Erhawe

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01:01

Une petite tête. Puis deux petites mains, deux adorables menottes qui s’agitent dans le vide. Et enfin, cachés derrière ses minuscules jambes potelées, une paire de gracieux petons.

Deux paupières se lèvent pour la première fois vers le ciel.

Deux billes noires qui s’ouvrent au monde.

Une bouche qui se tord, un cri, vif et puissant.

C’est une fille, une ravissante petite fille en parfaite santé, qui s’endort à présent dans les bras de maman, sous le regard attendri du papa qui essuie discrètement une petite larme.

-Nous l’appellerons Erhawe, murmure la jeune femme, avant de sombrer à son tour dans un sommeil profond.

Collés l’un à côté de l’autre, un chat et un renard admirent le nouveau-né avec les yeux brillants, une expression émerveillée peinte sur la face, caressant la certitude de voir un troisième familier rejoindre la famille dans quelques heures.

Sans se douter que dans douze heures, le pire allait se produire…

14:16

Deux longues bottes noires taquinent le gravillon. Un léger bruit de pas s’approche de la jolie demeure des Falithiest. Une main vient s’écraser à plusieurs reprises contre la vieille porte en chêne.

C’est Selicien le Sorcier, frère aîné de la jolie Maleva, celle-là même qui a accouché d’une petite fille durant la nuit.

Il vient voir comment va sa petite nièce, mais n’arrive pas à se réjouir. C’est comme si une chape de plomb écrasait sa poitrine, comme un mauvais pressentiment qui s’amuse à balayer son bonheur.

D’elle même, la porte s’ouvre. Elle a reconnu le sorcier et sait qu’il est admis dans cette maison, en toutes circonstances.

Il entre. Esquisse un demi-sourire, pour ne pas contaminer les tous jeunes parents de ses pensées négatives.

La cuisine est grande ouverte. Les deux familiers sont placés aux pieds de leurs maîtres, mais ils ne ronronnent pas avec flegme comme il est d’usage pour eux. Ils semblent tendus, étonnés.

Il relève la tête. Et son semblant de sourire et ses vœux de bonheur s’envolent d’eux même.

Le bébé dans les bras, sa sœur est d’une pâleur extrême, comme si tout le bonheur qui s’était emparé d’elle il y a à peine quelques heures s’était envolé. Et son époux, Oxen, ne semble pas moins affecté.

Un instant, il ne bouge pas. Immobile, il contemple la scène qui se dresse devant ses yeux.

Puis il comprend…

L’Enchantement n’a jamais failli. Jusqu’ici, douze heures précises après chaque naissance, un familier apparaît devant la maison du nouveau-né qu’il se doit de protéger. A la vie, à la mort.

Mais il n’y a personne devant la porte et Maleva a accouché il y a plus de treize heures.

Le pire est arrivé, réalise-t-il avec un soupçon d’effroi.

Car, après avoir fait jeter l’Enchantement par la plus talentueuse sorcière qui soit, la jeune reine n’a-t-elle pas décrété qu’ “une personne sans familier se présentant douze heures exactement après sa naissance était une personne incomplète et par conséquent, déséquilibrée” ?

“Ce sol a vu trop de sang, trop de larmes”, avait-t-elle déclaré ensuite. “Je me dois de protéger chacun de mes sujets. Mais une personne incomplète est un danger, elle peut céder aux tourments et aux failles de son âme imparfaite. Si un jour vous en rencontrez une, signalez-la. Elle mourra sans douleur”.

Ils avaient tous écoutés ce discours. Et tous trois connaissaient le tragique destin d’Erhawe si son absence de familier était signalée publiquement.

Ils devaient réagir.

Et vite.

15:58

Un miaulement, vite étouffé. Les pleurs d’un bébé, qui s’apaisent instantanément dans les bras maternels. Trois adultes entourent un vieux chat errant. C’est le grand Gé, le renard de Maleva, qui l’a trouvé dans la rue et l’a ramené chez eux.

De tout son grand cœur de familier, il l’aime déjà tellement, la petite, avec ses grands yeux qui interrogent déjà le monde qui l’entoure, et son petit nez retroussé.

Comment ne pas l’aimer ?

C’est un bébé. Une toute petite fille d’un jour à peine…

Selicien a trouvé une idée pour sauver sa famille.

Le chat ferait l’affaire. Avec tout son talent, toute sa puissance, il parviendra bien à le magifier un peu, quelques jours au moins. Le temps de trouver une meilleure solution.

-Naouncadimium erhe nigrum… Murmure le sorcier en faisant danser ses mains autour de l’animal, immobile. Parvia hod, fiw infant, infant nungi, ningi nuc aerheleuia te Erhawe…

Des filaments de lumière bleue viennent entourer le vieux chat, qui, au fur et à mesure, prend une apparence plus petite: son poil gris sale brunit et s’unifie et ses yeux noirs deviennent bleu océan. Le vieux chat de rue est désormais un bébé familier, un bébé familier qui saute à présent sur les genoux de Maleva pour se mettre à ronronner à côté de la petite, qui fait jouer ses petites mains dans son pelage doux et souple.

-Et voilà le travail !, s‘exclame Selicien, soulagé.

-Combien de temps va durer cette incantation ? le coupe Oxen, qui ne parvient pas à se défaire de la boule d’angoisse qui lui noue les entrailles.

-Transformer un simple animal en familier demande beaucoup de pouvoir, et d’énergie. Il ne restera pas ainsi plus de quelques jours, je le crains.

-Il faut que nous partions, murmure sa femme.

Mais un bruit de grondement se fait entendre. Une fenêtre était ouverte. Et ses morceaux gisent à présent sur le sol, écrasés par la silhouette massive d’une vieille femme.

-Je crains que ce ne soit impossible… ricane-t-elle avec un sourire cruel.

C’est Armanda. Armanda la Vicieuse. Une des femmes soldates mandatées par la reine pour prévenir tout manquement aux lois. Ce qui n’arrive jamais, bien sûr. Sauf… aujourd’hui. Et Armanda est heureuse. Enfin, pour la première fois de sa vie, elle va faire quelque chose d’utile à sa communauté.

A côté d’elle, son familier, un fier lynx aux pupilles d'or gronde et grommelle, prêt à défendre sa maîtresse.

En une fraction de seconde, Selicien lève la main et s’apprête à la faire taire la vieille, mais un simple regard de sa part suffit à l’immobiliser.

Malgré son apparence, elle est puissante, la Vicieuse. Elle est née pour protéger son pays et est prête à tout pour défendre chacune de ses lois. A n’importe quel prix.

Maleva se lève.

Elle n’a pas beaucoup de pouvoir. Et ne brille pas d’intelligence. Mais elle a l’amour, celui plus fort que tout: l’amour d’une mère.

Elle regarde sa fille, se noie un instant dans ses pupilles noires, se penche et dépose un léger baiser sur son front.

Et, doucement, l'enfant se désagrège, jusqu’à disparaître complètement.

Ils ne sont désormais plus que quatre dans la pièce, sans compter les familiers.

Quatre ?

Non, trois.

Car, alors que chaque regard convergeait vers la jeune mère et son enfant, Selicien le Sorcier s’était lui aussi éclipsé, profitant de ces quelques secondes d'inattention.

Désormais seuls et vulnérables face à Armanda, le jeune couple sait qu’il n’en sortira peut-être pas sauf, ce soir. Mais ils sont soulagés, presque heureux.

Erhawe ne mourra pas, ce soir.

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