Le Terrier

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Hermione transplane devant la porte de son appartement, poursuivie par une nuée d'émotions qu'elle ne parvient pas à semer. D'habitude, Ron et elle se connaissant depuis l'enfance, elle transplane directement dans le salon, sans s'embarrasser de civilités. Mais aujourd'hui, elle a besoin de temps. Elle a besoin de cette barrière physique que représente la porte d'entrée, une barrière dressée entre son trouble et l'homme amoureux qui l'attend à l'intérieur de son petit logement. Elle résiste très fort à l'envie de se prendre la tête entre les mains. Le bonheur confus de voir ses parents guérir peu à peu sous ses yeux, son inquiétude pour Malefoy, et la honte que ravive le souvenir de leur baiser, tout ceci se mélange pour briser l'harmonie si rationnelle qui l'anime habituellement.

Ron l'attend derrière cette porte. Elle le sait à la bonne odeur de cuisine qui se répand dans le couloir, au fracas des casseroles qui s'entrechoquent, et à la lueur tamisée des chandeliers qu'il a dû allumer sur la table du salon. Il faut absolument qu'elle se reprenne. Ces pensées parasites ne signifient rien.

Hermione déverrouille la porte d'entrée et salue Ron d'un sourire :

– C'est moi !

Le jeune homme accourt aussitôt depuis la cuisine. Hermione ne s'était pas trompée à son sujet : un tablier à fleurs noué autour de la taille, de la sauce jusqu'au menton, et un beau sourire sur son visage rieur, Ron agite une poêle à frire en guise de salut :

– Tu rentres tôt. Le dîner n'est pas encore prêt.

– Ce n'est pas grave. J'avais envie de te voir

Ces paroles sonnent fausses aux oreilles d'Hermione. Horriblement fausses. Elle s'est pratiquement enfuie de l'hôpital pour ne plus avoir à affronter ses pensées sur Malefoy. Mais voilà que celles-ci l'ont suivie jusque chez elle...

Depuis quand a-t-elle la sensation de mentir ainsi à Ron ? Depuis quand a-t-elle l'impression de ne plus pouvoir être totalement sincère avec lui ?

Pour être honnête, la réponse remonte déjà à plusieurs années. Depuis que Ron l'a abandonnée dans la recherche d'un traitement pour ses parents. Un voile de tristesse s'abat aussitôt sur Hermione, mais elle le déchire de toutes ses forces :

– Nous avons fait de grands progrès aujourd'hui, annonce-t-elle à Ron en se forçant à sourire. Nous avons implanté à mes parents leurs souvenirs d'étudiants en médecine. Si tout se passe bien, d'ici quelques jours, nous allons enfin pouvoir les réunir..

– Et voir s'ils tombent à nouveau amoureux, complète Ron en lui prenant son manteau

Cette remarque jette un trouble dans le cœur de la jeune femme, mais Ron, rappelé à sa tâche par ses petits plats, se précipite dans la cuisine sans s'en apercevoir.

Ses mots restent seuls avec Hermione dans le salon. C'est vrai, après tout : quelle garantie ont-ils que Jonathan et Edith se plairont à nouveau lorsqu'ils se trouveront ensemble dans la même pièce ? Les seuls souvenirs qu'ils auront l'un de l'autre seront ceux qui leur auront été implantés. Leur amour ne sera pas plus tangible qu'une illusion imprimée au fer rouge dans leur esprit de force. Un mensonge, plus grossier qu'un filtre d'amour. Il ne suffit pas de faire entrer dans la mémoire d'une personne l'amour d'un autre, pour que cet amour prenne racine et devienne réalité...

Une fois de plus, Hermione songe à Malefoy, et elle se maudit pour cela. Quel que soit ce qu'elle éprouve à cet instant, c'est réel. C'est enraciné en elle de façon bien plus authentique que le lien qu'elle essaie de recréer entre ses parents. Et si Jonathan et Edith ne s'appréciaient pas ? Comme son père qui tout à coup, muni de ses nouveaux souvenirs, déclare ne plus aimer la lecture des classiques qu'il appréciait tellement étant plus jeune, ou préférer la glace à la vanille à celle au chocolat ? Jusqu'à quel point nos expériences conditionnent-elles ceux que nous devenons à l'âge adulte ? Quelle est la part des souvenirs dans notre individualité, et la part de l'âme, innée et intrinsèque ? Jusqu'à quel point est-elle en train de « fabriquer » ses parents, tel un patchwork de couvertures rapiécées, une réinvention moderne et plus monstrueuse encore du mythe de Frankenstein ? Ces questions lui donnent le vertige.

– J'ai reçu une lettre de Maman ce matin.

Depuis la cuisine, Ron émerge en brandissant une impressionnante casserole en fonte, qu'il dépose au centre de la table du salon. Rien qu'à l'odeur, Hermione reconnaît le fumet délicieux d'un lapin au cidre.

– Elle me propose de venir au Terrier ce week-end, complète Ron. Il y aura tout le monde : Bill et Fleur, Charlie, George et Angelina, les gosses... Même Harry et Ginny seront là.

Hermione hoche la tête distraitement tout en prenant place. Elle n'a pas pleinement pris la mesure de ce que Ron tente de lui demander :

– Elle a dit que cela lui ferait très plaisir que tu viennes, toi aussi, dit-il alors en s'asseyant en face d'elle.

De longues secondes, il guette sa réaction. Hermione est trop surprise pour parler. Entre eux, les chandelles se consument doucement, projetant une ambiance très douce sur les joues rosées du jeune homme. L'émotion menace de rattraper Hermione, une fois de plus :

– Tu es sûr ? murmure-t-elle. Ça fait tellement longtemps que je n'y suis pas allée... Tellement longtemps que je n'ai pas vu tout le monde.

– Je sais. Mais justement : tout le monde serait très heureux de te revoir. Vraiment.

Il lui prend la main. Comment dire non face à tant de chaleur, tant d'attention ? Pourtant, Hermione ne peut empêcher la culpabilité de battre sourdement à l'arrière de son crâne, et le serpent de l'inquiétude lui mord l'estomac. Arthur, Molly, Harry et Ginny, les enfants... Tout cela semble appartenir à un autre monde, pour elle. Un monde dont elle ne fait plus partie depuis très, très longtemps.

D'une caresse au creux de sa paume, Ron tente de la rassurer :

– Il n'y a aucune raison que cela se passe mal, tu le sais bien. Ce sont tous tes amis. Ta famille

Hermione se retient d'afficher un rictus amer. Sa famille... Sa famille dort dans une chambre d'hôpital à Sainte-Mangouste depuis des années maintenant, et cela fait bien longtemps que plus personne ne s'est préoccupée d'elle.

Mais elle voit les efforts que Ron tente de déployer pour la mettre à l'aise, aussi, elle sourit et ne dit rien.

– Tu es d'accord, alors ? insiste-t-il. Tu viendras ? S'il-te-plaît.

Elle hésite :

– Je ne sais pas... Je ne suis pas sûre de pouvoir laisser Malefoy sans nouvelles aussi longtemps. Il ne va pas très bien, en ce moment. Il essaye de le cacher, mais je le sens.

– Quoi, il peut bien survivre à ton absence pendant deux petits jours, non ?

Hermione inspire profondément. Peut-être que dans le fond, c'est de cela qu'elle a besoin. Ce week-end au Terrier pourrait lui changer les idées. Lui permettre d'y voir plus clair sur l'état de sa vie à l'heure actuelle, et sur où est-ce qu'elle se situe par rapport à tous ceux qui en font partie. Cela pourrait être l'occasion de laisser Malefoy derrière elle, l'espace de quelques jours, et de commencer enfin à penser à l'avenir... Car après tout, si Jonathan et Edith sont véritablement en bonne voie de guérison... Alors, tout ce pour quoi elle s'est battue depuis ces dix dernières années sera enfin accompli. Elle devra se trouver une autre raison de vivre. Se projeter dans la vie, comme ses amis l'ont fait depuis si longtemps, pendant qu'elle-même restait coincée en arrière...

Sa décision est prise. L'hésitation plane sur son esprit depuis des jours ; il est temps qu'elle s'en défasse :

– Très bien, je viendrai, accepte-t-elle.

Le bonheur sur le visage de Ron parle pour lui. Tout le reste du dîner, il se montre adorable avec elle, et aussi très prévenant, car sans doute pressent-il le stress que ce week-end représente pour elle. Le lapin au cidre remplit toutes leurs attentes. Avant même la fin de leur repas, Hermione sait déjà comment cette soirée va se terminer pour eux deux.

Après avoir débarrassé, ils se servent un verre de vin devant la cheminée éteinte, et restent ainsi un long moment sans avoir forcément besoin de parler, savourant simplement la quiétude et la présence de l'autre.

Hermione commence à s'apaiser, enfin. Dix années de malheurs et d'inquiétude ont fait d'elle une anxieuse, incapable de croire au bonheur lorsqu'il se présente, et encore moins de le savourer.

Dans le silence de son petit appartement, la main de Ron dans la sienne, elle parvient enfin à prendre un peu de recul. Depuis plusieurs semaines, sa vie s'est considérablement éclaircie, et elle est en passe de devenir chaque jour un peu plus lumineuse. Après tant d'années passées loin de l'espérance, elle a simplement peur d'être déçue, c'est tout... Peur du changement. Ron est revenu dans sa vie : n'était-ce pas ce qu'elle souhaitait depuis tout ce temps ? Il faudra bien qu'elle accepte de baisser à nouveau sa carapace, si elle veut espérer être heureuse un jour...

Doucement, Ron incline sa tête vers elle et lui donne un baiser. Hermione y répond en chassant de toutes ses forces le souvenir de Malefoy de son esprit, mais rien n'y fait. La texture de leurs lèvres n'est pas la même. Leur chaleur, leur saveur, leur manière d'embrasser. Hermione connaît les baisers de Ron par cœur, pour avoir partagé sa vie un certain nombre d'années, et pourtant, elle se remémore aussi bien le baiser de Malefoy, si ce n'est plus. Il s'imprime par-dessus les lèvres de Ron, juste là, dans un coin de son esprit qui refuse de se taire.

Ron passe une main dans ses cheveux. Il descend dans le creux de son cou, faisant naître ces frissons qu'il a lui-même découverts une décennie plus tôt, lors de leur toute première nuit d'amour. Il l'embrasse à cet endroit, au creux de son épaule, goûtant à son odeur et à la pulpe de sa peau, ses mains glissant d'une caresse très douce jusque sous son chemisier, sur la chair douce et tendre de ses seins.

Hermione frémit. L'espace d'une seconde, elle parvient à s'abandonner, enfin. Elle redevient l'adolescente de dix-sept ans qui tremblait d'émotion sous la caresse de son amant. Elle retrouve cette connexion avec Ron qu'elle pense avoir perdue par moments, et à laquelle elle tente désespérément de se raccrocher. Sinon...

Sinon quoi ? L'étreinte de Malefoy envahira son esprit ? Etourdira ses sens jusqu'à ce qu'elle veuille y céder, enfin ?

Ron embrasse Hermione. Il la déshabille, remplit son cœur et son corps, mais ses pensées vagabondent malgré tout.

Hermione est heureuse, avec lui, maintenant. Alors pourquoi a-t-elle le sentiment de ne pas être à sa place ? Ce décalage infime qui cherche à lui faire comprendre que quelque chose s'est brisé entre eux, quelque chose qui ne pourra jamais être réparé. Comme la clé d'une serrure déformée par le temps. Ils ne s'ajustent plus. Le changement s'est ancré en elle ; elle ne pourra plus s'en débarrasser.

Hermione retient ses larmes tandis que son corps lui envoie des signaux totalement contradictoires : les étreintes de Ron la réconfortent autant qu'elles creusent son chagrin. Elle a l'impression de profiter de lui ; de chercher en lui une consolation dont il n'a absolument pas conscience. Elle voudrait tellement que ça marche. Elle le voudrait tellement. Car sinon...

Cela voudrait dire que ces dix dernières années ont laissé une empreinte irréversible en elle. Qu'elle est désormais condamnée à demeurer telle qu'elle est maintenant : seule, triste et froide, une fille qui a sacrifié sa vie entière pour celle de ses parents. Que Ron continuera de la regarder comme un jouet cassé, et de lui faire comprendre à quel point la jeune fille qu'il aime n'existe plus...

Soudain, Ron s'interrompt et caresse son visage, très doucement :

– Où est-ce que tu es ? lui murmure-t-il.

– Je suis là, répond-elle, bouleversée. Ici, avec toi.

Il la serre très fort dans ses bras, et ne la lâche plus jusqu'à ce qu'ils soient délivrés tous les deux. Dans cette étreinte, Hermione ressent comme un aveu prémonitoire. Le sentiment qu'ils ne font que se bercer d'illusions, se raccrocher l'un à l'autre jusqu'à ce que la vie les rattrape, et que Ron aussi le sait déjà.

Le lendemain, c'est le week-end. Hermione passe un long moment devant sa garde-robe, à choisir ce qu'elle devrait porter pour une réunion de famille avec tous les Weasley au complet. Seulement à cet instant, elle réalise à quel point ses vêtements sont tristes et impersonnels. Elle ne porte que des nuances de gris, des tenues sobres et fonctionnelles, rien de plus. Rien qui exprime qui elle est, ce qu'elle aime, ce qu'elle voudrait apporter au monde...

Elle jette un bref regard vers la pile de cartons entassés au-dessus de sa penderie. Ils contiennent ses vêtements d'adolescente. Ceux qu'elle portait lors de son temps libre à Poudlard, durant ses premières années avec Ron, et même durant leur traque des Horcruxes...

Saisie d'une brusque inspiration mêlée de peur, Hermione saisit l'un des cartons et l'entrouvre. Des pulls chamarrés, des foulards, des chemisiers, de petites robes aux couleurs vives... Elle a l'impression d'ouvrir les affaires d'une morte. De fouiller dans un passé enterré depuis longtemps. Elle se souvient n'avoir jamais été passionnée par la mode, mais elle avait malgré tout sa petite coquetterie, à l'époque...

Songeuse, Hermione exhume du deuxième carton une jolie robe blanche à l'allure estivale. Cela lui fait penser au Terrier. Les collines verdoyantes aux alentours doivent être couvertes de pâquerettes à l'heure qu'il est...

Décidée, bien que tremblante au fond d'elle-même, Hermione enfile la robe, remplit un petit sac de voyages d'une tenue supplémentaire au cas où, et rejoint Ron qui la dévisage, émerveillé, comme s'il n'en croyait pas ses yeux :

– Tu es magnifique, s'exclame-t-il.

Ça sort tout droit du cœur. Hermione se prend à rêver d'une bouffée d'espoir :

– Je suis prête, dit-elle.

Alors, tous deux se prennent la main, et ils transplanent dans la superbe campagne anglaise.

Le Terrier n'a pas changé depuis la dernière fois qu'Hermione s'y est rendue, presque quatre ans plus tôt. Cet endroit aura toujours le parfum de la famille et de la sécurité pour elle. Même en temps de guerre, le Terrier avait représenté un refuge pour eux tous, et il l'était resté même après l'incursion des Mangemorts...

Hermione soupire. En transplanant sur cette colline, c'est son passé tout entier qui l'avale. La voilà propulsée des années en arrière, à une époque où, malgré l'inquiétude, elle était heureuse, et où tout lui semblait possible. Surtout l'avenir.

A ses côtés, Ron lui presse la main avec un sourire encourageant et l'entraîne jusqu'à l'entrée de la maison.

C'est une journée magnifique. Le soleil brille haut et fort comme pour proclamer au monde le bonheur qu'apportera cette réunion. Les oiseaux chantent ; les abeilles bourdonnent au loin. C'est si différent du cadre gris et urbain auquel Hermione s'est habituée qu'elle en suffoquerait presque. Trop de sensations d'un coup. Trop d'intensité. Elle songe à Malefoy, et à ses sens en perdition... Est-ce ce qu'il ressent lui aussi, lorsque ses facultés lui reviennent d'un seul coup pour l'éblouir ? Hermione en aurait presque peur. Plus que jamais, elle ne se sent pas à sa place, et lorsque Ron frappe à la porte d'entrée, elle lutte contre son envie de s'enfuir. Le souvenir fugitif de son après-midi au cimetière de Highgate, avec Malefoy, dans la tranquillité de l'automne, lui revient en mémoire. Elle s'était sentie à l'aise, dans cette nature endormie. Elle s'était sentie en paix. A l'époque, elle était heureuse à la perspective de revoir Ron, mais la compagnie de Malefoy avait sublimé cet instant d'une lumière unique...

Molly Weasley ouvre grand la porte :

– Hermione ! s'exclame-t-elle en ouvrant grand les bras dès qu'elle aperçoit la jeune femme.

Cette fois, Hermione n'a pas à se forcer pour sourire :

– C'est bon de vous revoir, Molly.

– Dans mes bras, ma chérie, dans mes bras ! Ça fait tellement longtemps que je dis à Ron de t'inviter ! Pourquoi est-ce que tu n'as jamais répondu à mes hiboux ?

Hermione dissimule sa gêne du mieux qu'elle le peut :

– Je suis désolée. J'ai été très occupée. Et pas forcément de très bonne compagnie.

Une ombre de compassion passe sur le visage de Molly :

– Oui, Ron m'a raconté. Je suis très heureuse que tes parents commencent à aller mieux, sincèrement.

Elle lui caresse affectueusement la joue, puis la relâche pour embrasser son fils :

– Allez, ne restez pas là : entrez. Tous les autres sont déjà là.

Hermione pénètre dans une pièce surpeuplée. Un défilé de chevelures rousses se jettent sur Ron et elle à peine ont-ils franchi la porte d'entrée : les innombrables enfants de Bill, Percy, George, et bien sûr, Ginny...

La jeune femme rousse se tient dans le fond du salon, un verre de jus de citrouille à la main, le ventre rond et le visage rayonnant. Dès qu'elle reconnaît Hermione, elle lève son verre, et un splendide sourire illumine ses traits d'ivoire. Hermione lui renvoie son salut. Il lui faut encore plusieurs secondes avant de se dépêtrer de la masse d'enfants qui viennent écraser leur « oncle Ron ». Après quoi, les deux jeunes femmes se tombent dans les bras :

– Je suis si heureuse de te revoir, Hermione ! s'exclame Ginny de sa voix vibrante.

Hermione se recule un peu pour l'admirer, les larmes aux yeux :

– Regarde-toi. Tu es magnifique.

Toutes deux éclatent de rire, galvanisées par cette amitié depuis si longtemps mise de côté. Et pourtant, tout comme ses vieux vêtements abandonnés au fond des cartons de sa chambre, Hermione ne peut s'empêcher de voir le contraste évident qu'il existe entre elle et son amie d'enfance.

Ginny est éblouissante. Il n'y a pas d'autre mot. Elle a toujours été très belle, mais le bonheur, l'amour, la maternité, la réussite, toutes ces choses n'ont fait que transcender sa beauté pure pour la rendre exceptionnelle. Avec ses cheveux de feu, son regard intense, ses lèvres rouges et ses formes voluptueuses...

A ses côtés, Hermione se trouve désormais bien fade dans sa petite robe blanche ; une usurpatrice au pays des gens heureux. Bien sûr, Ginny ne fait aucun commentaire, mais partout autour d'eux, à mesure que les différents membres de la famille Weasley viennent gratifier Hermione de leurs retrouvailles, la jeune femme sent bien les regards qu'ils posent sur elle et les remarques qu'ils ne disent pas. Tous la dévisagent avec une sorte d'attente, de curiosité, de stupeur, et Hermione a de plus en plus de mal à cacher son mal-être. Dire qu'à une époque, elle s'était sentie comme chez elle dans cette maison...

– Salut, Hermione.

Une voix chaude dans son dos la fait se retourner. Bien sûr. Le meilleur pour la fin. Harry Potter en personne se tient devant elle, son fils aîné James pendu à son cou, les cheveux en bataille et la chemise tâchée de jus de citrouille.

Hermione n'y résiste pas : elle sourit, fond en larmes, et le serre dans ses bras. Il sent le feu de bois, la crème pour bébé, et quelque chose d'indéfinissable : le parfum de la vie, peut-être bien.

Tous deux se pressent l'un contre l'autre, longtemps. Hermione oublie temporairement toutes les émotions contradictoires qui déchirent son esprit. C'est son meilleur et plus vieil ami qui se tient devant elle. Harry...

Lorsqu'ils se relâchent enfin, tout le monde dans le salon sourit, ou pleure, ou les deux. Arthur Weasley frappe dans ses mains pour mettre un terme à ces embrassades larmoyantes :

– Bon, si on déjeunait ? Vous êtes d'accord ?

Une grande table a été installée à l'extérieur pour l'occasion, sous un chapiteau. Cela rappelle à Hermione le mariage de Bill et Fleur et, à la façon dont Ron la regarde, il est évident que lui aussi s'en souvient. Molly a préparé un somptueux buffet digne d'un régiment. Le temps est doux ; un petit vent frais chatouille les cheveux d'Hermione. Les plats vont et viennent sous les rires et les conversations incessantes, et la jeune femme, noyée au milieu de tout cela, tente de ne pas se retrouver trop perdue.

Elle se sent comme la rescapée d'un naufrage, livrée à elle-même sur une île déserte depuis des années, et retrouvant enfin le brouhaha de la civilisation. Comme une prisonnière que l'on aurait extraite de sa cellule six pieds sous terre pour la jeter soudain au grand-jour sous la lumière du soleil. Les conversations, les bruits, les jeux des enfants, les saveurs, l'environnement ; toutes ces choses saturent ses sens au point de lui tourner la tête.

Elle ne parle pas beaucoup. Elle tente déjà de se raccrocher aux dizaines de conversations qui éclatent un peu partout autour d'elle. Lorsqu'on lui pose une question, elle y répond le plus vite possible, nerveuse à l'idée de soudain se retrouver au centre de l'attention. Ron lui tient la main, tout le temps. Il ne la lâche pas.

Pour tous, la nourriture est délicieuse, l'ambiance au beau fixe, mais Hermione voit l'après-midi se dérouler comme une longue épreuve qui requiert toute sa concentration. Bon sang, quel genre d'asociale est-elle devenue, après toutes ces années de solitude et de privation... Elle qui aimait tellement la famille de Ron...

A la fin du repas, alors que le soleil a déjà bien entamé sa descente vers l'horizon, et qu'il pourrait déjà être l'heure de préparer le dîner, Hermione se lève le temps de faire une pause. Elle s'excuse auprès de Ron, qui lui accorde un sourire compréhensif, l'embrasse sur la joue pour le rassurer, puis part faire un tour plus loin dans les champs, sur la petite colline qui surplombe la maison, où Harry, Ron et Ginny avaient l'habitude de jouer au Quidditch dans le temps.

Elle s'assoit là, au milieu des hautes herbes, enfin soulagée de se soustraire aux regards, même si elle sait très bien que son absence sera remarquée. A l'heure qu'il est, tous les frères et sœur de Ron doivent déjà être en train de lui demander comment elle va en réalité. Et ce qu'il lui est arrivé...

– C'est beau, n'est-ce pas ?

Hermione sursaute. Elle n'avait pas entendu Harry arriver. Elle se contente d'acquiescer avec un sourire, puis lui fait signe de s'asseoir auprès d'elle s'il en a envie. Harry ne se fait pas prier.

Un long moment, ils demeurent ainsi sans parler, deux anciens amis qui se sont perdus de vue, quelque part entre l'adolescence et l'âge adulte... Qu'a-t-il bien pu leur arriver ?

– J'ai appris que tes parents allaient mieux, commence enfin Harry.

Sans doute ce sujet lui tenait-il à cœur depuis longtemps, sans qu'il n'ose l'aborder... Hermione se souvient d'avoir ignoré ses hiboux à lui aussi. Lorsqu'elle l'entendait décrire son bonheur familial avec Ginny, suivi de ses inquiétudes pour Ron, et de ses conseils sur la façon dont elle devrait gérer ses parents, son couple et sa vie toute entière, Hermione ne se sentait pas le courage de lui répondre. Harry et lui ne se comprenaient plus : comment l'auraient-ils pu ? Lui avait pu franchir la grande barrière de la paix. Lui avait pu oublier, évoluer, avancer. Elle, non.

– Nous leur avons créé des souvenirs artificiels, répond-elle au bout d'un moment, pour ne pas trahir ses émotions. Des mois de travail, pour reconstituer leurs deux vies... Nous avons commencé à les leur implanter petit à petit. Pour l'instant, ils en sont encore à l'adolescence.

– Les petits veinards.

– Oui, si on veut...

Hermione s'interrompt un instant, puis reprend :

– Nous ne savons pas encore si cela va marcher comme prévu. S'ils retrouveront leur personnalité d'autrefois, leur relation... Mais, au moins, ils auront une vie. Ce sera déjà mieux que l'état dans lequel je les avais laissés.

– Ce n'était pas ta faute, Hermione...

– Je sais.

Ces paroles, Hermione les a déjà entendues des centaines de fois. Elle sait que ce n'est pas sa faute. Tout comme elle sait que ce n'est pas de la faute de Harry. Harry ne lui aurait jamais demandé de sacrifier la mémoire de ses parents pour l'aider dans sa quête des Horcruxes. Hermione a pris cette décision par elle-même. Et pourtant, malgré toutes ces années écoulées, une petite voix dans sa tête continue de lui murmurer : « C'est ta faute, Hermione ».

Et aussi : « Je l'ai fait pour toi. Je l'ai fait pour toi, Harry. Et toi, comment est-ce que tu m'as remerciée ? ».

– Nous verrons bientôt les résultats de toute façon, conclut-elle, plus amère qu'elle ne le voudrait.

Cette discussion la contrarie. Elle a l'impression de s'adresser à un étranger. Et quelque part, n'est-ce pas ce que Harry est devenu ?

– Quand tu dis « nous »..., demande soudain le jeune homme. Tu parles de Malefoy et toi, c'est ça ?

Cette fois, il a piqué sa curiosité. Hermione demeure interdite. Incertaine de ses réactions, et de l'étendue de ce qu'il sait. Harry hausse les épaules dans un geste d'excuse :

– C'est Ron qui m'en a parlé. Et puis de toute façon, le Département des Mystères surveillait sa boutique depuis pas mal de temps. Tu te doutes bien que le Ministère n'allait pas laisser un ancien Mangemort vagabonder dans la nature sans prendre de précautions...

– Il n'est pas un Mangemort.

– J'ai dit ancien Mangemort.

– C'est pareil. Déjà à Poudlard, tu le haïssais tellement que tu en as fait ton obsession : prouver qu'il était devenu un Mangemort...

– Oui, et toi tu refusais de me croire. Pourtant, il avait bel et bien reçu la Marque, et la mission de tuer Dumbledore, de réparer l'Armoire à Disparaître, de...

– Je sais tout ça !

Hermione inspire à fond. Ces paroles la mettent hors d'elle. Elle imagine Drago sous le feu croisé de tous ces faits d'armes qui lui sont reprochés, qu'il se reproche déjà suffisamment lui-même, et elle en souffre :

– Ecoute, reprend-elle plus posément. Ce n'était qu'un gamin, comme toi et moi. Il ne savait pas vraiment dans quoi il s'engageait. Il est très différent maintenant.

Harry hoche la tête :

– Il doit l'être. Pour que tu le défendes à ce point.

Le silence se creuse entre eux. A nouveau, Hermione est mal à l'aise. Elle voudrait combler le fossé qui la sépare de son meilleur ami, mais ce qu'elle est devenue l'en empêche. Au final, c'est Harry qui cherche ses mots :

– Je suis content que tu sois revenue parmi nous, tu sais, dit-il en lui pressant l'épaule. Tu nous as beaucoup manqué.

– Je n'étais pas très loin.

– Physiquement, peut-être. Mais tu sais très bien que ce n'est pas de ce genre de distance dont je parle.

– C'est Ron qui a choisi de me quitter. Pas moi. Pareil pour toi, Molly, Ginny, et tous les autres.

Hermione serre les poings. Elle ne voulait pas se montrer aussi agressive, mais le mal est fait. Elle n'a pas pu se retenir.

– Mais qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse, Hermione ? réplique aussitôt Harry. Qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse que nous n'avions pas déjà essayé ? Nous avions tout tenté, absolument tout !

– La preuve que non, rétorque-t-elle. Drago et moi, nous avons trouvé la solution.

– Drago... C'est toi qui a choisi d'ignorer nos hiboux ! De te couper du reste du monde ! De ne pas voir tes filleuls grandir !

– C'est ça que tu attendais de me dire depuis tout ce temps ? Me faire culpabiliser ?

– Non, je dis juste que...

Hermione se relève en sursaut. Sa robe virevolte au gré du vent par vastes bourrasques, qui transcrivent ses émotions. Elle n'arrive plus à contenir sa colère, ses tremblements et ses larmes. Toute la tristesse qui l'a minée toute l'après-midi :

– Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as, Harry ! s'écrie-t-elle. Quand je te vois avec tes enfants, avec Ginny, tes beaux-parents... Vous êtes tous si, si parfaits ! Et heureux. Moi, je n'ai pas tout ça...

– C'est toi qui as choisi de t'en priver.

– Je n'ai rien choisi du tout !

Cette fois, sa voix a transpercé les aigus, lui déchirant la gorge :

– Qu'est-ce que tu aurais voulu que je fasse ? Abandonner mes parents ? Les laisser moisir allongés sur une table le regard dans le vide, pour le restant de leurs jours, à cause d'un sortilège que j'ai jeté ? Profiter de ma vie pendant que j'ai détruit la leur ? Dis-moi, Harry, si tu avais une chance de sauver tes parents aujourd'hui, une seule chance, est-ce que tu pourrais t'en détourner et les laisser croupir dans d'atroces souffrances ?

Harry ne répond rien. Aussitôt, Hermione s'en veut. Elle sait à quel point Harry a souffert de la mort de ses parents, depuis toujours. Ce n'est pas juste de l'attaquer sur ce terrain. Et pourtant...

– C'est parce que j'ai perdu mes parents que je suis le plus à même de comprendre ce que tu as traversé, répond soudain Harry d'une voix basse et très calme. C'est parce que j'ai perdu mes parents que je sais à quel point la mort est fatale, définitive, et inéluctable. Il est complètement vain de vouloir l'annuler, revenir en arrière, ou l'empêcher. Tout ce que nous pouvons faire pour supporter cette vérité terrible, c'est l'accepter, et vivre.

– Mes parents ne sont pas morts.

– C'était tout comme. Je suis heureux que tu aies fini par trouver une solution, sincèrement. Mais au moment où Ron t'a quittée, où nous t'avons quittée nous aussi, tous, dans l'espoir que tu reviendrais vers nous, c'est comme s'ils étaient morts. C'est cela que tu n'as jamais été capable de comprendre, Hermione. Tous les jours, je me dis que mes parents sont morts à cause de moi, pour me protéger, et tous les jours, je vis avec cette culpabilité en tentant de la raisonner. Pour toi, c'est pareil. Tu as peut-être jeté le sortilège, mais tu ne pouvais pas en prévoir les conséquences. Tu ne voulais pas leur faire subir ce sort. Tu aurais dû l'accepter, accepter de les perdre, de lâcher prise. Parce que la mort fait partie de la vie. Crois-moi, j'ai été confronté à ce choix moi aussi un jour, et j'ai choisi la vie.

Hermione hausse les épaules, totalement désemparée :

– Pourquoi ? s'entend-elle demander. Pourquoi est-ce que je choisirais la vie ? Une vie dont ils ne feraient plus partie par ma faute ? Une vie où ils existeraient toujours, à jamais hors d'atteinte, à jamais perdus...

– Pour nous, Hermione. Pour Ron. Pour la vie que vous auriez pu construire ensemble.

La jeune femme essuie ses larmes :

– Ça ne sert plus à rien de disserter sur tout cela de toute façon, tranche-t-elle. Ils vont guérir. Vous aviez tort, tous. Vous m'avez traitée comme si j'étais folle, et vous m'avez laissée tomber. Aujourd'hui l'avenir dont tu parles, je ne suis pas sûre d'être encore capable de le bâtir un jour. J'ai trop changé, et peu importe ce que tu te dis la nuit pour t'endormir, c'est en partie de ta faute.

L'amertume s'écoule d'elle comme un venin en dehors d'une plaie. A présent qu'elle est lancée, Hermione ne parvient plus à s'arrêter :

– Tu sais, Harry, lance-t-elle avec un petit sourire triste. Je t'aurais suivi n'importe où, quand nous étions jeunes. J'ai effacé la mémoire de mes parents pour toi. Je serais allée jusqu'au bout du monde pour toi. J'ai fait la guerre, j'ai été torturée, j'ai détruit un Horcruxe... Mais toi, tu m'as abandonnée. Quand j'ai eu besoin de toi, tu m'as tourné le dos : toi, Ron, et tous les autres. Parce que tu as toujours été doué pour vaincre les Forces du Mal, hein, Harry ? Mais le mal qui frappait mes parents, lui, était moins concret. Ce n'était pas un ennemi de chair et de sang. Ce n'était pas un adversaire avec qui tu pouvais parler, te battre, jusqu'à l'arrêter ou le tuer. Non, c'était une maladie, tout simplement. Un malheur. C'est difficile de rester auprès d'une personne malheureuse. Je le sais. Je sais à quel point ça a été dur pour Ron de rester auprès de moi pendant si longtemps.

– Hermione, ne dis pas ça...

– Pourquoi ? Ose me dire que j'ai tort. Franchement, j'espère pour toi que Ginny ne tombera jamais malade, Harry. Du moins, je l'espère pour Ginny. Parce que si tu lui témoignes le même dévouement que celui dont tu as fait preuve envers moi, alors la pauvre finira toute seule, sans personne pour se préoccuper de son sort.

– Tu n'as pas le droit de dire des choses pareilles ! Je...

Ron surgit tout à coup pour les rejoindre. Hermione se demande vaguement si, du bas de la colline, tous ont pu les entendre. Harry est essoufflé et rouge de colère ; quant à elle, ça ne doit pas être beaucoup mieux.

– Qu'est-ce qui se passe ? demande Ron.

Hermione secoue la tête :

– C'était une erreur. Je n'aurais pas dû venir.

– Mais enfin, pourquoi ? Hermione ! Nous sommes ta famille ! Nous le serons toujours, nous t'aimons ! C'est ici qu'est ta place !

– Non, justement.

De nouveau, la jeune femme tente d'essuyer ses larmes, sans succès. Une sorte de certitude froide s'est coulée en elle jusqu'à englacer son cœur :

– Toi, Harry, Ginny, et tous les autres, vous me regardez comme si j'étais une bête de foire prête à craquer à tout instant.

– Ce n'est pas du tout ce que...

– Vous me dévisagez avec curiosité. Comme un animal blessé. Ou un jouet qu'il faudrait réparer. Vous vous demandez : comment a-t-elle bien pu devenir comme ça ? Et surtout : quand redeviendra-t-elle normale ? C'est ça, le mot-clé... Normale.

Hermione s'approche pour affronter Ron dans les yeux. La vérité s'échappe de sa bouche sans qu'elle ne puisse la retenir, et elle lui écartèle la poitrine :

– Vous vous attendez tous à ce que je redevienne la Hermione que vous avez connue, déclare-t-elle. Celle que vous avez aimée. Mais voilà, je ne suis plus cette personne-là. Et je ne crois pas que je puisse le redevenir un jour. Et je suis fatiguée, fatiguée que l'on me fasse comprendre à quel point j'ai l'air misérable, à quel point j'ai gâché ma vie, à quel point j'ai eu tort, et à quel point j'ai besoin d'être réparée. Je suis fatiguée de me haïr. Je veux que l'on arrête de critiquer mes choix et que l'on reconnaisse que pendant tout ce temps, j'ai eu raison. Pendant tout ce temps, vous m'avez abandonnée.

Elle voit Ron se décomposer à mesure qu'elle parle, mais elle ne peut plus s'arrêter :

– Je suis désolée, Ron, articule-t-elle. Je croyais pouvoir passer outre, vraiment. Je croyais pouvoir oublier, pouvoir me remettre avec toi et redémarrer notre vie ensemble, mais... Je n'y arrive pas. Je n'y arrive pas.

Elle ajoute, totalement effondrée :

– Tu m'as abandonnée... Et à chaque seconde, je me demande si tu pourrais le faire encore une fois.

– Hermione... Bien sûr que non.

– Je ne veux pas être une cause à défendre pour toi. Je ne veux pas que tu essayes de me réparer. Je veux que tu m'aimes comme je suis maintenant.

– Je t'aime, je t'ai toujours aimée ! Et toi aussi tu m'aimes, je le sais.

Le regard d'Hermione se perd sur le visage de Ron :

– Je t'aime, oui, murmure-t-elle. Mais je ne crois pas que tu sois ce qu'il me faut maintenant.

Ron reste tétanisé. A leurs côtés, Harry assiste à la scène sans oser rien dire. Plus que jamais, Hermione a l'impression d'être prise pour une folle. Elle voudrait fuir cette colline le plus vite possible. Fuir et se confier à la seule personne en qui elle ait encore confiance sur cette Terre, la seule avec qui elle partage encore un lien intime et indicible : Malefoy...

– Hermione, il faut juste que nous nous laissions du temps, tente de la retenir Ron. Tu ne crois pas ? Il est évident que rien ne pourra jamais redevenir comme avant. Mais je suis prêt à y faire face. Pas toi ? Ce n'est donc pas ce que tu veux : une vie avec moi, envers et contre tout ? Tu veux vraiment te retrouver à nouveau toute seule ?

Hermione ne trouve rien à répondre. Où Ron a-t-il donc trouvé toute cette sagesse ? Ses arguments sont imparables, mais elle demeure pourtant incapable de les accepter. Il le ressent :

– Il y a autre chose, déduit-il, de plus en plus hésitant. Quelque chose que tu ne veux pas me dire.

Hermione inspire profondément. Dans le fond, elle n'a plus rien à perdre. Elle a tout perdu il y a déjà très longtemps :

– Je ne suis pas seule, déclare-t-elle.

Un long silence suit ses paroles. Après quoi, Harry s'esclaffe :

– Tu parles de Malefoy là peut-être ?

Elle le défie de continuer :

– Lui au moins a été là pour moi quand vous tous m'aviez laissée tomber. Il m'a comprise, il a accepté de m'aider. Il ne me regarde pas comme si quelque chose n'allait pas chez moi...

Face à elle, Ron demeure sans réponse, parfaitement incapable de parler. Hermione, elle, sèche ses larmes. Pour de bon cette fois :

– Quand je suis ici, j'ai l'impression de me forcer à être une personne que je ne suis plus. J'ai l'impression d'être à une veillée mortuaire. Et j'en ai ma claque. Si vous m'aimiez, si vous vouliez m'avoir auprès de vous, il fallait rester auprès de moi quand j'avais le plus besoin de vous. Aujourd'hui, j'ai changé. Si vous êtes incapable de m'aimer telle que je suis, eh bien soit. J'ai l'habitude de vivre sans vous, désormais. Je refuse d'être jugée une seule seconde de plus.

– Hermione...

– Non.

Hermione empêche Ron de la retenir :

– Remercie tes parents pour moi. Tes frères, Ginny, les enfants, tout le monde. Mais je ne suis pas prête à faire semblant. Et, tout cela... Ce n'est pas moi. Ce n'est plus moi. Je suis désolée, Ron. Je crois que ce monde, ton monde, m'est devenu à tout jamais inaccessible.

– Mais moi, je ne peux pas vivre sans toi...

Elle lui sourit, très doucement :

– Si, tu le peux, murmure-t-elle. Tu l'as déjà fait. Sinon, tu ne m'aurais jamais quittée.

Et elle transplane, sans avoir besoin d'un mot de plus. Mue par cette seule certitude au fond d'elle-même : elle veut parler à Drago. A Drago, et seulement à Drago.

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