Chapitre 15.5 - Dans la ruche, ne faites confiance qu'aux abeilles

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Edward rejognit vite Ugo en courant dans les couloirs, évitant les étudiantes curieuses qui observait ces nouveaux venus d'un œil presque réprobateur. Son ami rejoint, ils s'enfoncèrent dans les longs couloirs de l'Académie du Typhus. La senteur de la pierre moulue, les effluves du stress des examens, la puanteur légère de la magie sauvage ravivaient les souvenirs d'Edward, qui se revoyait dans ces couloirs, en train de poursuivre des élèves qui préparaient de mauvais coups.

Quittant la partie scolaire du bâtiment, ils pénétrèrent dans le Hall des Sublimes, gigantesque couloir aux allures de musée, car sur chaque côté s'alignaient des statues d'héliatite, un matériau semblable au marbre. Les statues représentaient les personnalités importantes de l'Empire : les 7 Explorateurs, le Prophète du Serpent, Balgur le Magnifique, Moran le Terrible et j'en passe… Edward était tout particulièrement attiré par la dernière statue, et il remarqua qu'Ugo s'était arrêté pour la regarder.

La statue, haute de plusieurs mètres, représentait un jeune homme assis de face, dans une posture que l'on aurait confondu avec celle du Penseur de Rodin, lisait un pavé. Drapé d'une robe de mage de couleur grise, son visage trahissait une certaine mélancolie. Ses traits fins et ses cheveux en bataille lui faisaient beaucoup penser à Yannis quand ce dernier se plongeait dans ses romans, en pleine pause déjeuner. Sur la plaque, on pouvait lire : « Laurent Hencherick, mage de Cycle Gris. Pionnier de la Théorie Magique sur les Vecteurs Trans-Dimensionnels. »

Une chose étrange, cependant : le nom « Laurent » n'avait pas la même typographique le reste du texte, comme si il avait été gravé à la hâte. Curieux… Mais Edward se désintéressa vite de la statue, et intima Ugo de le suivre. Celui-ci obéit, non sans jeter un dernier coup d’œil étrange au colosse pétrifié.

Ils arrivèrent devant de gigantesques portes, devant lesquelles leurs amis et Archibald les attendaient déjà. Quand ils furent à leurs niveaux, le mage Gris lança un regard éloquent à Edward, qui lui rendit un acerbe, indiquant clairement que l'heure n'était pas à la discussion.

Des serviteurs poussèrent avec un effort manifeste les lourdes portes en or et en ophobalérium, métal irisé originaire de cette planète. Quand elles furent partiellement ouvertes, tous entendirent :

— Mage de la Cour en Cycle Gris, Sir Archibald Parmini. Français de la Terre : M. Yannis Brendeck, M. Edward Blutingen, M. Ludwig Lérot, M. Ugo Gap et M. Hadrian Vacìo.

Après ces présentations succinctes, ils entrèrent dans la salle du trône : à l'image du Hall, elle était aussi titanesque que dans les souvenirs d'Edward, soutenue par des piliers d'albâtre et remplie de fresques, de tapisseries aux milles et une couleurs. Des créatures de légende remplissaient l'espace de ces œuvres d'arts, tandis que des serpents s'enroulaient autour des piliers, têtes vers le sol. Et au fond se trouvait le cœur de l'Empire.

L'Hakessar.

Sa présence écrasait toutes les autres, tant qu'on n'aurait pas tout de suite remarqué sa garde rapprochée, les nobles qui dévisageait les nouveaux venus et deux des personnages les plus ignobles qu'Edward eut rencontré : Lorkan, capitaine de la Garde Impériale, et Isabella. Ceux-ci conversaient en chuchotant dans les oreilles du Puissant Moralisateur. Quand ils furent remarqués, l'Empereur des Sept Terres ordonna à ses conseillers de se taire.

Immédiatement, Archibald s'inclina devant le monarque, suivit de près par Yannis, Hadrian, Ludwig et Edward. Seul Ugo ne courba pas l'échine, se qui arracha un sourire au vampire.

— Vous pouvez vous relever… parla une voix empreinte d'une lassitude ancestrale.

Ils obéirent, et l'Hakessar congédia les nobles de la salle. Quand tous furent partis, ils darda son regard ambre sur les jeunes adolescents (enfin, presque…). Le pression était palpable, aussi Edward sentit l'odeur des sueurs froides couler le long de leur dos. Soudain, l'Hakessar reprit la parole en s'adressant à Archibald :

— Des jeunes pousses vigoureuses… Qu'en disent les résultats ?

— M. Blutingen et M. Gap sont Aptes, Hakessar. Leurs tests révèlent qu'ils possèdent de la Magie Ancienne, mais ils indiquent une absence de Porte. Une étude plus ample serait envisageable.

Les yeux du monarque s'illuminèrent brièvement, avant qu'il retombe dans cette monotonie ennuyante. De par son silence éloquent, Archibald continua :

— Nous sommes sûr que M. Bencheikh possède toutes les qualités d'un Mage, ainsi que les organes cérébraux correspondants. Cependant, le reste de son anatomie est parfaitement humain, ce qui soulève quelques… questions compromettantes – et Archibald se tourna légèrement vers Hadrian et Ludwig – Quand à ces jeunes hommes ci-présents, le capitaine Lorkan se porte garant de leur utilité.

L'Hakessar se tourna vers l'intéressé, qui hocha simplement la tête, le visage de marbre. En soupirant, le dirigeant se leva, et immédiatement on sentit la tension des gardes tandis qu'il s'approchait des cinq jeunes gens.

— Il y a fort longtemps, avant même que je puisse voir la lumière de ce monde, les Sept Pionniers ont découvert votre planète. Elle était magnifique, pure et exempte de toute civilisation. Mais les choses ont tourné autrement quand l'humanité a surgi deux décennies plus tard. Les Sept, qui avaient déjà ramené nombre de nos semblables, ont essayé de cohabiter avec les autochtones. Mais l'humanité est par nature intolérante envers son prochain. Ainsi, les mourniens furent pourchassés, et les Premières Guerres Magiques éclatèrent. Pendant 800 ans, votre peuple et le mien ont guerroyé. Mais à force de râcler jusqu'à l'os, nous étions ternis, épuisés d'hommes et de ressources. Alors, les Sept décidèrent de créer le traité de l'Or Bleu : en échange du fait que les mages seraient cachés aux yeux de la plèbe, sans pouvoir utiliser leurs pouvoirs sauf exceptions, les humains cesseraient de pourchasser et tuer nos confrères. Ainsi, une nouvelle ère de paix débuta.

L'Hakessar leva ensuite sa main vers eux : un serpent de lumière en jaillit, et les ensserra. Un Serment Sinueux, pensa Edward ; ce genre de pacte ne pouvait être brisé selon les règles habituelles, même par son propre lanceur.

— Par Mourn, le Scintillant Buveur Stellaire, et au Nom des Sept, Je vous octrois le droit d'étudier à l'Académie, sous la supervision stricte de Sir Parmini. Jurez que vous respecterez nos coutumes et nos us, et que vous confierez votre vie et votre pouvoir à l'Académie.

Ils jurèrent. L'Hakessar sourit, et s'exclama :

— Scribe ! (Derrière le trône, un scribe apparut, visiblement fatigué) Occupez vous des formalités admnistratives, j'ai à faire avec le Conseil.

— Mais, intervint Isabella, votre Splendeur…

— J'ai dis ! Ne pensez pas que votre rang de chef de l’Église vous autorise à discuter de mes ordres. Me suis-je bien fait comprendre ?

Isabella s'apprêtait à répliquer, mais la sagesse, ou la peur, l'obligea à s'incliner.

L'ordre avait été donné.

* * *

*Ugo

Edward était un vampire.

En vérité, plus Ugo passait de temps ici, plus il se disait qu'il devait accorder sa confiance à ses amis uniquement par leurs actes, et non par leur nature profonde. Nombre de détracteurs l'avaient déjà traité de raciste conspirateur, de sexiste patriote et de libertain sataniste – le dernier titre lui plaisait plus, ça lui donnait un air de rockeur des années 90 – mais jamais, au grand jamais il n'avait jugé quelqu'un sur sa nature. Même si le quelqu'un était un fan hardcore de Twilight.

Edward était un vampire. Cette pensée revint à son esprit tel un yoyo dans une vitre, qui se reformait à chaque fois qu'elle se brisait. Au point que les fenêtres de l'âme d'Ugo clignaient sans arrêt, le faisant passer aux yeux de ses amis comme très fatigué, et donc très irritable.

Rassemblé dans une chambre commune devant un feu de cheminée et autour d'un unique paquet de chips, dont les mourniens les avaient miraculeusement gracié. Les cinq digéraient en silence la situation aussi bien que les tranches frites de pommes de terre. Pour rompre le silence étalé sur plusieurs minutes, ce fut Ludwig qui s'adressa à Yannis en premier, soutenu par Edward et Hadrian :

— Alors, c'est quoi cette histoire « d'Apte » ?

— Ils m'ont fait faire des batteries de test, bredouilla le rétabli. Ensuite, ils m'ont donné un traitement pour ma jambe et un autre pour ma « porte ».

Ugo, malgré son black-out passager, prêta une oreille attentive à la conversation, ne voulant en perdre aucune miette :

— Apparemment, c'est un truc dans ma tête, expliqua Yannis en se tapotant la base du crâne.

— Tu veux dire que t'es fou ? s'affola Hadrian.

— Mais non, le railla Edward. Il est juste en train de dire que c'est dans son cerveau.

— En soit, c'est pareil, commenta platement Ugo.

— Ton père est chirurgien, que je sache ? rétorqua le blafard. Le mien, oui. Et neurologue, par dessus le marché.

Ce fut à l'aide d'un effort colossal qu'Ugo se força à ne pas dire : « Ça ne m'étonne pas pour un suceur de sang. ». Primo parce qu'il n'y avait aucun lien entre la proposition d'Edward et la sienne, deuzio parce qu'il ne souhaitait pas voir planté deux clous d'émail dans son cou. Interprétant le silence d'Ugo comme une excuse, il continua :

— Le truc qu'explique Yannis, c'est un peu comme une tumeur (le concerné hoqueta) Désolé…

— En gros, on en sait fichtre rien et on s'en balance, lança Ugo.

Edward lui lança un regard mauvais, mais Ludwig et Hadrian furent du même avis. Yannis encore plus, vu que parler de son probable cancer ne l'enchantait vraiment pas. Aussi habile qu'un serpent avec une guitare, il lança à Ludwig :

— Et toi avec le monstre ? Comment t'as bougé aussi vite ?

— Je te retourne la question, mais moi, j'ai pas de t… hrmgl…

Le silence retomba, lourd de vieilles phrases de penseur qui n'auraient jamais amélioré la situation, puisque de toute manière, c'était la merde. Mais bon, comme il en fallait une, Hadrian se jeta à l'eau avec la grâce d'un hippopotame sous alprazolam.

— On doit se serrer les coudes, alors. « Dans la ruche, ne faites confiance qu'aux guêpes ».

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