New Pocahontas

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– Ma fille, c'est une affaire entendue ! Tu épouseras Kocoum ou tu finiras raide comme cette carpette !

– Mais Papa... Il est trop solennel. Même s'il était mon mari, il ne me regarderait pas !

D'ordinaire, Pocahontas n'osait guère répondre à son père, le très autoritaire chef de la tribu. Si autoritaire que plus personne ne se rappelait son prénom ; après tout, Chef lui allait déjà comme un gant, que ajouter de plus ?

– Idioties... Et balivernes ! Moi, ce que je sais, c'est que Kocoum est le meilleur parti que tu puisses trouver !

– Il ne représente rien pour moi ! Papa, je t'en prie, ne me force pas à épouser cet homme !

– Tu l'épouseras si c'est mon bon vouloir ! Je suis le Chef et je t'ai donné un ordre ! Tu dois obéir !

– Je refuse d'obéir !

Ce fut la goutte d'eau.

– Eh bien, pars ! Va retrouver tes amis, et épouse-les, si c'est ce que tu veux ! Mais ne t'avise plus de pénétrer dans ma tente ! Plus jamais !

Jamais Pocahontas n'était ressortie en pleurant de la tente de son père. Elle s'était préparée à cette discussion, l'avait répétée dans sa tête plus de fois qu'elle n'aurait su le dire, mais toutes semblaient bien pâles, futiles par rapport à ce qui s'est réellement passé. Le vase avait bel et bien débordait. Son père, malgré son fichu caractère, l'avait cajolé, aimée, pendant toutes ces années, surtout depuis que sa femme, la magnifique Naoya, avait quitté ce monde.

Comme ses deux seuls amis, Taïko et Nautus, arrivaient, leurs jolis arcs dans les bras, elle essuya discrètement ses larmes.

– Qu'est-ce qui t'arrive ? dit le second en faisant un drôle d'air – flûte, elle avait sûrement les yeux rouges ! Une dispute avec ton père ?

– C'est sans importance... J'ai cru entendre que les bisons blancs étaient de sortie, aujourd'hui. Allons-y !

Pocahontas s'empressa de prendre son arc, posé sur l'unique meuble de sa tente personnelle. Une chasse au bison dans les Contrées de la Nuit éternelle ne chasserait pas tous ses soucis, mais au moins elle n'aurait plus à y penser pour quelques heures. En sélectionnant ses meilleures flèches, elle pria pour un jour rencontrer l'amour de sa vie. Non pas qu'elle fût romantique, loin de là, mais tant qu'elle n'avait personne, son père serait libre de la faire chanter. Et, avec son tempérament de fille de chef, elle ne pourrait longtemps le supporter.

– Bon, tu te dépêches ! piaffe Taïko. Les bisons ne nous attendent pas !

– J'arrive, j'arrive !

Son pied buta contre une plaque. Grise et incroyablement dure, couverte de bulles jaunes pareilles à des lucioles, Pocahontas l'avait dissimulée sous son tapis. Régulièrement, avant de dormir, elle s'employait à l'étudier, ou plutôt à essayer de l'ouvrir, mais pour l'instant ses tentatives n'avaient abouti qu'à des décharges dont elle ne comprenait guère l'origine. En tout cas, elle s'était promis qu'elle la garderait pour elle seule tant qu'elle n'aurait pas résolu tous ses mystères !

Pocahontas ne tarda pas à sortir. Lorsqu'ils partirent enfin chasser les bisons blancs sur les blanches collines des immenses contrées plates et dépourvues d'arbres. Celles-ci constituaient le seul paysage qui se la tribu avait coutume de fouler. Les Plateaux Noirs, très loin vers le Sud, n'avaient quant à eux jamais été explorés. Pocahontas frémissait de peur à chaque fois qu'on mentionnait leur nom.


Il ne fallut pas attendre longtemps pour voir des bisons pointer le bout de leur mufle. Nautus eut tôt fait d'en attraper un, puis deux, puis trois... Taïko eut moins de chance et manqua sa cible quatre fois de suite. Le premier fanfaronnait déjà, exposant fièrement ses prises bien que sa petite taille l’empêchât de les porter toutes en même temps, même avec le sac spécial confectionné par sa mère.

C'était sans compter sur Pocahontas. La jeune indienne n'avait pas dit son dernier mot ! Elle tendit son arc et décocha successivement cinq flèches. Les quatre premières touchèrent les pauvres bisons en plein cœur, la dernière tomba nonchalamment par terre.

– Je ne comprends pas ! Derrière ce rocher, je bénéficiais pourtant de la surprise... Qu'est-ce qui lui a pris de fuir si vite ?

Des vibrations. D'abord quasi-imperceptibles, elles devinrent très vite très impressionnantes. Si elle en avait jamais vécu, Pocahontas les aurait comparées à un tremblement de terre, mais dans les Contrées de la Nuit éternelle jamais le jour ne se levait et jamais la terre ne tremblait.

– C'est un démon ! Un démon qui tombe du ciel !

Nautus pointait son doigt sur un gros machin gris foncé. Gros il l'était, à tel point qu'il cachait la grosse boule jaune et son compagnon bleu toujours présents dans le ciel. Des fumées, tantôt jaunes, tantôt bleues, s'échappaient d'un trou formé en sa base.

Les trois amis, serrés les uns contre les autres, n'osaient plus bouger un orteil. Le démon grossit d'autant plus qu'il se rapproche du sol : il engloutirait facilement la grande tente du Chef !

Dans un bruit à rendre ridicule les roulements de tambour de guerre, la chose s'enracine doucement dans la roche blanche. Pocahontas ne réalise même pas que du sang coule de ses oreilles et de son nez, tant elle est fascinée par le spectacle qui se déroule sous ses yeux. Plus de fumée, plus de bruit. Une partie de la coque grise s'ouvre comme une porte. Deux créatures, similaires à des gorilles des plateaux par leur corpulence, sortent de l'objet.

Très arrondies de silhouettes, un visage tout noir au sommet d'un gros corps aussi blanc que la roche, les créatures effrayaient les indiens.

L'une d'elle tendit la main devant elle. Probablement un signe de paix, mais comment en être sûr, avec ces étrangers ? L'autre extirpa de leur appareil une espèce de chariot... qui avançait tout seul ! Un de leurs animaux de compagnie, certainement.

Ses deux amis n'en pouvaient plus. Ils se firent des signes de tête puis s'enfuirent sans demander leur reste, criant à Pocahontas d'en faire de même. Cette dernière, suivant son cœur hardi, s'avança au contraire vers les gorilles étrangers. Tout comme elle, ils avaient deux bras, deux jambes, une tête, alors comment pouvaient-ils être méchants ?

En dépit de son visage lisse, l'un d'eux la regardait avec curiosité. L'autre agitait un bâton bizarre sur un bloc fin. En regardant le chariot, Pocahontas se rappela à quoi il lui faisait penser : la plaque incrustée de lucioles ! Elle eut alors une idée, qui mettrait sans doute son père encore plus en rage qu'il ne le fût déjà, mais elle se devait de l'exploiter.

Elle courut jusqu'au village, entra dans sa tente et prit la plaque, prenant soin de l'envelopper dans de vieux vêtements, et repart en quatrième vitesse. Au passage, son père l'apostropha, l'interdisant d'aller voir ce qui a fait tant de bruit avec force imprécations. Pocahontas, comme vous l'avez deviné, n'a pas écouté.

L'instant d'après, elle était de retour au site d'atterrissage. Les créatures faisaient des choses étranges, comme ramasser des pierres ou pointer une boîte dans toutes les directions une par une. Pocahontas les regarda agir un certain temps, puis leur tendit la plaque. Grands mouvements : les créatures étaient très étonnées. La plus avenante prit doucement l'artefact et le contempla longuement.

Une bête rugit. Pocahontas ne fut pas longue à le voir : un lion rouge filant droit sur eux !

Les deux étrangers sont paniqués. Ils courent dans tous les sens, se cognent l'un dans l'autre... Heureusement, Pocahontas a posé son arc non loin de là. Le lion menace. La plus courageuse des créatures essaye de défendre son groupe. La bête bondit et arrache sa tête !

Pocahontas tire sa dernière flèche. En plein dans le mille ! Le lion s'effondre sur sa victime.

L'indienne dégagea comme elle le put le pauvre étranger. Vu l'agitation du second, sa mort ne faisait aucun doute ! Une patte, deux pattes, trois pattes... ça y est, le corps décapité est dégagé !

Pocahontas entendit une voix qu'elle ne comprenait pas. Elle se baissa sur le cadavre et qu'elle ne fut sa surprise lorsqu'elle vit, au lieu d'un voile noir ou de plus rien du tout, un visage tout à fait humain ! Un peu différent, plus rosé, elle aurait dit, mais humain sans aucun doute !

Le visage papillonna ses yeux. Ses lèvres bougèrent et le son se reproduisit... L'inconnu parlait !

– N... Ne.

Pocahontas lui fit un signe d'encouragement. Elle voulait qu'il répète.

– Neil. Neil Armstrong.


C'est à ce moment précis que les ennuis de Pocahontas et de son père le Chef commencèrent vraiment...

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