, Drago est tout simplement incapable de répondre. Une rougeur a investi son visage : un afflux de sang qui rend à ses traits leur vie, leur santé, leur éclat d'espoir. Il caresse les seins d'Hermione, lentement, savourant leur contact doux et satiné sous ses doigts. Lorsque sa bouche retrouve celle de la jeune femme, leurs souffles se mêlent dans un délice de saveurs fines et sucrées. Hermione est partout : sous ses doigts, sur sa langue, embaumant l'air de son parfum envoûtant, électrisant le moindre de ses sens de part sa sensualité folle, éveillant en lui des milliers de sensations qu'il croyait avoir oubliées depuis toujours.

Hermione le déshabille, laissant glisser ses doigts sur tout ce qu'elle touche, puis ses lèvres, l'embrassant partout, chérissant chaque aspect de son être. A présent que l'acceptation règne en son cœur, elle se jette à corps perdu dans leur étreinte, indifférente à la moindre pudeur, cédant toute entière à ce désir qui lui fait vouloir cet homme, le vouloir dans sa chair et dans son cœur.

Elle caresse les cheveux de Drago. Sème dans son cou une traînée de baisers telle une constellation. Puis elle goûte la saveur salée de son torse, et la vie qui règne à nouveau au creux de ses cuisses, plus intense et plus chaude que jamais. Elle s'emploie à la cultiver, pour que chaque seconde ancre un peu plus Drago sur cette Terre, dans ces sensations, avec elle, chaque soupir de plaisir marquant une victoire de la vie et de l'amour sur la mort, contrainte de reculer.

Le jeune homme est totalement nu sous son corps désormais. Livré à ses baisers, il s'y abandonne sans lutter. Il retrouve lui aussi l'envie de découvrir son amante, de sentir son parfum, ses grains de beauté, sa peau contre la sienne.

Lorsqu'Hermione les unit enfin, il plonge les yeux dans les siens. Ils sont connectés, dans l'espace et dans le temps, malgré la maladie et l'incertitude de ce qui les attend. Il n'y a plus de peur entre eux. Plus maintenant. Ils sont ensemble, quoi qu'il arrive, pour le meilleur et pour le pire.

Hermione songe à ce serment tandis qu'elle ondule au-dessus du corps de Drago, plus maîtresse d'elle-même qu'elle ne l'a jamais été, avec le sentiment d'accomplir une mission intime et sacrée. Sauver l'homme qu'elle aime. Le transpercer d'un amour si ardent qu'il ne pourra plus jamais s'en délivrer. Ce serment, elle aurait voulu l'offrir à Ron, autrefois... Mais il n'aura jamais été plus vrai qu'en cet instant. Drago a vu le pire en elle, et elle a vu le pire en lui. Et tous deux sont restés, malgré tout. Ils resteront ensemble, tant qu'il leur restera du temps à voler.

Drago et Hermione se délivrent au même instant, dans un même soupir qui résonne encore longtemps dans l'air ambiant, serrés l'un contre l'autre, inséparables. Leurs corps frissonnent encore, et ils sont couverts d'une même sueur qui dessine un liseré doré sur leur peau. Comme si, après des années d'errance et de solitude, tout leur être exprimait enfin l'amour contenu en eux, la passion qu'ils n'auraient jamais osé imaginer, pas même dans leurs rêves les plus fous. Elle brûle pour eux cependant, aujourd'hui. Elle les consume et les vide de leurs forces, célèbre la vie de la manière la plus forte et la plus ancestrale qui soit : l'union de deux corps contre le vide et la mort.

Lorsqu'ils retrouvent enfin leurs esprits, Drago fait basculer le corps d'Hermione auprès de lui et la prend dans ses bras. Il sait qu'avant la fin de la nuit, ils recommenceront, encore et encore, pour tous les instants où le bonheur leur fut volé dans cette vie. Mais avant d'unir ses lèvres à celles de la jeune femme, celle-ci le retient d'un doigt :

– Promets-moi que tu n'abandonneras jamais, murmure-t-elle.

Drago puise dans ses yeux la force de lui répondre :

– Je te le promets, déclare-t-il.

Il ignore à cet instant s'il pourra tenir cette promesse. Mais il sait désormais, dans l'intimité de cette petite cave obscure, qu'il fera tout pour essayer.

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