XIV. La vérité, première partie

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 Lidwine chercha son chevalier des yeux, perplexe, et le repéra soudain au milieu des danseurs en compagnie d'une demoiselle à la magnifique chevelure rousse. Elle fronça les sourcils ; elle avait l'impression de connaître ce blason. Elle surprit même la dame à se pencher pour glisser quelques mots à l'oreille du Ranedaminien, et ce dernier répondre de la même manière. Une colère qu'elle connaissait bien flamba dans sa poitrine et sa main se resserra sur la poignée de Devra. Elle avait du mal à se retenir d'intervenir quand il se pencha vers elle. Mais elle remarqua avec un certain soulagement qu'il paraissait plus encoléré que charmé. Une curiosité intriguée l'emporta quand elle vit Jal reculer brusquement, visiblement choqué par les mots de la Tumnoise. Il revint vers elle, mais après quelques mots de plus, il recula à nouveau en laissant échapper :

  • Mais c'est impossible !

 Les gens se retournèrent vers lui, mais il se détourna aussitôt de la dame rousse pour quitter la piste avec un front soucieux. Qu'avait-elle bien pu lui dire ? L'escrimeuse se faufila vers lui.

  • Jal ! Que se passe-t-il ?

 Il releva la tête en l'entendant et son regard s'éclaira une fraction de seconde en la reconnaissant.

  • Je... je viens d'apprendre une mauvaise nouvelle.
  • Qui était cette demoiselle ?

 Il ne remarqua pas le venin masqué dans sa voix, abattu par la nouvelle. Il connaissait Yoann, quand Vivien et lui étaient petits, il les emmenait en mer et leur prêtait la longue-vue... Pour les deux cousins, il incarnait l'image de l'aventurier plein de courage et de droiture. Il ne pouvait pas avoir essayé de tuer le duc d'Ymmem, ça n'avait pas de sens. D'ailleurs, pour quelle raison ? C'était forcément une erreur.

  • C'est Karen Alenia, duchesse d'Ymmem avant de devenir messagère.
  • Tu la connais ?
  • Pas vraiment. J'étais intrigué parce qu'elle avait reconnu ma famille, et depuis, elle m'évitait. Je voulais savoir pourquoi... Maintenant je sais.

 Lidwine remarqua son air sombre.

  • Puis-je t'être d'un quelconque secours ?
  • Peut-être. Je dois trouver Vivien.
  • Il dansait avec une fille en bleu...

 Mais le messager vorodien ne se trouvait plus sur la piste. Jal jura à mi-voix ; il détestait cette foule de plus en plus. La valse se terminait. Le roi Oswald traversa l'assemblée d'un pas lent et d'un geste altier, ordonna aux gardes d'ouvrir les portes de la cour. Les mages du royaume le suivirent, puis tous les nouveaux messagers entourés par l'orchestre qui entama une marche triomphale. La procession s'ébranla dans la grand-rue si souvent traversée ; la musique entrait dans toutes les ruelles, toutes les fenêtres, des messagers dansaient, les habitants ouvraient leurs portes et leurs fenêtres pour acclamer les nouveaux messagers, certains lançaient des pétales de fleurs. Les mages s'amusaient également à faire pleuvoir une poussière de lumière sur toute l'assistance. Jal aurait adoré profiter de cette fête en compagnie de Lidwine, et s'émerveiller de sa nouvelle nomination, mais la terrible nouvelle de Yoann accusé de tentative de meurtre le préoccupait trop. Il finit par tomber purement par hasard sur Vivien qui saluait largement sa cavalière.

  • Viv ! Il faut que je te parle.

 Le jeune homme reconnut le sérieux sur le visage de son cousin et ne protesta pas.

  • Quoi ?
  • Je viens de parler à Karen Alenia. Ça te dit quelque chose ?
  • C'est la duchesse d'Ymmem, non ?
  • C'était. Mais tu savais qu'elle retenait Yoann en prison ?

 Le Vorodien resta interdit quelques secondes, mais il faut lui reconnaître qu'il se reprit vite.

  • C'est-à-dire que...

 Mais il n'eut pas besoin d'en dire plus. Son cousin avait compris.

  • Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
  • Je prouverais son innocence. Tu m'entends, Jal ? Je leur prouverais que ce n'est pas lui, parce que c'est impossible.
  • Vivien... Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

 Il soupira et baissa les yeux pour masquer son air coupable.

  • Je savais que tu t'en mêlerais, à cause de ta curiosité, et je ne voulais pas t'embrouiller là-dedans. Et puis les épreuves allaient être suffisamment éprouvantes pour toi...
  • Ça fait combien de temps ?

Vivien se racla la gorge plusieurs fois avant de lâcher :

  • Cinq Quanta.

 Cinq ! Depuis la dernière saison des Vents ! Pauvre Yoann...

  • Comment ça s'est passé ? Tu as des indices ?
  • Je vais y aller.
  • Aurine ne t'attendait pas à Ondia ?
  • Non. Je lui ai envoyé un message, elle me rejoindra là-bas. A Ymmem. Moi messager et elle comtesse d'Ondia, nous aurons plus de poids.
  • Je peux...

 Vivien arrêta son cousin d'un geste, sévère.

  • Non, tu ne peux pas. Laisse-moi régler cette affaire. Ce n'est pas à toi de mener cette enquête.
  • C'est mon cousin tout autant que toi !
  • C'est mon demi-frère, et je préfère me débrouiller seul.
  • Tu en es sûr ? Ça va être long et risqué, Viv...
  • Si j'ai besoin d'aide, je t'appellerais à la rescousse. Sois-en sûr.
  • C'est promis ?
  • Tu as ma parole, sur toutes les Lunes de Volterra.

 Ils se serrèrent la main, les yeux dans les yeux. Jal se sentait déjà un peu rassuré, mais il restait intérieurement consterné d'avoir ignoré le sort de Yoann si longtemps. Pouvait-il lui envoyer une lettre ? La famille Alenia acceptait-elle que ses prisonniers reçoivent du courrier ? Il aurait dû demander à Karen. Maintenant, elle le fuirait plus encore...

  • Il peut recevoir des lettres ?
  • Le Code du Messager indique que tout message doit être remis en main propre à son destinataire tant que celui-ci est en état de la recevoir. Même la famille Alenia ne peut pas s'y opposer.
  • Alors je vais écrire un message pour Yoann. Et c'est toi qui le lui portera. Comme ça, tu pourras le voir et tu auras tes entrées au château.
  • Jal, c'est une idée de génie !

 Il réussit à sourire et se tourna vers l'avant.

  La procession joyeuse atteindrait bientôt les portes de la ville. Ce jour-là, pour la cérémonie, elles étaient restées fermées. Personne ne quittait l'enceinte avant l'ouverture par les messagers nommés, qui devraient utiliser leurs mains et jamais les chaînes à contrepoids employées quotidiennement par les gardes de Lonn. Le roi Oswald arrêta la procession et le mage Mirant vint lui apporter la lourde clé de la porte dans un silence soudain. Le roi glissa la clé dans la serrure ; il se produisit un claquement sec nettement audible. Tous les messagers se massèrent alors contre les battants monumentaux pour pousser tous en chœur. Jal y mit autant d'ardeur que les autres, les deux mains appuyées contre le bois massif. Lentement les portes s'ébranlèrent, presque à regret, raclant désespérément les pavés. Mais les nouveaux messagers étaient décidés. Jal repensa soudain à Lidwine. Quelque part, elle aussi mettait toute sa force dans le même projet, le même effort. Il redoubla de vigueur, écrasa son épaule sur le battant. Il fut presque surpris, concentré qu'il était, lorsque les poignées claquèrent contre la pierre de l'autre côté. La verte campagne du royaume de Lonn et la route poussiéreuse s'étendaient devant lui. Il resta pantelant quelques secondes, reprit son souffle. La masse agglutinée là partit alors d'une immense clameur d'allégresse. La cérémonie était terminée, les portes étaient ouvertes. Tous faisaient à présent partie des messagers, à part entière. Jal comme les autres cria sa joie et lança son chapeau en l'air. Il regrettait que son cousin ne fut pas à ses côtés pour partager ce moment. C'est alors qu'une apparition vêtue de lumière se matérialisa devant lui.

  • Enfin, te voilà !

 C'était Lidwine, nullement incommodée par l'effort qu'elle venait de fournir. Elle souriait, respira profondément et se tourna vers l'horizon.

  • C'est étrange de se trouver là, maintenant que l'objectif est atteint. Le monde est devant nous, tout est à faire, et pourtant je ne sais pas par quoi commencer...

 Jal acquiesça ; il ressentait quelque chose d'analogue. La liberté, tous les possibles à portée de la main, mais cette gêne étrange, cette sensation que quoi que l'on fasse, on passera à côté d'un autre chemin... Trop de choses à faire, cette ivresse de l'ouverture soudaine des possibles... Il secoua la tête et se tourna vers elle pour lui sourire. Il venait de réussir, et à ses côtés. Il ne pouvait pas se plaindre aujourd'hui.

  • Où est Vivien ?
  • Je ne sais pas.

 Son pauvre cousin devait se torturer les méninges pour trouver un moyen de sortir Yoann du pétrin dans lequel il s'était fourré.

  • Il a un problème ? Tu m'avais parlé d'une mauvaise nouvelle. Si je peux aider en quoi que ce soit...

 Il secoua la tête.

  • Moi-même, je ne peux pas aider. Vivien tient à régler cela tout seul. Je ne voudrais pas t'embêter avec ce genre d'histoires, pas un jour comme celui-ci.

 Un festin allait être servi dans les jardins du palais. Un feu d'artifices suivrait, le soir même au-dessus du fleuve. Les messagers nouvellement nommés allaient sans doute faire la fête dans les tavernes et les bals de la ville jusqu'au lendemain. Lonn porterait un air de fête encore quelques jours, puis ils chercheraient chacun leur première mission. Beaucoup quitteraient la ville. Jal ne savait pas encore quoi faire. Dire adieu à Vivien, à Liz et surtout à Lidwine lui semblait au-dessus de ses forces. Mais tout d'abord, il lui fallait un équipement de messager. Un porte-messages, et surtout un ordimpe. Il savait qu'il pourrait les trouver autour de la ville cet après-midi après le festin. Et pourquoi ne pas demander à Lidwine de l'accompagner ?

  • Lidwine ?
  • Messager Jal ?
  • Allons profiter de la cuisine de notre roi, qu'en penses-tu ?
  • Excellente idée ! Le seigneur Bertili nous accompagnera-t-il ?
  • Je l'espère...

Jal chercha son cousin des yeux. Était-il déjà rentré chez lui ? Non, il avait dû aller d'abord annoncer les nouvelles, la bonne comme la mauvaise, à sa petite sœur.

  • Il doit être en route vers l'académie ! Viens !

 Jal connaissait le moyen de rattraper Vivien avant qu'il n'atteigne la sphère blanche. Il ne se trompait pas. En passant par l'Arcade des Juges, il reconnut la cape rouge sombre et le chapeau à plume d'oilan que portait Vivien.

  • Hep !

Son cousin s'interrompit et s'immobilisa. En quelques pas, ils le rattrapèrent.

  • On va voir Liz ?
  • Tu crois qu'elle sera à l'académie ?
  • Elle s'entraînera sûrement...
  • Et je sais où, glissa Jal avec un sourire entendu.

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