XIX. Ne t'avise pas d'avoir des problèmes, première partie

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 Il se réveilla assez tôt, le dos moulu par le plancher. Il gronda et se retourna, chercha une meilleure posture, mais finit par se dresser les yeux bouffis de sommeil. Vivien n'était plus là. Jal paniqua une seconde et bondit sur ses pieds, un vertige le rattrapa et le fit vaciller. Son cousin se trouvait à la fenêtre à son tour, il regardait le soleil qui se dégageait des écharpes de brume. Quelques gouttes de pluie toquaient au carreau sans violence, comme une bruine marine. Jal frissonna et referma sa cape autour de lui. Vivien perçut ce mouvement et se tourna.

  • Ah, tu es réveillé. Je suis désolé, tu aurais dû me réveiller au lieu de dormir sur le sol.
  • Tu pars pour un long voyage aujourd'hui. Il vaut mieux que tu sois bien reposé, je n'ai aucune envie de te perdre en route.

Vivien désigna le plateau posé à côté de lui sur le rebord.

  • Ta logeuse nous a monté un petit déjeuner. Sers-toi.

 Jal acquiesça et prit une tasse d'infusion de morvandelle chaude, collant ses mains dessus avec délices. Il choisit un petit biscuit sur le plateau. On voyait aux miettes qui jonchaient le bois que le Vorodien avait déjà largement profité du repas.

  • Et toi ? Bien dormi ?

 Vivien soupira et regarda par-delà l'horizon.

  • Moyen. J'ai l'excitation de ma première mission, tellement hâte de retrouver Aurine, et peur pour Yoann... Aujourd'hui je pars à l'aventure, c'est ce que je me dis. Et advienne que pourra.
  • Tu as raison. Tu sais que tu pourras compter sur mon appui.
  • Je sais.

 Il y eut un long silence. Jal sirotait sa tasse et profitait de sa chaleur. Il adorait profiter d'une boisson chaude, de derrière un carreau où tapait la pluie. Lorsque Vivien eut terminé sa tasse, il la reposa délicatement, se leva et prit sur le tabouret son chapeau à plume d'oilan. Jal cherchait le courage de se lever. Il regarda sa magnifique tenue d'intronisation froissée par sa nuit précaire et remit ses anciennes affaires. Il apprécia de retrouver les plis familiers de sa cotte et de ses chausses. Il remit son chapeau, boucla le ceinturon de Valte et ouvrit la porte. Vivien attrapa Imsil restée à côté du lit et courut à sa suite, vérifiant d'un geste qu'il avait toujours le message. Jal aperçut alors son porte-message en cuir rougi, tout neuf, avec des boutons cuivrés. Il fallait qu'il s'en procure un lui aussi. Il salua sa logeuse en passant et sortit. Il enfonça son chapeau en sentant la pluie fine se glisser dans son col. Il laissa son cousin passer devant, il ne connaissait pas l'endroit où il logeait. Vivien l'entraîna dans la rue des Couronnes et entra dans une pension. Il revint peu de temps plus tard, avec tout son paquetage et ayant remis sa tenue de voyage. Une force calme habitait ses pupilles. Il était prêt.

 Ils allèrent chercher Liz rue Batelière. Elle portait un long manteau brun et des chausses. Jal n'avait pas vu sa cousine sans sa robe bleue d'étudiante qu'elle avait dû laisser, il eut la sensation de la redécouvrir. Si une chose, en revanche, n'avait pas changé, c'était son sourire. Elle remonta sa capuche et marcha d'un pas preste à leur suite. Jal jetait des regards anxieux derrière lui, Lidwine devrait être là. Ses deux cousins marchaient déjà vers la porte de la cité. La silhouette les rattrapa à quelques pas devant le rempart.

  • Hé, attendez-moi !

 Elle courait vers eux, vêtue de sa robe rouge vif et d'une capeline violette. Jal s'illumina.

  • Lidwine ! Je commençais à m'inquiéter.
  • Il ne faut pas, répliqua-t-elle en arrivant à sa hauteur, je finis toujours par arriver.

 Le jeune homme agitait dans sa tête un assourdissant chaos de pensées contraires. Celle qui marchait à côté de lui ne lui apportait aucun élément de réponse. Il baissa la tête, mais ne pouvait s'empêcher de voir la forme de ses jambes se dessiner sous la cape de temps à autres. Liz ralentit un peu pour venir leur parler, ce qui lui apporta un soulagement partiel.

  • Bonjour, dame Artanke !
  • Oh, Liz ! J'ai appris ce qui s'était passé hier. Je rejoins l'avis de votre famille : ce n'était pas de votre faute.
  • Anselme a fait preuve d'une grandeur d'âme impressionnante en me pardonnant. Il est passé à deux doigts de la mort par ma faute.
  • Mais vous l'avez sauvé.
  • Il n'aurait jamais été en danger sans moi.
  • Il vous avait provoquée ! Je pense qu'à votre place je l'aurai embroché.

 Jal étouffa un rire. Il n'avait aucun mal à se représenter la scène. Cela parut détendre Liz et la rassurer un peu.

  Le bâtiment de l'éleveuse d'ordimpes apparut sous le ciel gris. Il n'y avait plus personne. Quelques bêtes évoluaient dans les champs. Vivien avança pour secouer la petite cloche suspendue près du porche. Ils grelottèrent un moment sous la pluie, resserrant leurs capes, jusqu'à ce que le visage de Mme Temha apparaisse dans l'encadrement.

  • Bonjour.
  • Bonjour, madame, je suis le messager Bertili, je viens chercher ma monture. Je dois partir au plus vite.
  • Voulez-vous me rappelez de qui il s'agit ?
  • Muliphen.
  • Entrez.

 Elle ouvrit largement les battants et laissa passer les arrivants. Ils s'abritèrent dans la grange, profitant de sa bienfaisante chaleur. Ils repoussèrent leurs capuches, redécouvrant leurs visages respectifs. Des gouttes tombèrent de leurs cheveux et s'écrasèrent sur le sol, creusant des petits cratères. Liz s'ébroua, aspergeant de gouttes son frère juste à côté d'elle.

  • Hé !

 Elle lui adressa un sourire malicieux et insolent qui ne pouvait pas être pris pour une excuse. Vivien eut une moue faussement réprobatrice.

  • Tss, tss ! Petite sorcière...

 Elle accentua son sourire et plongea dans un simulacre de révérence presque aussi insolent.

  • A votre service ! Tu veux une preuve ?

 Il eut un mouvement de recul.

  • Non !

 Il n'avait pu cacher un réel accent de terreur dans son exclamation. Le sourire de Liz disparut aussitôt et sa gorge montra un mouvement de déglutition. Elle resta stoïque, mais Jal vit qu'elle se mordait l'intérieur de la joue pour retenir ses larmes.

  • Je te fais peur, Vivien ?

 Sa voix résonna, étrangement calme et sombre, sous les voûtes. Elle fixait son frère, jamais ses yeux gris n'avaient été aussi proches de l'acier.

  • Réponds-moi ! Je te fais peur ?

 Cette fois, il y entendit presque de la violence. Une part de désespoir.

  • Non, Liz. Je n'ai pas peur. Tu es ma petite sœur et je t'aime.

 Il avait bien choisi sa voix, douce, apaisante, et ouvrit les mains. Il tenta un sourire.

  • Je te fais confiance. Regarde, là, tout de suite, tu pourrais me tuer. Non, ne secoue pas la tête. Tu en as la puissance, mais tu ne le feras jamais. Et c'est parce que j'en suis sûr que je t'ai défendue hier, comme depuis ta naissance.

 Elle secoua la tête et courut se blottir contre lui.

  • Et tu vas partir !
  • Pour sauver Yoann, ma sorcière. On en a déjà parlé. Les risques sont prévus. Après tout, je suis messager maintenant, chevalier de la Plume et de l’Épée ! J'attends celui qui essaiera de me barrer la route !

 Il se détacha de sa sœur et repoussa ses cheveux mouillés derrière tes oreilles.

  • Occupe-toi d'abord de toi. Regarde, je n'ai pas peur, moi !

 Il mentait. Mais sa sœur le crut, trop émue pour le remarquer.

  • Les Bertili vont s'en sortir, comme toujours.
  • Comme toujours !

 Le pas de l'éleveuse retentit, suivi de celui plus discret de Muliphen. L'animal braqua son regard fauve sur son maître, si tranquille qu'il parut calmer un peu ce dernier. Il portait son harnachement. Mme Temha posa la bride dans la main de Vivien.

  • Voilà votre monture, messager. Elle a mangé ce matin, elle vous attend.
  • Parfait. Merci beaucoup, madame.

 Il passa la main sur le garrot, sans se décider à monter. Il emmena Muliphen à l'extérieur de la cour et l'éleveuse ferma la porte. Ils se retrouvèrent tous les quatre dehors, sous la bruine, désorientés. Vivien inspira un grand coup et grimpa sur Muliphen. Il faut bien reconnaître qu'il avait une allure plutôt impressionnante avec son chapeau à plume, sa cape verte et son épée Imsil, perché sur cet animal imposant.

  • Bon...
  • Je crois qu'il faut qu'on se dise au revoir.

 Il se moquait à moitié. Son cousin allait lui manquer.

  • Bon voyage. Et n'oublie pas que tu es messager maintenant.
  • T'inquiète.
  • Aurine va adorer.

 Il essaya de sourire mais personne n'y crut réellement. Il ajusta son écusson de messager sur son pourpoint et composa à son visage un air assuré. Liz alla prendre entre ses mains la tête de Muliphen.

  • Toi, tu veilles sur mon frère, compris ? Sinon tu auras affaire à moi. Et toi, là haut, ne t'avise pas d'avoir des problèmes. J'ai encore besoin de mon frère. Et tu as les salutations de Lénaïc.

 Jal vissa ses yeux perle dans ceux de Vivien.

  • Vas-y, et sauve Yoann. Ne fais pas de bêtises.
  • Défi relevé. N'oublie pas, je suis un vainqueur.

 Il faillit rire. L'émotion l'en empêcha.

  • Tu es un vainqueur. Un foutu vainqueur. Et tu vas y arriver.

 Il recula, et ce fut au tour de Lidwine. Elle repoussa sa capuche. Ses cheveux devenaient noirs sous la pluie.

  • Messager Bertili... Je ne sais si nous nous reverrons, je l'espère vivement, mais je vous souhaite toutes les chances pour votre premier voyage. Je me permets aussi d'associer mes vœux aux vôtres pour la libération de votre demi-frère. J'ai beaucoup d'admiration pour votre loyauté. Au revoir donc, que votre Lune vous protège.

 Il souleva son chapeau.

  • Merci, messagère Artanke. J'apporterai fidèlement vos vœux à Yoann, qui en sera très touché. Que votre Lune garde un œil sur vous. Et vous pouvez avoir confiance en Jal, je n'ai rencontré personne de plus loyal.
  • J'en suis déjà convaincue, répliqua-t-elle en jetant un œil au désigné. Je vous serai reconnaissante de me tenir informée de la suite des événements.
  • Bien sûr.

 Jal déglutit. Le moment venait. Vivien leur sourit, avec déjà une once de nostalgie, fixa l'horizon et donna un léger coup de talon à Muliphen. L'ordimpe obéit et s'ébranla d'un pas souple et puissant, au petit trot. Jal sentit la main froide de Liz se glisser dans la sienne.

  • Ne t'en fais pas. Tu le connais bien, c'est un grand garçon, il va s'en sortir.

 Elle hocha la tête, la gorge trop nouée pour parler. Lidwine, à son habitude, restait droite et immobile, comme sculptée dans la pierre. La silhouette du messager lointain leur adressa un signe de la main. Tous répondirent spontanément. Vivien était déjà loin. Jal ne put s'empêcher de se représenter le visage de son cousin en train de les saluer, trois petites silhouettes au loin, avec peut-être les yeux humides, et du courage plein le cœur.

  • Bonne chance, Viv, murmura-t-il.

 Et la silhouette disparut derrière la masse de la Donna.

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