2.6 Le Mausolée de Gaelak (part 2)

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— Si tu ne me reconnais pas, tu n'es peut-être pas en si grande forme, riposta la soldate avec un sourire forcé.

Elle posa sa charge et s'approcha, s'accroupit en face de lui. Elle portait toujours son armure matelassée - peu surprenant de sa part -, mais son visage était propre et ses cheveux crépus tressé de manière à dégager son front. Deux choses inenvisageables quelques jours plus tôt. Quelques jours ?

— Combien de temps...?

— Oui, je vais bien, merci de demander, ricana Ellen.

Le jeune Abelam grimaça, mais s'abstint de tout commentaire. Le moment ne semblait pas idéal pour rappeler sa place à la soldate.

— On est arrivés ici deux jours après l'incident, il y a dix jours, expliqua enfin Ellen.

— Dix jours...

— Laisse-moi t'enlever le bandage frontal, enchaîna-t-elle. Tod estime que la cicatrisation devrait être assez avancée maintenant.

Sans plus de cérémonie, la jeune femme s'attela à dénouer le tissu qui dissimulait une partie du visage de Ravik.

— Apparemment on était sensés retrouver un autre groupe ici, continua-t-elle tout à son ouvrage. Mais ce dernier tarde à arriver. Si j'en crois l'agitation croissante de nos hôtes, ce n'était pas prévu.

— Où est Haqim ?

— Je ne l'ai pas vu depuis notre arrivée. Les sanmajs le maintiennent isolé.

— Isolé ? Comment ça ?

— C'est à cause de notre coup d'éclat. Ils ont longuement débattu sur quoi faire de nous. Un bon nombre étaient partisans de nous abandonner sur place...

— Ferran n'aurait pas...

— Ferran voulait te tuer de ses propres mains.

Le spectre d'Aïna revint hanter Ravik, avec ses yeux rouges fixes. Il serra les dents.

— Voilà, j'en ai fini avec ce fichu nœud, triompha Ellen. Attention, ça va peut-être faire un choc...

Avec une étonnante délicatesse, la jeune femme retira les dernières bandes recouvrant sur l'œil gauche de Ravik. La luminosité l'assaillit brutalement, mais il s'habitua vite. Il avait retrouvé sa pleine acuité ! Ravik mena doucement un doigt sur le contour de son œil, s'arrêtant sur plusieurs boursouflures.

— Tu veux voir ? proposa Ellen.

Elle se saisit du bol de fruits, remplaça son contenu par l'eau d'un cruchon, puis le tendit au jeune homme qui étudia son reflet.

Deux griffures de la longueur d'un doigt barraient son œil, attaquant profondément une joue inhabituellement creusée. La cicatrisation était bien avancée, mais une croute brunâtre recouvrait encore les plaies. Il constata aussi combien son visage était marqué, son teint cireux. Sa barbe d'ordinaire soigneusement entretenue, taillée quotidiennement, partait dans tous les sens. En d'autres termes, il découvrait le visage d'un autre homme, crasseux, négligé...

— Cette balafre renforce ton côté viril, si tu veux mon avis, commenta Ellen avec indulgence.

— Tu peux le garder, riposta Ravik en vidant le bol dans le vide.

Il regretta son geste aussitôt : il mourrait de soif.

— Les sanmajs nous ont épargnés, finalement ? Pourquoi ? relança-t-il pour changer de sujet.

La soldate lui jeta un regard dur, mais finit par un soupir.

— Ils nous ont emmenés avec eux et t'ont soigné, lâcha-t-elle. Mais on doit passer le jugement d’une "plus haute autorité".

Ravik fronça les sourcils, mais cessa aussitôt. Sa balafre l'élançait.

— Il y aurait une hiérarchie chez ces sanmajs ? Attends, tu disais bien que Haqim était isolé, pourquoi pas toi ?

— J'ai prêté serment de ne pas m'échapper. Sur le code de la légion impériale. Ils savent même pour ça.

Un court silence retomba entre les deux jeunes gens, finalement brisé par Ravik.

— Alors, où sommes-nous ?

Ellen fit face à l'antique cité.

— Les sanmajs appellent ce lieu le "Mausolée de Gaelak".

— Impossible ! s’exclama Ravik.

— Je sais bien ! Tout le monde sait que Gaelak repose sous le Grand temple de Del'Ashaan.

— Non, tu ne comprends pas. Le Mausolée de Gaelak n'est pas une tombe... Pas vraiment.

La soldate le dévisagea, attendant clairement la suite. Ravik soupira.

Réduit à instruire une fille du bas peuple.

— C'est une vieille légende, qui a été déclarée hérétique par l'Ordre de la Vérité il y a plusieurs siècles.

— Dans ce cas, comment se fait-il...

— Tout ce qui est interdit par l'Ordre est par définition précieux pour les Maisons, ricana Ravik. Chacune des grandes familles conserve sans doute un ou deux rouleaux à ce sujet.

— Et alors, elle dit quoi cette légende ? s'impatienta Ellen.

— Pour gagner le pouvoir de dompter les premiers compagnons bestiaux, Gaelak et Faëlan auraient pratiqué un rituel. Ce faisant, ils auraient maudit l'une grande cité, un lieu riche et prospère où vivaient une foule de créatures mystiques avec leurs adorateurs. En l'espace d'une nuit, tous les habitants avaient disparu sans laisser de trace. La ville elle-même aurait perdu son essence, ses puits se tarissant et ses terres fertiles devenant dures comme la pierre. Voilà ce qu'est le Mausolée de Gaelak : une cité antique sacrifiée sur l'autel de l'éveil de la civilisation ashaanide.

— Guère reluisant pour les deux grands héros, avoua Ellen, mais l'histoire de la révolte est pleine de massacres de ce genre, non ? En quoi celui-ci est-il plus gênant qu'un autre ?

— On parle d'une cité antique, d'une civilisation pré-ashaan sur les terres impériales. Les Rois Mystiques, ces créatures qui régnaient sur le monde avant la révolte, sont sensés avoir dominé un monde sauvage, une anarchie où régnait la loi du plus fort. Une cité où humains et bêtes vivaient ensemble, ce n'est pas la bonne image.

La jeune soldate mit un moment à hocher la tête. Pendant ce temps, Ravik continua d'étudier la cité. Clairement, cette architecture n'avait rien d'ashaanide. Cela ne prouvait rien, bien sûr. Certaines nations humaines avaient prospéré avant la révolte, dans des contrées lointaines. Il pouvait s'agir de l'une de leurs colonies. Les colonnades évoquaient le style Esthiri, qu'il avait vu sur des tableaux.

— Comment sommes-nous arrivés ici ? demanda-t-il enfin.

— Par la galerie de verre. Elle débouche sur la ville et continue de l'autre côté du cratère. Comme si le vers...

— Ce n'était peut-être pas un vers.

— Comme si le vers avait traversé cet endroit sans s'arrêter, persista Ellen. La galerie est postérieure à l'abandon de la cité, ça se voit facilement.

Ravik laissa sa tête reposer contre le mur derrière lui et ferma les yeux. La fatigue le rattrapait.

— Il y a un autre passage alors, en face de celui dont on vient ?

— Oui, mais il est bouché. Un éboulement.

— Alors... Ces renforts que les sanmajs attendent doivent venir d'ailleurs. D'en haut ? Il y a un accès à la surface ?

— Tu ne penses tout de même pas à t'enfuir ? Encore ?

— C'est toi qui a parlé de cette histoire de jugement, non ? Tu oublies que tu as tué un des leurs, toi aussi ?

Une ombre passa sur le visage d'Ellen.

— Tu n'assumes jamais tes actes ? l'accusa-t-elle.

— Tuer un sanmaj n'est pas un crime ! contra Ravik.

Il repoussa une nouvelle charge du spectre d'Aïna, tout comme il ignora le regard intense de Ellen. Ses paupières devenaient de plus en plus lourdes.

— C'est immense, ici, reprit sèchement la soldate. Ils me laissent libres de mes mouvements, mais gardent tout de même un œil sur moi. Je ne sais pas s'il reste un passage intact vers la surface, ni de quoi ça a l'air là-haut. Il fait très chaud pendant la journée, je pense qu'on est encore dans le désert de pierres, même si la roche a l'air un peu différente ici...

Ravik se contenta de hocher la tête sans détacher les yeux des ruines. Quels mystères renfermaient-elles ? Quelle était leur véritable histoire ?

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