Chapitre 13 - À ma botte

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 Ugo contempla la scène d'un œil discret mais inquiet. À côté de lui, Sarah était tétanisée ; revoir un corps ensanglanté avait finalement brisé ce qu'il lui restait de volonté.

 Lui, en tout cas, en avait déjà vu assez dans sa vie pour ne plus craindre ce cas de figure. Tout ce qu'il ressentit face à cette situation, c'était du dépit, sa bouche se tordant d'une moue ennuyée : il ne voyait aucune solution... pour l'instant. Il se faufila discrètement vers Maty et lui glissa à l'oreille :

- On est dans la merde. Faut que tu prennes les choses en main ou on va tous crever ici.

Elle se tourna vers lui, bouleversée. Après quelques instants d'hésitation, elle hocha de la tête doucement, et d'un pas hésitant, s'avança vers le Cavalier Rouge. En train d'essuyer le sang de son épée sur le T-shirt de Yannis (qui hurlait de douleur, cloîtré au sol, pressant sa blessure pour empêcher le sang de couler), le guerrier la remarqua immédiatement, et se tourna vivement vers elle, le regard méfiant et glacé. Elle, de son côté, tremblait de tous ses membres, mais resta droite. Tout en plongeant son regard dans les yeux du monstre, elle dit d'un air poli et suppliant:

- Monsieur, je vous implore de nous épargner ! Je sais que nous ne sommes pas en position de négocier, mais nous pouvons arriver à un compromis... Pourquoi ne pas nous amener là où vous voulez pour nous interroger, au lieu de nous massacrer au risque de perdre de précieuses informations ?

 Le Cavalier l'observa quelques instants ; manifestiment, il la jaugeait. Soudain, il rangea son épée.

- Je penses que tu as raison... Vous autres ! il interpella ses hommes et désigna Yannis et Margarita. Attachez-les au chariot et mettez les autres enfants aux fers ! Et que quelqu'un soigne le gamin, sinon il ne nous cassera pas les oreilles bien longtemps !

Un chariot ? Ugo ne savait pas où il se trouvait, mais il eut à peine le temps d'y penser que des chariots apparurent. Mais d'où, bordel ? Ugo écarquilla ses yeux, pendant que les soldats sortaient et attachaient des liens de métal aux poignets et aux chevilles des élèves. Alors qu'il vit qu'un soldat commençait à soulever brutalement le corps inerte de son ami, Ugo s'empressa de courir vers lui, ce qui l'effraya et le força à tirer son épée.

 Ugo, en signe de paix, leva ses mains. Le soldat continuait à le regarder de ses yeux perçants. Sans se démonter, Ugo s'avança vers le soldat et désigna le corps lamentablement écharpé de Yannis qui gisait sur le chariot, inerte. En signe d'apaisement, il ne préféra pas s'engager lui-même dans les premiers soins et donna les directives nécessaires grâces aux nombreuses connaissances qu'il avait acquis au cours de sa vie.

 Malgré la méfiance évidente du sous-fifre, et sa maîtrise peu avancée de la langue française, il suivit ses instructions du mieux qu'il put, appliquant baumes et bandages avec une précision digne d'un militaire entraîné. Le corps de Yannis semblait recouver des couleurs. Les autres gardes, qui avaient jeté des regards furtifs à la scène, parurent surpris du résultat, ou peut-être étaient-ils impressionnés par les talents médicaux du jeune homme, qui pensa...

Les avoir à ma botte pourra m'être utile pour survivre dans ce monde inconnu.

Ces espérances furent confirmées quand les soldats laissèrent Ugo monter à leurs côtés sur un des bancs, tandis que le terrien regardaient ses camarades à la mine morfondue s'entasser dans les chariots, bientôt ballottés par la route crée par les cavaliers et leurs montures. Même si cette vision provoquait une satisfaction intense et malsaine chez Ugo, il ne put s'empêcher de ressentir une pointe de culpabilité et se promit de libérer ses amis en temps voulu.

 Par contre, il avait beaucoup trop utilisé d'énergie mentale pour tenter de comprendre leur localisation exacte, mais le résultat avait été nul et la fatigue l'avait acceuilli pour seule récompense. C'est pour ça qu'il finit par s'endormir, bercé par le rythme périodique des cailloux contre les roues...

* * *

*Eikorna

Il faisait nuit ; les étoiles perçaient le ciel de leurs fragiles scintillances, cachées par quelques nuages jaloux de leur lueur. Et contrairement à ce qu'Eikorna avait vu sur Terre, le ciel était bien plus brillant et rempli, ce qui signifiait que la pollution lumineuse et atmosphérique était bien moindre sur ce... ce monde.

Incapable de fermer l’œil, elle se tourna sur le côté très silencieusement, pour entrevoir ses camarades : aucun d'entre eux n'était enchaîné, tous avaient une mine affreuse. Ils étaient bouleversés, réduits à l'état de loques. Se faire ballotter dans un chariot n'avait pas été l'expérience la plus excitante de leur existence, surtout après avoir vécu la pire journée de leur vie : Sayfadin déchiqueté, Yannis charcuté et Margarita brisée psychologiquement.

À côté d'elle, Ugo ronflait vraiment très fort. La brunette frissonna, même s'il ne faisait pas froid. Comment Ugo pouvait-il être aussi calme ? Elle-même tentait de réprouver la peur qu'elle ressentait en pensant aux étoiles, à la nouveauté. Elle était trop fatiguée pour penser à la Terre et à sa famille, car tout son être était tendu, dans l'attente d'être blessée, ou pire.

La tension allant en crescendo, elle finit par céder et frapper du poing le ronfleur. Ce dernier, à son grand soulagement, s'arrêta… et c'est là qu'Eikorna vit une soldate la regarder bizarrement. La peur s'empara d'elle avec une force insoupçonnée, et elle se tourna pour s'enfouir sous sa couverture, avec l'idée idiote que la soldate n'allait pas réagir, quand elle entendit du français avec un accent éraillé :

Merci.

Surprise, elle se tourna de nouveau, pour constater la soldate, le visage de marbre, lui faire un signe de tête imperceptible. De peur de paraître impolie, Eikorna fit de même en baissant les yeux. En l'observant quelque secondes, la brune fut surprise de voir que cette face était parfaitement symétrique, ce qui était dérangeant. Elle détourna le regard.

Une fois qu'elle fut persuadée qu'on ne lui prêtait plus attention, Eikorna zieuta à droite à gauche pour repérer Hadrian. Ce fut en rampant subrepticement qu'elle parvint jusqu'à lui pour le secouer doucement. Le gentil benêt se réveilla, ses yeux papillonnants dans la pénombre éclairée par les flammes du campement.

— Il faut qu'on trouve un moyen de sortir d'ici ! siffla-t-elle.

— B'soir, Eik… (il bailla bruyamment, et elle se tourna pour voir si personne n'avait entendu) Qu'est-ce qui se passe ? On est arrivé ?

— Non, gros bêta ! paniqua-t-elle. Et je ne veux pas qu'on arrive où que ce soit d'autre qu'à la maison !

Hadrian la regarda d'un œil vitreux, avant de soupirer. Elle avait mal choisi son acolyte de fuite.

Tout à coup, du bruit derrière elle. Elle se retourna pour se prendre une gifle de la part d'un soldat à l'air belliqueux. De sa main puissante, il la souleva par l'épaule et postillonna de colère sur son visage, un déluge de mots ponctué par un doigt levé, tel un père qui gronde sa fille. Eikorna blêmit alors qu'il la giflait de nouveau, et elle se tourna vers Hadrian pour du soutien ; ce dernier la regardait, mais il avait l'air trop apeuré pour agir.

Quand à elle, son corps ne réagissait plus convenablement… jusqu'à qu'elle sente un liquide chaud couler le long de ses cuisses. Oh non. Elle, une adolescente que beaucoup considéraient mature, s'était faite dessus comme un gros bébé. Les larmes envahirent ses yeux, et elle entendit le soldat lâcher un son de mécontentement.

Sans crier gare, il la lâcha dans un cri. Eikorna heurta lourdement le sol et fut sonnée quelques secondes, des étincelles devant les yeux. Puis elle vit la soldate en prise de mots avec son comparse, et les poings n'allaient pas tarder à sortir. Cet acte bon sorti de nulle part se noua dans le cœur de la brune, qui regardait la scène avec effarement.

Puis, à la lisière du précipice de la rage, les deux soldats furent séparés par le petit trapu rouge chauve, qui officiait jusqu'à alors. Et elle comprit pourquoi c'était le cas : dès son entrée en scène, il n'y eut plus un mot, seulement deux statues au garde à vous. Puis son regard d'acier coula sur Eikorna, et elle fut pétrifiée. De toute sa vie scolaire, jamais elle n'avait rencontré une telle autorité fichée dans un tel faciès.

Le rouge se tourna vers ses hommes, qui s'étaient assis les uns et les autres à côté des camarades d'Eikorna, soit pour garder un œil sur eux ou soit pour les observer et discuter. Il leur beugla des ordres dans cette langue rapide et éraillée, et la plupart des hommes et des femmes au visage parfait baissèrent leurs yeux, l'air honteux.

Peu après cette rapide incartade, la soldate s'approcha d'Eikorna. Cette fois, Hadrian se mit entre elle et sa camarade brune, laquelle se sentit à la fois outrée et soulagée. Cependant, aucune trace d'agacement ne se présenta sur le visage de la soldate, mais plutôt un espèce d'amusement. D'un geste lent, comme si elle agissait avec des animaux sauvages, elle sortit une sorte de miche de pain accompagnée d'un petit cube de fromage bleu et vert. Puis elle désigna Ugo qui dormait.

Merci. Bruit. Mange.

Et elle tendit de nouveau les victuailles. Hadrian resta planté là, et Eikorna devina qu'il pensait qu'il s'agissait de poison. Mais vu la réaction du rouge face à la violence du soldat précédent, et également le fait qu'aucun d'entre eux n'avait été tué, elle se doutait que les empoisonner maintenant serait idiot.

D'un geste doux, elle écarta Hadrian et s'approcha de la soldate, qui restait là, sans bouger, un sourire maladroit collé à ses lèvres. Quand Eikorna prit la miche et le fromage, elle effleura la main de la femme. Rêche, dur… des années d'entraînement douloureux… Elle retira la sienne d'un geste vif, toujours les yeux rivés dans ceux de sa « sauveuse ». Puis, comme pour tout à l'heure, elle lui offrit un signe de tête.

La soldate parut satisfaite, et se retourna pour aller s'asseoir non loin d'eux. Eikorna sépara la miche en deux et en offrit un bout à Hadrian, mais ce dernier lui répondit qu'il n'avait pas faim, l'air gêné. Elle ne se posa pas plus de question et commença à manger, lorsqu'elle entendit un petit "scouic" surgir à ses pieds. Elle baissa ses yeux : un écureil à six pattes, au pelage vert et couvert de tâches bleues bioluminescentes, regardait la jeune fille, ou plutôt son repas, avec un air... d'animal qui cherche à manger. Ne savant pas si la chose était dangereuse (enfin, c'était un écureuil, mais ces bestioles se révélaient parfois sacrément hargneuses !), elle jeta un regard à la soldate.

Comme celle-ci ne daignait même pas tourner sa tête vers le petit animal, Eikorna en déduit qu'il était inoffensif. Avec un soupir, elle déchira un bon morceau de son pain au fromage et le donna à l'écureuil... qui avala ce repas avec appétit ! Il était même très content qu'elle le lui ait donné cela, et même qu'il la remerciait !

Sachant cela, Eikorna rit. L'écurueil, effrayé par cet éclat de voix, s'enfuit à toutes jambes, la laissant "seule". Un peu déçue que cet animal soit aussi craintif, elle se remit à manger, regardant ce ciel inconnu aux étoiles aussi lointaines que leur chez-eux.Soudain, elle s'arrêta de manger.

Attends une seconde... Depuis quand je comprends l'écureuil, moi ?

* * *

*Ludwig

 Le campement fut levé très tôt dans la matinée. Contrairement aux autres qui maugréaient du manque de sommeil, Ludwig ne s'en plaignait pas vraiment ; il avait très bien dormi. Bizarrement, il avait partagé sa couche – un lit royal : matelas d'herbes sèches et sommier de pierre – avec Hadrian, mais ce dernier avait été aussi silencieux qu'une ombre durant cette nuit, presque comme si personne ne s'était couché près de lui.

Comme son ami lunetteux s'était réveillé à son tour, Ludwig lui fit un signe de tête avec un « B'jour » pâteux. Hadrian, toujours aussi poli, répondit dans un bâillement :

– Salut, Ludwig… Bien dormi ?

— Non. Et toi ?

— J'ai l'impression d'avoir dormi sur des pierres… Oh ! (Hadrian observa la sol avec déception) C'était pas un rêve, finalement ?

— Non, confirma Ludwig avec une pointe de regret.

Ils se levèrent sous les ordres des soldats, qui rassemblèrent la TSB en rang devant le Cavalier Rouge, tout en les renchaînant les uns aux autres. Ludwig jeta un regard vers Yannis ; ce dernier avait meilleure mine, mais il était toujours aussi branlant. Edward le soutenait, et Maty plus Eikorna leur jetaient des regards inquiets. Ludwig tourna la tête ; Margarita était recroquevillée sur elle-même, jetant des coups d’œils apeurés au Cavalier. Sarah, tête baissée, s'opposait à Sammy qui se tenait droite.

Tout le monde est plus ou moins en bon état, se rassura Ludwig en soupirant. Et au moins, même aux fers, ils n'étaient pas au point de marcher à l'arrière d'un chariot vide… Tiens ? Ludwig remarqua qu'Ugo était absent ; il se pencha vers Hadrian pour le lui faire remarquer, mais le Cavalier prit la parole :

— Terriens ! Si je vous rassemble ce matin avant notre départ, c'est pour vous annoncer que notre voyage vers Dal'Agard va prendre plus de temps que prévu ; nos éclaireurs ont découvert une cachette d'apostat, et il est de notre devoir de les éliminer. Vous allez donc rester ici, en attendant que nous ayons détruit cette menace (il désigna un de ses hommes) Morangler vous surveillera durant notre absence, et sachez ceci : il n'hésitera pas à faire usage de la force en cas de rébellion, et est assez fort pour tous vous avoir. Surtout que… conclut le Cavalier sur un silence éloquent.

Surtout que même si on arrive à s'enfuir, on ne saura pas vers où nous diriger, ce qui est comestible et nous défendre des bêtes sauvages, comprit Ludwig en pinçant ses lèvres. Le sourire carnassier que le Cavalier leur lança fut suffisant pour lui donner son arrière-pensée.

Le chef de la troupe hurla ses ordres :

— Vazez ! Ptarganon ! Ferrez les chevaux, on doit revenir avant le zénith ! Sus ! finit-il en se tournant vers ses hommes.

— Mazette, je l'ai compris ! murmura Ugo.

— C'est vrai, moi aussi ! confirma Sammy. Hier, j'y arrivais pas…

— Vous racontez quoi ? s'enquit Ludwig, confus ; hier, il avait parfaitement compris ce que le Cavalier et ses hommes avaient raconté, bien que leur accent était étrange. Ils parlent français, comme nous !

— T'es sûr d'avoir bien suivi ? fit Ugo en se tournant vers lui. Ils parlaient presque comme des gorets asmathiques !

— Hé ! se vexa Edward.

— C'est pas contre toi, vieux…

— N'empêche, c'est bizarre qu'on les comprenne maintenant, fit remarquer Maty, puis elle demanda à Ludwig : Et tu dis que tu les comprenais déjà à notre première rencontre ?

Le blond haussa des épaules ; si les autres étaient en état de choc, lui ne l'était peut-être pas assez pour oublier comment aligner un mot devant un autre.

Quand les soldats et leur chef furent éloignés, celui qui restait jeta un regard mauvais aux élèves, qui s'étaient assis par terre, avant de tirer une pipe de sa poche et de s'asseoir sur une pierre pour tirer quelques bouffées. C'est là que Ludwig put voir son premier tour de magie ; un simple claquement de doigts, et une flammèche apparut sur l'index du soldat, qui alluma sa pipe avant de secouer son doigt comme une allumette.

— Alors c'est vrai, ils font bien de la magie… souffla Eikorna à ses côtés, qui avait suivi son regard.

— Ah ouais ? s'exclama Hadrian, avant de se rétracter face au soldat qui s'était retourné d'un geste sec ; il chuchota : C'est peut-être une technologie avancée ?

— Non, c'est bien de la magie, s'émerveilla Ludwig sur le même ton. Comme quoi, la nature ne gâte ceux qui le méritent.

— Qui te dit que c'est la nature ?

Le blond se tourna ; Yannis, un pâle sourire aux lèvres, avait prit la parole en lui jetant un regard amusé. Un peu agacé par son comportement de monsieur-je-sais-tout, Ludwig ignora sa remarque et se mit à admirer la flore qui s'étendait non loin devant lui.

Les fleurs étaient magnifiques, toutes couvertes de couleurs palpitantes de vie, et pulsant doucement sous la caresse d'une brise fraîche. Le soleil se levant à l'horizon, elles tendaient leurs feuilles gorgées d'eau pour capter la moindre goutte de lumière ; même loin, le monde ne changeait pas vraiment, hein ? Ludwig était un peu déçu que les formes de vie extraterrestres ne soient pas plus différentes.

Scratch

Un bruit ; un mouvement dans les fougères. Le cœur de Ludwig passa d'un koku à un tambour tenu par un panda hyperactif ; sa peau se hérissa, ses cheveux se dressèrent. Danger. Ce mot enfla dans son esprit aussi vite que la sueur sur son front. Avec un air paniqué, il appela le soldat à vive voix :

— Hé ! Toi, le fumeur de pipe !

Le type se retourna ; il avait l'air plus surpris qu'agacé.

— Comment tu peux parler notre langue ?

— Y a un truc dans les fourrées ! fit Ludwig en montrant la dense végétation malgré ses fers. Là !

Néanmoins, le soldat passa à la perplexité, et les camarades du blond le regardèrent d'un air surpris, Ugo lançant :

— Euh, Ludwig ? T'es sûr que tout va bien ? Tu baragouines comme un goret asmathique…

Mais il était déjà trop tard.

Une ombre bondit dans leur champ de vision, plongeant sur un soldat exempt de toute attention ; ce dernier lâcha un cri de stupeur, avant de se débattre dans un nuage de poussières, de poings et de griffes velues. Il se défendait bien, mais pas assez. Un son horrible retentit, mélange de gargouillement sanglant et fuite de gaz, tandis qu'une gerbe rouge jaillit.

Les élèves hurlèrent, sauf Ludwig qui resta là, fasciné par la créature qui se tenait devant lui ; un sorte de gros furet vert et mauve, possédant certes une fourrure mais qui laissait entrevoir de lourdes plaques de chitine. Bipède, les deux membres de devant n'était que des tentacules mouvant de manière indépendante, tandis que la tête était vide d'yeux, de bouche ou d'oreilles, juste une masse de fourre avec une corne calleuse et couverte d'un rouge suintant.

Les « tenta-bouches » semblèrent scruter Ludwig, avant de se jeter sur le cadavre du magicien et d'aspirer le moindre millilitre restant de son fluide vital, tout cela dans un temps prodigieusement court. Ludwig sentit sa bouche s'assécher, ignorant le tiraillement des chaînes sur ses poignets l'intimant à s'enfuir, chose faisable et tout à fait logique.

La peur, néanmoins, ne l'est pas.

Elle paralysait ses membres, l'empêchant de bouger ; surtout quand la créature eut fini son repas et se tourna vers lui. Surtout parce que le souvenir d'un Sayfadin déchiqueté était encore imprimé dans sa tête. Elle a encore faim ? Elle va chopper le diabète avec moi… ou de l'athérosclérose, fut une pensée douteuse qui l'empêchait de pisser dans son froc. Une tentacule se leva au dessus de sa tête, prête à le transpercer. Soudain, un tiraillement sur le poignet.

Hadrian s'interposa au dernier moment en Ludwig et le monstre, le blond écarquillant des yeux face au sacrifice de son ami… qui ne vacilla pas. Et aucune tentacule ne le traversa de part en part. Comment ? Mais la question fut vite balayée ; l'instinct de survie de Ludwig, long à la détente, se déclencha enfin.

Il poussa son ami sur le côté et se jeta de tout son poids sur la créature. Et qu'elle était lourde ! Il dût pousser en hurlannt de rage de toutes ses forces pour la faire trébucher en arrière, et renversée, il prit le temps d'analyser la situation.

Le garde, mort. Hadrian, au sol. Les autres ? Enchaînés, mais ils s'étaient levés pour permettre un certaine liberté de mouvement à Ludwig et au lunetteux. La seule chose qui pouvait vaincre une telle bête depuis sa carapace aurait dû être un fusil lourd, genre assaut ou barrett. Néanmoins, les armes à feu n'existaient apparemment pas dans ce monde, et l'arme la plus proche, c'était un sabre que le soldat vidé avait eu à peine le temps de sortir de son fourreau.

Pendant que la bête se relevait, Ludwig se jeta sur l'arme, se releva en pointant le sabre vers l'abomination qui lâchait des couinements intempestifs. Et une sensation se répandit en lui ; on aurait dit un appel, une supplique qui semblait émaner du métal, de la garde. La sueur, l'effort ressenti sur l'arme lui était palpable.

« Une cause juste ! ». Des mots résonnèrent dans sa tête. « Votre cœur appartient à l'Empire et à l'Hakessar ! ». Ludwig ressentait… de la fierté ? Il ne savait pas trop, mais ces émotions qui le traversaient lui étaient à la fois étrangères et familières. Quelque chose, ou quelqu'un parlait à travers lui pour lui donner un simple message, clair comme le premier chant de cette lame.

Tue.

C'était un coup d'envoi, la réflexion n'avait pas de prise ; il se jeta en courant sur la créature, toute pointe dehors, et transperça la chose qui lâcha un cri de souffrance vers le ciel, qui perdura, perdura… jusqu'à s'effondrer aux côtés de sa hurleuse. Ludwig, pantelant, tenait si fermement l'épée que ses ongles dévoraient sa peau.

Et puis vint l'odeur.

Il s'écarta avec un air dégoûté ; on aurait dit le pet d'un vieux type après une soupe aux Brutkooyoo. Attends, un Brut-quoi ? Comment je connais ça, moi ? Et comment j'ai réussi à faire ça ? Avec la même impression qu'il secouait une main viciée par du jus de toilette, il balança l'arme le plus loin possible.

— Ludwig ! (Hadrian s'était précipité vers lui) T'es blessé ?

— Ça va, j'ai rien, lui assura ce dernier, toujours sous le choc.

— Eh !

Le blond se tourna ; son ami le prit par l'épaule, souriant comme un benêt. Hadrian avait vaincu sa peur avec tant de facilité... et le voilà qui s'exclamait :

— T'as vaincu le monstre, ficelles de caleçons, bro !

Ludwig acquiesça, regardant une dernière fois le sabre qui l'avait guidé vers cet acte.

Plus tard, quand le Cavalier fut de retour, Ludwig lui expliqua tout ce qui s'était passé. Heureusement, le chef en rouge les crût sans hésiter, expliquant que cette bête était un Kraloukas, qui se nourrissait exclusivement sur des proies seules ou sans défense. Alors que les soldats replaçaient les élèves dans les chariots, le Cavalier marmonna, en regardant au loin Ludwig et Hadrian :

— Le Kraloukas a mal jugé ses proies, on dirait…

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