Les Esprits du Monde d'en bas...

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Et le pire est arrivé. Dans la chaleur intense d’une hutte vétuste, une fumée à l’odeur forte qui me rappelle celle du cannabis menace de m’étouffer. Mes yeux brûlent. Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter cette cérémonie débile ? Tu verras, Marc, pour certaines personnes l’Inpi c’est miraculeux !qu’elle disait. Conneries ! Je jette un œil irrité à ma compagne à mes côtés. Elle semble paisible, même à moitié nue et suant de tout son corps. Comment supporte-t-elle cette fournaise ? En face, un gourou qui tient un grand tambour tente de m’expliquer ce qui va se passer. Enfin, je dis gourou, il parait que c’est un chaman issu des Lakotas. Jamais su faire la différence, mais à priori il y en a bien une. Un autre type à ses côtés, « le gardien du feu », verse de l’eau sur des pierres brûlantes. La vapeur envahit la petite hutte, montant d’un cran la température. S’il rajoute encore de l’eau, c’est sûr, la Mort m’emportera plus vite que prévu.

— Ma chérie, murmuré-je, grinçant, si tu voulais faire un sauna, il fallait me le dire. On serait allé à Vithalia, ça nous aurait coûter moins cher.

Elle me lance un regard noir. J’ai encore dit une connerie.

— Marc ! Fais un effort. Ça n’a rien à voir, tu verras.

Et elle se détourne pour se remettre à boire les paroles du chaman. Qu’est-ce que je disais ? Un vrai gourou… Vanessa s’est faite complètement embobinée.

— Les quatre portes vont bientôt s’ouvrir, expliqua le vieil homme en entonnant un chant guttural.

Je dois quitter au plus vite cette mascarade. La vapeur chaude m’enserre dans son étau oppressant et mes camarades disparaissent dans un brouillard opaque. Un vertige me surprend alors que je tente de me relever pour fuir cet endroit. Une main – à qui appartient-elle ? – agrippe mon bras et me force à me rasseoir. C’est un complot !

— Laissez-moi crever en paix ! je m’écrie, des sanglots étouffés dans la voix.

Je me trouve au bord de la panique hystérique.

— La porte Est se trouve devant vous, Marc… Les esprits vous attendent de l’autre côté.

Qu’est-ce qu’il me chante avec ses esprits, lui ? Impossible de me lever à nouveau, une puissante énergie me plaque contre le sol. Le tambour entonne son chant monotone ; chaque coup frappé fait vibrer mes os, m’arrachant au passage des plaintes douloureuses. Un cri lointain de femme résonne soudain dans mon for intérieur. Ma respiration devient saccadée et le néant m’englobe tout entier dans sa noirceur.

Le brouillard suffoquant a disparu. Je ne me trouve plus dans la hutte, mais devant un immense tunnel empli d’une obscurité insondable. Je ne vois qu’une seule explication à tout ça : le vieux chaman m’a drogué. Je suis en train d’halluciner ! Au beau milieu d’une voie de chemin de fer abandonnée, j’approche de ce passagelugubre. Un courant d’air froid m’atteint et il me semble distinguer une silhouette juchée sur un cheval. Ses sabots martèlent le sol, l’écho se répercutant sur les parois. Je plisse les yeux ; dans la pénombre, je distingue une femme décharnée, au squelette apparent sur toute une moitié de corps. Un frisson parcourt mes membres : j’ai déjà vu cette scène quelque part… oui ! Sur mon canapé, le jour du mortel pronostic. Elle m’invite à la suivre de son long doigt ossu. Ai-je vraiment le choix ? Mon être tout entier tend vers cette entrée qui s’annonce des plus funestes. Je sens mes jambes amorcer un mouvement vers l’avant, sans mon consentement. Un pas après l’autre, je me dirige vers mon destin. Un souffle glacial m’enveloppe dans ses bras, la main de la femme squelette saisit mon bras et me soulève sans effort sur la croupe de sa monture. Un cri sinistre sort de sa bouche, dont l’absence de lèvres me répugne, et nous partons au grand galop à travers les ténèbres parsemées parfois d’étranges lueurs bleues.

Ses longs cheveux noirs et lisses fouettent mon visage dans une caresse acérée. Mes mains posées sur ses hanches frêles tremblent d’une telle proximité avec la Mort. Car, bien sûr, cette femme ne peut être que la personnification de celle qu’on appelle « la faucheuse ». La chaleur a-t-elle eu raison de ma vie précaire ? Eh bien, qu’elle m’emporte donc dans son Royaume ! Ici, je ne ressens ni souffrance ni regrets. Et chaque mètre parcouru m’éloigne de Marc Sampsiaud, cet autre moi pétri de douleurs. Soudain, une lumière m’aveugle et m’oblige à protéger mes yeux avec mes mains. Est-ce le tunnel dont les mourants parlent ? Qui donc m’attendra de l’autre côté ? La faucheuse ôte mes mains de mon visage et je découvre, ébahi, tout un nouveau monde qui s’offre à moi. Perché au sommet d’une falaise, je contemple des forêts luxuriantes et des cours d’eau multicolores dans un paysage vallonné. Malgré le soleil qui culmine dans le ciel parme, des millions d’étoiles le constellent en propageant une subtile symphonie. La beauté de leur chant me touche en plein cœur et remue un secret enfoui depuis l’enfance, mais qui refuse d’émerger.

— Ce n’est pas comme ça que je concevais le paradis des chrétiens, pensé-je à voix haute.

— Ce lieu n’appartient qu’à toi, me répond une voix sourde derrière moi.

Je fais volteface et découvre, surpris, le vieux chaman de la hutte de sudation aux côtés de mafaucheuse. Cette dernière me fixe un instant, puis d’un infime hochement de tête, repart au galop.

— Que faites-vous ici ?

— Je suis ton guide pour la guérison que tu espères. N’est-ce pas pour cette raison que tu es venu ?

— Je n’ai assisté à cette cérémonie que pour faire plaisir à Vanessa, ma compagne. Elle possède le syndrome du Sauveur, ricané-je.

Son corps se volatilise avant de réapparaitre à quelques centimètres de moi. Je sursaute, effrayé.

— Co… comment avez-vous fait ça ?

— Tu te trompes. Elle sait que ton temps est compté, chuchote-t-il en ignorant ma question. Ce qu’elle recherche ici n’est autre que l’ouverture de ton esprit à d’autres dimensions inconnues et mystérieuses. La libération de tes fausses croyances.

— Je ne crois en rien, je réponds, acerbe.

Un sourire illumine les traits du chaman qui commence de nouveau à se dématérialiser.

— Et qui a donc a créé ce monde dans lequel tu te tiens à présent, à ton avis ?

Il disparait dans le vent qui continue à murmurer :

— La mort danse toujours avec la vie et la vie danse toujours avec la mort

Je me retrouve seul au bord de cette falaise qui domine une vallée surnaturelle. Soudain, un sifflement rauque fend les airs tandis que quelque chose me pousse violemment vers l’avant. J’agite les bras dans l’espoir de me retenir à quelque chose, mais le poids de mon corps m’entraîne et je chute dans le vide. La peur me foudroie sur place. Je vais mourir ! Cette fois, c’est la bonne ! Des ailes immenses et noires apparaissent alors dans mon champ de vision. Des serres me saisissent par les épaules, je sens les griffes s’enfoncer dans ma peau et, pourtant, aucune douleur ne me transperce. Je relève la tête et contemple un corbeau qui me jauge de son regard de jais. Il me dépose doucement sur le sol avant de se percher sur une haute tour de pierre, seul vestige intact d’un château en ruine. Je connais cet endroit… je le connais. Pendant que ma mémoire fouille dans ses méandres, mon cœur cogne à tout rompre contre (dans ?) ma cage thoracique. Non ! Je ne veux pas me souvenir ! Je suffoque, mes larmes jaillissent de mes orbites. Le monde tourne autour de moi. Le corbeau se met à croasser et il me semble qu’un chœur de corvidés se joint à lui. Je protège mes oreilles avec mes mains en grimaçant. À nouveau, un hurlement de femme transperce mon être, puis je m’écroule sur le sol.

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