3.4 Hostiles (part 1)

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Sous le choc, Jaem fixa Assa - ou Vivi -, mais cette dernière lui rendit un regard parfaitement neutre.

— Où dois-je l'installer ? demanda-t-elle simplement.

Benvik se gratta la joue.

— T'as qu'à lui donner la piaule de Gaul. Elle a pas dû prendre trop la poussière.

Vivi - Assa - hocha la tête puis fit signe à Jaem de la suivre. Ce dernier n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle lui avait tourné le dos. À quel jeu jouait-elle ?

— D'pêche-toi, p'tite tête ! se moqua Benvik. La perds pas de vue, c'est grand et sombre ici. Et chaque coin a des yeux.

Le colosse poussa le jeune esclave sur les marches qui menaient vers un couloir obscur. Jaem n'eut pas le temps de réagir que Benvik était revenu dans la pièce précédente où il s'empressa d'activer le mécanisme de la porte. Le mur se referma étonnamment vite sur le jeune esclave, avec un claquement sec.

Jaem se tourna vers les ténèbres. Soudain, Assa passa au second plan. Il devait d'abord faire face à la ménagerie ! Le jeune homme descendit prudemment quelques marches, atteignant un sol dallé et poussiéreux. Son regard croisa alors celui de la créature dans la cage la plus proche et il s'immobilisa.

L'animal, qui se tenait à quatre pattes, lui arrivait au niveau de la ceinture. Il possédait une paire de cornes en pointe longues d'un pied, mais seuls ses yeux jaunes et brillants se discernaient sous la longue fourrure beige qui le couvrait tout entier.

— T'attends quoi ? Tu n'as jamais vu un mouflon démoniaque ? s'impatienta la sanmaj.

Fermant les yeux, Jaem se força à tourner la tête dans une autre direction. Il tomba sur d'autres yeux, des tas de yeux braqués sur lui. Ses membres étaient ankylosés, l'intégralité de ses sens jouaient contre lui. Il ne pouvait se couper des cris, des grincements et des rugissements qui se succédaient continuellement. Une foule d'odeurs agressaient ses narines, tellement qu'il ne pouvait pas les démêler.

Ses jambes flageolèrent, il tomba à genoux.

— Hé, qu'est-ce qui te prend ? s'agaça Assa.

Elle revint en arrière et, après avoir marqué une courte hésitation, tendit une main vers lui. Jaem tressaillit. Il recula vivement, pour tenir son ennemie à distance, mais ne réussit qu'à perdre l'équilibre et s'écrouler.

— Ne me touche pas ! s'écria-t-il.

Assa s'immobilisa, sans cesser de le regarder avec ses yeux fendus, ceux de Belark. Du sang coulait de sa gorge tranchée, celui d'Haqim. Jaem secoua la tête, il perdait complètement les pédales ! Se tenant le front, ses ongles pénétrèrent sa chair. La douleur demeurait une valeur sûre, il savait où il était, ce qui était vrai. Mais les cris des créatures refusaient de s'arrêter !

— Lève-toi alors ! insista la sanmaj. On ne peut pas rester là, il y a beaucoup de travail et Benvik...

— Je ne peux pas...

Assa le fixa un instant.

— Tu as... peur ? s'étonna-t-elle.

— Bien sûr que non ! hurla Jaem, sans pouvoir s'empêcher de scruter les environs.

La surprise marqua un instant les traits de la sanmaj, qui tourna finalement la tête vers le mouflon démoniaque.

— Le nom que vous leur avez attribué est stupide. Ce sont des créatures très douces, leurs cornes ne servent qu'à se défendre... Tu n'as rien à craindre, debout !

— Je ne peux pas...

— Debout !

Bien malgré lui, Jaem commençait à accepter l'amère vérité : toute sa vie il avait été entouré de créatures mystiques qu'il regardait de haut. Désormais, il en avait peur. Toutes le terrifiaient, jusqu'à la plus ridicule d'entre elles... Il entendait pourtant résonner les paroles de ses précepteurs et maîtres de l'académie, des informations précises sur chacune des espèces sur lesquelles ses yeux se posaient. Cela ne changeait rien, il se sentait complètement démuni devant à elles. Il ne se contrôlait plus. Impossible d'imaginer pire honte pour un ashaan !

Aucune créature ne l'avait jamais menacé, aucune. Aux côtés de Ravik cheminait Belark. Jusqu'à ce que ce même Belark ne manque de le tuer.

Soudain, le jeune homme bondit sur ses jambes. Il se précipita, non pas vers la ménagerie, mais en direction du mur qui s'était rabattu derrière Benvik ! Il se mit alors à tambouriner contre la pierre.

— Laissez-moi sortir ! Laissez-moi sortir ! s'époumona-t-il.

Ses poings s'écorchèrent sur la brique vieillissante, mais la douleur ne suffit pas à l'arrêter. Il se démena de plus belle. Quelqu'un le saisit alors dans son dos, l'agrippa par la gorge pour l'obliger à reculer. Sans défense Jaem, retrouva un peu de lucidité. Son cœur accéléra. Il avait sciemment tourné le dos à un ennemi mortel ! Il s'était offert à Assa !

— Qu'est-ce que tu cherches à faire là ? attaqua la sanmaj. Te mutiler ? Pour m'en rendre responsable ?

À la grande surprise de Jaem, la sanmaj le relâcha, le repoussa.

— Je te préviens... commença Assa.

Quoi qu'elle eût voulu dire, ses paroles se noyèrent dans les sanglots qui secouaient Jaem. Plié en deux, le jeune homme ne pouvait pas retenir les grosses larmes qui roulaient sur les joues. Il avait été si fier de sa capacité à analyser les évènements, à les contrôler. À cet instant, il touchait véritablement le fond.

— Je ne peux pas... répéta-t-il. Impossible...

Sa voix était pitoyable.

— Tu es bien un ashaan ! rugit Assa. Aucune force de caractère, au premier problème tu abandonnes !

Une petite flamme se ralluma. Une flamme ténue, mais Jaem la saisit.

— Tu n'as aucune idée de ce que j'ai eu à vivre ! lança-t-il.

— Vraiment ? Tu penses me faire la leçon sur la dureté de la vie à moi ? Oh mais non, je ne doute pas que la tienne a été terrible ! J'imagine d'ici ! Dans ton enfance, on t’a sûrement refusé certains jouets ? Pas trop souvent, bien sûr, mais une fois ou deux ? Et puis peut-être même que tu as été privé de sortie ?

— La ferme ! explosa Jaem en se redressant.

— Tu vois bien que tu peux tenir debout ! se moqua Assa.

— Je vais te...

— Garde ça pour plus tard. À condition que tu sois capable de traverser ce hall ?

Jaem lisait parfaitement en elle, il voyait ce qu'elle cherchait. Et elle réussissait. Porté par sa colère et un sursaut d'orgueil, il fit un pas en avant.

Devant le jeune esclave, des ombres se mouvaient de tous les côtés, accompagnées de rugissements, de coassements, de hennissements... Ce chemin qui s'enfonçait dans une noirceur presque insondable, semblait se prolonger indéfiniment.

Il tremblait encore, mais pouvait le gérer. Qui était-il ? De l'ashaan formé pour mener une armée au combat, il ne tomberait pas aussi bas que cet esclave effrayé par les miaulements d'un chaton ! Alors il avança d'un pas de plus.

Le mouflon démoniaque redressa sa tête et lâcha un long mugissement. Ce cri d'alerte agit comme un déclencheur, de nombreux échos y répondirent et Jaem s'immobilisa. Puis le jeune homme reprit sa progression. Lock avait cru déceler la faille qui le briserait pour de bon. Il lui montrerait combien il avait eu tort ! Oui, il ne laisserait pas la victoire à ce pitoyable gamin !

Des petites fenêtres garnissaient régulièrement les murs. En hauteur et munies de barreaux, Jaem remarqua du mouvement de l'autre côté, des chaussures, des bottes. Au-dessus, c'était le marché. Marchand devant lui en silence, Assa s'engagea dans une allée voisine, indiquant le chemin. Jaem prit une grande inspiration et la suivit.

Tout au long du parcours, des cages se succédaient. Certaines arrivaient à peine au niveau des genoux de l'esclave, d'autres le dominaient nettement. Le plafond du hall culminait à vingt pieds de haut, sinon davantage. Toutes les cellules n'étaient pas occupées, loin de là, mais cela demeurait - de loin - le plus grand rassemblement de créatures mystiques qu'il n'ait jamais vu, faisant de chaque pas était une épreuve. Jaem devait lutter contre un instinct qui lui hurlait constamment fixer une cage plutôt qu'une autre, de regarder derrière lui ou même de repartir en arrière en courant. Épisodiquement, il se laissait aller à un coup d'œil rapide sur certains "pensionnaires".

Après un bronto en colère, sa lourde cuirasse luisante, Jaem découvrit un aigle-chimère. La queue de serpent de ce dernier fouettait l'air, ses ailes plaquées contre son corps par une lourde chaîne de métal. Ces deux puissances de la nature dépassées, le jeune homme découvrit un rongeur qui grignotait les restes d'un morceau de maïs dans sa toute petite cage. Il identifia un fouineur, une espèce vorace et douée pour l'infiltration, mais surtout célèbre pour sa couardise.

Ce fouineur vivait aux côtés d'un aigle-chimère alors que lui tenait à peine sur tes pieds ? Était-il tombé si bas ? Petit à petit, Jaem allongea ses foulées.

Lorsque les deux esclaves débouchèrent sur une grande grille munie d'un portillon, il se mit à courir pour de bon. Il dépassa la sanmaj ainsi qu'un cadenas hors d'usage et dévala les quelques marches qui le séparaient enfin de la ménagerie. Coupé de la surface pour de bon, il l'était aussi des créatures mystiques... et de la lumière. Il ne discernait que formes approximatives, ce qui ne l'empêcha pas de ressentir un intense soulagement. Dans le couloir étriqué où il se trouvait, de petits espaces avaient été séparés par de simples murets. Il devinait des paillasses, contre les murs. Des conditions de vie précaires, peut-être, mais guère différentes de ce qu'il connaissait depuis deux lunes.

— Ta place est à droite, indiqua Assa.

Le jeune esclave se tourna pour lui faire face. Le menace des créatures mystiques écartée, il reprenait ses esprits. Sa peur refoulée, la colère pouvait pleinement la remplacer. Elle était là, au niveau de la grille, celle qui avait tué Haqim. Une fois, il l'avait épargné. Le destin lui offrait une seconde chance.

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