X. J'aime pas la magie, troisième partie

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 Sans la foule des aspirants messagers, la cour du palais et à fortiori le grand hall paraissaient immenses.

  • Où va-t-on trouver les mages ?...
  • Commençons par aller voir au laboratoire.
  • Tu te souviens où il se trouve ?
  • Bien sûr !

 Jal leur indiqua les escaliers. Leurs pas résonnaient sous la voûte formée par l’oculus fermé. Jal embraya dans un couloir au troisième étage. La huitième porte était celle du laboratoire.

  • Gagné !

 Vivien toqua à la porte. Nul ne répondit. Pas le moindre frémissement.

  • Ils ne sont pas là.

 Le petit groupe s’apprêtait à redescendre quand un jeune valet émergea d’un couloir adjacent.

  • S’il vous plaît !

 Il parut très surpris de voir quelqu’un.

  • Que faites-vous ici ? Qui êtes-vous ? Les épreuves sont terminées, vous n’avez pas à entrer ici en dehors des uchronies d’ouverture de la grille. Partez !

 Le quatuor se retrouva dehors sans avoir réellement compris la raison de son empressement.

  • Bon, eh bien, direction l’académie, je suppose ? soupira Vivien.

 Jal opina du chef et les entraîna dans les ruelles de Lonn par le chemin le plus direct pour l’académie de magie. Il gravit les marches flottantes avec un léger sourire. Finalement, on s’y habituait !

 L’intérieur bruissait toujours des pas et des paroles des étudiants et des professeurs qui quadrillaient les couloirs dans des buts divers. Liz prit alors la direction des opérations.

  • Allons au bureau du directeur Divef. Il saura forcément si les mages sont ici.

 Et elle traversa le hall d’un pas décidé qui écartait les élèves devant elle. Jal lui emboîta le pas avec un léger sourire. Sacrée Liz !

 Son cousin et l’escrimeuse les rattrapèrent devant une porte qui portait une inscription dorée : Goulven Divef, directeur. L’étudiante frappa avec un aplomb inébranlable. Le directeur entrouvrit la porte.

  • Ah, notre jeune prodige ! Entrez, mademoiselle Bertili, entrez. Qui sont vos amis ?

 Il s’effaça pour les laisser entrer. Le bureau était petit, mais clair et très bien agencé. Une plume trempait dans l’encre, et un parchemin commençait à sécher sur l’écritoire, preuve d’un travail interrompu. Le directeur se laissa tomber dans un fauteuil de cuir.

  • Oh, mais je reconnais ce jeune seigneur et cette charmante dame. L’enlèvement, mais oui ! Vous avez retrouvé votre fiancé, mademoiselle ?

 En un éclair, Jal se souvint de la stratégie de Lidwine pour masquer son anomalie magique. Il lui fallut bien cela pour ne pas grincer des dents quand la belle Lonnoise adressa un regard plus chaud que la braise à son prétendu fiancé Vivien.

  • Oui, je vous remercie, directeur. Grâce à vous, celui que j’aime est à nouveau à mes côtés.

 Non mais vraiment ! Jal, d’ailleurs, retint un fou rire en voyant son cousin fermer les yeux et probablement évoquer le souvenir de sa véritable fiancée Aurine, pour résister au charme de la dame Artanke.

  • Je vous en prie, je suis heureux d’avoir pu contribuer à une si belle histoire d’amour. Ce sera un mariage magnifique ! Mais ma chère élève a-t-elle une requête ?

 Liz s’éclaircissait la gorge pour abréger les félicitations et l’embarras de son cousin.

  • Les mages royaux sont venus vous voir, n’est-ce pas ?

 Soudain le directeur perdit son sourire exagéré et baissa ses lunettes sur son nez.

  • Une drôle d’histoire, oui. Apparemment, un aspirant a perdu connaissance durant l’épreuve de magie. J’espère qu’il s’en est tiré. Les mages voulaient savoir si j’avais eu connaissance d’un cas semblable. Je leur ai répondu qu’il me semblait impossible que la magie fut en cause. C’est une énergie positive, comme vous le savez, et celle employée lors des épreuves ne comportait aucun danger. Ils ont donc conclu à un problème de santé handicapant et l’ont jugé incapable de continuer les épreuves. Il a été rayé des registres des candidats. Une bien triste histoire, jugea Goulven Divef en hochant la tête.

 Jal crut que la foudre s’était abattue sur lui. Il ne pouvait plus aligner deux mots.

  • Quoi ! Ils l’ont rayé de la liste ? Mais ils n’ont pas le droit ! s’insurgea Lidwine.
  • Directeur ! Il faut que je les voie ! hurla Liz.
  • Hein ? Mais pourquoi ? Ils ont terminé le…

 Jal retrouva ses esprits et coupa le directeur qui ne comprenait plus rien.

  • Vous ne comprenez pas ! Il s’agit de moi !
  • Vous, mon jeune seigneur ? Allons, vous êtes en pleine forme !
  • Justement ! Liz Bertili ici présente m’a soigné, je suis tout à fait apte à reprendre les épreuves ! C’est bien la magie la cause de mon évanouissement.
  • La magie, mon jeune ami, ne peut pas faire de mal à celui qui l’emploie.
  • Je vous en supplie, directeur Divef, je ne peux pas renoncer maintenant. Faites-moi confiance, je suis en excellente santé. Il y a des choses que vous ne savez pas, mais il faut que je devienne messager, cela fait des années que je me prépare pour cela ! S’il vous plaît, appelez les mages…
  • Pour leur expliquer quoi ?

 Jal soupira, la mort dans l’âme, et consulta du regard ses amis. Devait-il tout expliquer à Goulven Divef ? Les yeux de Vivien et de Lidwine disaient oui, sans doute par inquiétude pour lui. Il faut que tu leur dises, Jal, lut-il. Explique tout, sinon tu n’auras plus aucune chance. Mais il croisa alors le regard de sa cousine magicienne. Et celui-ci hurlait un NON si criant, si palpable qu’il aurait juré l’entendre prononcer à voix haute. Liz étant celle qui connaissait le mieux le directeur, il se rallia à son avis.

  • Où puis-je les rencontrer, s’il vous plaît ? Ils constateront d’eux-mêmes que je peux figurer parmi les candidats. Ne cherchez pas à approfondir cette histoire d’évanouissement.

 De guerre lasse, le directeur Divef lâcha :

  • La salle des secrets.

 Ni Jal ni Vivien n’en avaient jamais entendu parler.

  • La salle des secrets ?

 Liz leur expliqua, une fois revenus dans le couloir, hors de portée des oreilles du directeur.

  • C’est une salle en sous-sol, où se prennent les décisions importantes ou stratégiques. Elle est gardée par tant de sortilèges que nul n’a jamais réussi à entendre le moindre mot qu’on y ait prononcé sans avoir été invité. Elle n’a aucune communication avec l’extérieur. Hormis les mages, le directeur et le roi Oswald, je ne connais personne qui y soit entré.
  • Et eux n’entendent pas non plus ce qui se passe à l’extérieur ?
  • Non. C’est l’endroit le plus hermétique du royaume.

 Jal haussa les sourcils. Il existait donc un endroit qui échappait à toute curiosité ? Il devait le voir !

  • Maintenant, la question est…

 Le frère de Liz termina sa phrase.

  • … oserons-nous déranger les mages royaux de Lonn en discussion dans la salle des secrets ?

 Lidwine s’intrigua :

  • Comment peut-on les déranger s’il n’entendent rien de l’extérieur ? Même en frappant à la porte, ils ne nous entendront pas. Le principe de cette salle, c’est qu’on en sort uniquement lorsqu’on l’a décidé.
  • Bien vu, demoiselle, répondit Liz. Il ne nous reste plus qu’à les attendre à l’entrée.
  • Que cherchent-ils à décider ?

 Liz adressa à son cher cousin un regard désolé.

  • On ne peut précisément pas le savoir, Jal. Impossible d’entrer dans la salle des secrets lorsque les mages ont décidé qu’elle resterait fermée.
  • Ils m’ont déjà rayé du registre… Ils auraient au moins pu vérifier avant mon état de santé !
  • Si la magie n’était pas coupable, tu avais forcément une affliction grave. Puisque tu avais décidé de ne rien dire…
  • Oh, ça va, la ferme, toi ! Comme si tu savais depuis le début ce qui allait se passer ! Le mage Léonce l’a dit : la magie est essentielle pour un messager. Ils refuseront que je me présente s’ils savent. Je ne peux pas leur dire. C’est hors de question ! Je serai messager de Lonn, ou je ne serai rien !

 Lidwine s’approcha timidement, et ses yeux verts calmèrent instantanément la colère vaine de Jal.

  • Jal, vous n’êtes pas rien. Vous ne pourrez jamais l’être. En tout cas pas aux yeux des gens qui tiennent à vous…

 D’un geste gracile de la main, elle désigna Liz et Vivien qui l’observaient anxieusement.

  • …ni aux miens. De plus, vous êtes un seigneur d’Herzhir et vous avez une famille… Non, je ne cherche pas à vous faire renoncer. Je veux simplement vous faire comprendre que… enfin, je veux dire, ne soyez pas déçu d’être vous. Vous ferez un messager formidable, cela ne fait aucun doute. Mais pas au prix de votre vie.

 Il aurait voulu sourire, mais il en était incapable.

  • Merci, demoiselle Lidwine.

 Devant tant de majesté, il ne sut que s’incliner et baiser doucement la main qu’elle lui abandonna. En se redressant, il surprit le sourire lourd de sous-entendus de Vivien et retint une verte semonce. Liz l’en détourna en déclarant fermement :

  • A présent que tout est clair, descendons. La salle des secrets est à l’étage le plus bas.

 Jal tenait le flambeau que Liz lui avait confié, tandis qu’elle-même éclairait l’avant de la troupe d’une lumière de magie pure émanant de sa main droite. La porte enchantée de la salle des secrets se dressait à côté d’eux. Son panneau d’acier, clouté et gravé de runes, ne laissait en effet échapper aucun son. Tous les quatre frissonnaient dans le froid piquant des sous-sols. Seule la torche de Jal émettait de temps à autre un crépitement timide. Ils attendaient là depuis un bon moment et le Ranedaminien commençait à sentir la faim lui tirailler l’estomac. Il entendit d’ailleurs, au grondement sans équivoque que laissa échapper le ventre de son cousin, qu’il n’était pas le seul. Lidwine serrait ses bras autour de ses épaules exposées au froid mordant à cause des ouvertures de ses manches, et les frottait en essayant de les réchauffer. L’aspirant messager se mordit les lèvres, hésitant, et finit par lui proposer sa cape. La dame parut surprise, et refusa avec un adorable sourire.

  • Vous en avez autant besoin que moi. Merci pour votre sollicitude, c’était une proposition généreuse.
  • J’insiste. Votre robe à crevées vous protège mal, vous ne pouvez pas le nier.
  • Ce n’est pas une raison pour abroger toute fierté.

 Il sourit et se tut. Le temps qui passa encore lui parut interminable, jusqu’à ce qu’un cliquetis les fasse tous sursauter. Quelqu’un manœuvrait la poignée de la salle des secrets. Une mage brune finit par apparaître. Elle les considéra avec un étonnement aussi glacial que la température ambiante et disparut à l’intérieur sans fermer.

  • Il y a des fouineurs, mage Mathurin. Ils n’ont manifestement pas assez entendu parler de la salle des secrets…
  • S’il vous plaît, dame mage, intercéda Jal, nous sommes ici pour rencontrer les mages et non pour espionner. Je suis Jal Dernéant, seigneur d’Herzhir et ci-devant aspirant messager, que vous avez rayé des registres ce matin.

 La magicienne pâlit et recula.

  • Par ma Lune ! Mais… comment vous portez-vous ?
  • Fort bien, mage…
  • Mage Isis, pour vous servir. Mais alors… que s’est-il passé ? Le directeur Divef nous a assurés que…
  • Avec tout le respect que je dois au directeur, il s’est trompé.
  • Entrez, ne restez pas dans le froid. Il faut que vous nous expliquiez cela plus précisément.

 Elle s’effaça. Jal échangea avec ses amis un regard excité. Ils allaient entrer dans la salle aux secrets ! Il poussa plus largement le battant pour dévoiler ses amis et l’intérieur de la salle.

 Tous les mages royaux les regardaient, appuyés sur une table ovale de pierre polie. Douze. Jal se félicita intérieurement de son calcul. Certains ouvraient des yeux ronds comme des soucoupes, d’autres fronçaient les sourcils. Quelques-uns souriaient. Jal comprit qu’il aurait affaire à forte partie. Isis tendit un bras vers l’assemblée étonnée.

  • Mes chers confrères, voici l’aspirant Jal Dernéant, celui dont l’affaire nous a occupés ce matin.

 Il chercha du regard dans l’assemblée ceux qu’il connaissait. La mage Daphné, celle de l’épreuve de mémoire, le mage Isaac, le paniqué, Léonce qui laissait peser sur lui un regard lourd, Mathurin Mirant, celui du portrait, Flora Hechid, elle aussi représentée dans le laboratoire, et maintenant Isis. Six sur douze. Il allait falloir les convaincre tous. Pour l’instant, ils avaient tous eu une expression choquée et incrédule pendant une courte seconde, puis un regard avide. Avide d’explications. La mage Isis fit entrer les compagnons de Jal dans la salle et referma la porte. Celle-ci se clôt hermétiquement avec un son feutré. A présent, ce qui allait se dire dans cette salle n’existait nulle part ailleurs. Tous ceux qui s’y trouvaient se retrouvaient isolés du reste du monde…

  • Messire… Jal Dernéant ?
  • Mages de ce royaume…

 Il leur offrit sa révérence la plus profonde. Ses amis autour de lui l’imitèrent, Lidwine avec plus de grâce que quiconque. Léonce se leva, mais Isis l’arrêta d’un geste. Comment faisait-elle pour avoir une telle autorité sur le vieux magicien acariâtre ?

  • Il souhaitait, je cite, rencontrer les mages royaux. Je suppose, monseigneur, que vous pouvez vous expliquer plus clairement ?
  • Oui, mages… J’aimerais vous faire reconsidérer cette décision de me rayer des rangs des aspirants messagers. Pour cela, il me faut expliquer les circonstances exactes de cette… perte de conscience. Mais avant, je voudrais être sûr que rien ne sortira de cette salle.
  • Cette salle s’appelle la salle des secrets. Rien n’en sort. Continuez.

 Jal regarda le mage Isaac qui venait d’intervenir sèchement.

  • Je suis malheureusement porteur, de naissance, d’une anomalie étrange…

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