III. Feu le roi Rainier, troisième partie

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  • Par toutes les Lunes du ciel, Jal ! Je ne te reprocherai plus jamais ta curiosité, tu as ma parole d’honneur. C’est grâce à elle que je sortirai vivant de cette caverne...
  • Ca m'intéresse, murmura Jal qui s'efforçait de garder les yeux ouverts.

 Comment accomplir des destinées légendaires s'il tournait de l'oeil à chaque échauffourée ? Il se sentait ridicule.

  • Oh, bon sang, j’oubliais. Allez, viens. Je vais t'aider.

 Il souleva son cousin sous les bras.

  • Attends, je te fais un petit transfert d'énergie. Au moins pour sortir d’ici. Ce ne sera pas une partie de plaisir.
  • Bbbon…

 La main de Vivien posée sur le flanc de son cousin s’illumina un bref instant, la magie pulsa et un regain de vitalité parcourut le corps de Jal. Il battit des paupières et s’appuya sur le bras de Vivien pour se relever.

  • Frék, ça marche vraiment bien, la magie...
  • T’as la meilleure mémoire du royaume, ton sens de l’orientation explose les plus anciens messagers du monde connu, ta curiosité te fait descendre dans les catacombes de Lonn et tu maîtrises l’olaan et le luc ancien à la perfection, à vingt-et-un ans ! Moi, à ta place, j’aurais le choix entre la magie et ta fichue mémoire, je n’hésiterais pas.
  • C’est gentil, mais de toute façon, je n’ai pas le choix, alors…
  • Allez, on va aller donner un coup de main à ta fiancée et au capitaine.
  • Lidwine n’est pas ma fiancée.

  C’est alors que le ravisseur se releva d’un coup et se jeta dans les pieds de Jal. Le jeune homme tomba avec un léger cri, tira son épée et planta où il put. L’agresseur poussa un hurlement de douleur. Il avait la lame dans le visage et se tortillait en geignant. Jal l’extirpa. Le sang se déversa avec violence sur ses pieds tandis que l’aspirant messager se relevait. Les deux jeunes garçons filèrent par l’escalier.

 Vivien ouvrit la porte à la volée. Les gardes se congratulaient et se tapaient l'épaule, certains aidaient leurs camarades à marcher. Le capitaine n'était en vue nulle part. Lidwine se dressait au milieu d’un fatras de corps plus ou moins sanguinolents. Elle avait la robe à moitié remontée sur une de ses jambes, sa robe rouge vif. Elle se retourna vers les deux garçons qui venaient d’apparaître à la porte et leur sourit. Même là, au milieu d’un champ de bataille, l’épée dégoulinante de sang, elle réussissait l’exploit de rester élégante, gracieuse, superbe. Elle essuya sa fidèle lame sur le vêtement d’un cadavre et la rengaina d’un geste ample avant de s’avancer vers eux.

  • Seigneur Bertili ! Je suis si heureuse que vous alliez bien ! J’ai eu peur.

 Vivien s’inclina.

  • On me l'a raconté. Je vois que j’avais tort de vous défendre, vous n’aviez besoin de personne. J’ai rarement vu meilleure lame que vous.
  • Par ma Lune ! Merci.
  • Où est Hendiad ?
  • Il est allé voir au fond des couloirs avec une partie du régiment, par où sont arrivés les tueurs. Au cas où il y ait des renforts. Il va revenir.

 Jal tapa sur l’épaule de son cousin pour l'attirer à lui et lui murmura :

  • Dis, il faut que je te dise… Pour lancer le sort qui a permis de te retrouver, Lidwine a dû se faire passer pour ta fiancée, y compris auprès du capitaine Londren. Alors joue le jeu.
  • C’est vrai, d’ailleurs Jal a fait une drôle de tête en entendant ça ! pouffa l'escrimeuse.
  • Mettez-vous à ma place ! Vous m’auriez caché un truc pareil ? Ça m’a fait un choc ! Surtout que je savais que tu étais déjà fiancé, se défendit le jeune homme, gêné.
  • C’est vrai ? releva Lidwine. Comment s’appelle-t-elle ?
  • Aurine d’Ondia…

 Vivien avait prononcé le nom avec tant de tendresse et de mélancolie que Jal retint un rire. Peu de choses pouvaient attendrir Viv à ce point. Ce fut à ce moment-là que le capitaine Hendiad ressortit du couloir, suivi de gardes essoufflés.

  • Il y avait encore quelques-unes de ces engeances là-dedans… Ah, seigneur Bertili, vous allez bien ?
  • Rien de grave. Merci, capitaine Londren.
  • Où est le ravisseur ?
  • Je crois qu'ilest mort... Désolé, j’ai dû me défendre, s’excusa Jal.
  • Je vais voir. Vous, demoiselle Artanke, mes compliments pour votre escrime ! Admirable ! Et je ne dis pas ça souvent.

 Elle esquissa une révérence respectueuse et flattée.

  • Merci infiniment, capitaine.
  • Vous êtes heureuse de retrouver votre fiancé, j’imagine ?

 Elle jeta un regard hésitant à Vivien, une fraction de seconde, et se jeta à son cou.

  • Je suis tellement heureuse ! Je me suis inquiétée !

 Jal serra les poings, bien qu’il sache que c’était de la comédie, il savait aussi qu’il ne s’y ferait pas.

  • Je ne veux plus passer une seule journée sans vous, mon ami.

 Son ton était si tendre que Vivien parut surpris. En tout cas, Hendiad y croyait. Il sourit d’un air attendri, enfin Jal crut le voir, car une fraction de seconde plus tard, le visage du capitaine avait repris ses traits sculptés dans la pierre. Il disparut un instant dans la pièce voisine, et comme seul le silence suivit, les trois jeunes gens en conclurent qu'il n'y avait plus rien de vivant à l'intérieur. D'ailleurs Londren ne leur fit pas l'affront de le formuler à son retour.

  • Sortons d’ici. Le bon roi Rainier a été assez aimable pour ne pas nous maudire jusqu’ici, ne tentons pas la malchance. Ce tombeau est sacré, je vous le rappelle.
  • Nous vous suivons.

 Lidwine ouvrit la marche vers l’extérieur. Le soupir de soulagement qui sortit de leur poitrine en atteignant la sortie créa un nuage de buée. La nuit était tombée. Quatre lunes luisaient dans le ciel, deux argentées, une dorée et Hane la pourpre. Jal les admira un moment. Il se baissa pour essuyer son épée sur l’herbe et la rengainer. Hendiad re-drapa sa cape dans le vent froid. Il s’inclina devant Lidwine avec raideur.

  • Mademoiselle, messeigneurs, je dois rentrer à la caserne et préparer mon rapport. Si vous avez un autre élément, n’hésitez pas à venir me trouver. Et vous, dame Lidwine, vous pouvez venir quand vous voulez pour un entraînement, que j’admire votre escrime.
  • Je n’y manquerai pas.

 Elle avait rougi de ravissement. Jal se tourna vers elle une fois qu’Hendiad eut disparu dans les rues sombres avec sa troupe.

  • Pas mal joué, votre comédie de tout à l’heure. Vous devriez faire du théâtre.
  • Je ressens comme une certaine amertume dans vos propos, Jal. Seriez-vous vexé ?
  • Pas le moins du monde.
  • Je vous en prie, allons nous coucher, je suis épuisé… se plaignit la pauvre victime d'enlèvement.
  • Oh, bien sûr, désolé, Viv’ ! Je te ramène, tu dormiras chez moi ce soir. Faut que tu te retapes. Demoiselle Lidwine, vous accepteriez que je vous raccompagne plus tard ?
  • Je vous en prie, Jal, vous avez bien vu que je n’avais pas besoin de protection. Je vais rentrer seule.
  • C’était…
  • Oui ?
  • C'était plus de la galanterie que de la protection, mais très bien, je me soumets aux exigences d’une dame... Je raccompagne donc mon cousin. A demain.

 Il avait parlé plus sèchement qu’il ne l’avait réellement voulu. Elle se contenta d’incliner la tête avec une sorte de rage ou de déception dans le regard, Jal ne put distinguer, et s’éloigna à grands pas énergiques. Il serra les lèvres, faillit la retenir, mais sa fierté reprit le dessus à temps. Il se tourna vers Vivien en espérant donner le change.

  • Bon, on rentre ? Je tombe de sommeil.

 Vivien le fixait d’un regard lourd.

  • Oh non, écoute, tu ne vas pas t’y mettre aussi ! s'énerva l'aspirant messager.
  • Tu es amoureux, Jal.
  • Ferme-la.
  • Tu ne me siffleras pas le pipeau, mon vieux, je te connais assez pour ça. Tu es fou d’elle, ne me raconte pas de salades.
  • Tais-toi, par pitié !

 Il ne regarda plus son cousin, se mit simplement en marche en lui faisant un vague signe de la main pour qu’il le suive. Vivien sourit et secoua la tête. Il connaissait assez Jal pour ne pas se vexer. Son cousin Ranedaminien ne tombait pas souvent amoureux, et la dernière fois, ça s'était mal fini. Il aurait mieux fait de fiancer tôt à une héritière, comme lui.

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