L'histoire du Petit Kimono Rouge

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Chapitre I


Depuis aussi loin qu'on s'en souvienne, l'enfant de la plus paisible demeure du village, revêtait inlassablement un tissu de soie rouge cerise. Ce bel habit confectionné par son aïeule lui seyait tant, que partout, on l'appelait le Petit Kimono Rouge.


Un beau matin printanier, sa maman l’interrogea tandis qu'elle se camouflait derrière son kamishibaï :

- Mon trésor, voudrais-tu amener cette plume et cet encrier noirs à ta grand-maman ?

- Bien sûr ! s’enthousiasma-t-elle, en sortant la tête au-dessus de son petit théâtre de bois.


Le temps d'une vague inquiétude, sa mère l'avertit :

- Fais attention ! Ne t'attarde pas à cueillir des fleurs en te promenant au cœur de la contrée. La nature est parfois dangereuse...

- Je serai prudente, assura la fillette en saisissant l'écritoire.


Près des montagnes et des lacs, à la lisière de la forêt, une multitude de directions s'imposait à elle.


Du haut de son cumulonimbus, une créature géante et multicolore contemplait l'aventurière. Devinant son hésitation, elle fendit l'atmosphère afin de la rejoindre, emplissant le ciel de couleurs vives.


- Oh ! Bonjour monsieur le dragon, s'émerveilla la petite fille, étonnée.

- Bonjour ! s'exclama l'animal fantastique de son timbre de voix suave. Si tu le désires, je peux t'aider à opter pour une route.

- C'est vrai qu'il y a l'embarras du choix, admit-elle.


Le dragon opina et reprit :

- Tu pourrais suivre le droit chemin, le sentier le plus commun, le labyrinthe de bambous, un raccourci de filous, explorer la colline aux orchidées, ou enjamber le pont de la rivière...


L'héroïne dont la curiosité aiguisait ses petits yeux asiatiques, rêvait de grimper sur le corps tortueux de la bête millénaire. Néanmoins, celle-ci avait promis d'être sage et emprunta le trajet le moins long pour ses jambes d'enfant. Elle remercia le dragon de ses indications qui disparut comme il était venu.


Un peu plus loin, tanguant sur une passerelle, proche de la baie, sa main gauche en visière, elle contemplait les remous des flots qui malmenaient la coque des navires.

Jonques, sampans et bateaux-fleurs se dirigeaient en destination du port ou au contraire s’éloignaient sur l'eau bleu sarcelle du grand large.


Le Petit Kimono Rouge se rapprochait prestement de la maison de briques et de bois à deux étages de sa grand-maman. Elle percevait le majestueux cerisier qui surgissait à la hauteur du premier toit dont les coins étaient relevés en corne. L'arbre s'était étoffé au fil du temps devenant le témoin des générations qui se succédaient.


Des loquets en forme de nénuphar fermaient les portes rondes à double battant de l'habitacle. Elle adorait observer les animaux sculptés qui ornaient la façade.

D'un côté, il y avait des hérons, des libellules, des lucioles, des coccinelles, des grillons, des carpes, des tortues et de l'autre, un paon, des serpents à la langue bifide, des escargots, des chenilles et des batraciens, dont un crapaud à trois pattes...


La fillette toqua à l'aide d'un heurtoir circulaire, maintenu au creux de la mâchoire d'un chien Fô.


- Qui est là ? héla-t-on à l'intérieur de la demeure.

- C'est moi, mamie ! Je te ramène un coffret d'écriture.

- Tire, ma jolie, sur un nénuphar, mon vieux logis scindera.


Elle ouvrit les portes, laissant le bruissement du vent caresser le carillon de l'entrée qui tintinnabula alors une agréable musique.


L'enfant se déchaussa au milieu du vestibule. Il se dégageait d'un brûle-encens de fines volutes de fumée odorantes qui sentaient le bois de santal.


Au fond de la pièce, assise en demi-lotus sur un tatami, une attrayante tunique d'étamine noire enveloppait la vieille dame. Elle invita sa pupille à s'asseoir et lui offrit une grue en origami comme porte-bonheur.


Ensuite, elle frappa sur un gong et déclara ces mots solennellement :

- Je tisse la paix sur tes ailes et tu voleras de par le monde...


La petite fille se sentait particulièrement protégée auprès de sa famille et s'amusa jusqu'à la tombée de la nuit.


Chapitre II


Un bel après-midi d'été, la maman du Jeune Kimono Rouge la questionna alors qu'elle s'étirait sur son futon :

- Ma chérie, voudrais-tu emmener cette épingle et cette aiguille blanches à ta grand-maman ?


Elle acquiesça et empoigna les accessoires de mercerie.


- Sois prudente en traversant la contrée, lui conseilla sa mère, fidèle à son habitude. Elle est parfois menaçante...

- Je ferai attention ! la rassura-t-elle.


Près des montagnes et des lacs, à la lisière de la forêt elle se figea. La créature millénaire, arguant ses nombreux doutes, glissa de son arc-en-ciel et atterrit à sa droite sur ses pattes prolongées de triples griffes.


- Oh ! Bonjour mon ami le dragon, salua la promeneuse ravie.

- Bonjour ! s'exprima l'animal de son timbre suave. Je constate que tu hésites, de nouveau, à t'engager sur un embranchement.

- C'est vrai qu'il y a toujours l'embarras du choix, renchérit-elle.

- Je te rappelle que tu pourrais suivre le droit chemin, le sentier le plus commun, le labyrinthe de bambous, aux allées de filous, explorer la colline aux orchidées, ou encore enjamber le pont de la rivière...


La jouvencelle désirait se faufiler sur le corps épineux de la bête géante et multicolore pour toucher le ciel du bout des doigts. Cependant, celle-ci avait fait le serment d'être sérieuse.


Toutefois, elle souhaitait profiter de sa journée et jugea bon de parcourir la vallée aux mille pétales. Un paysage probablement magique à découvrir.


Comprenant sa démarche, son interlocuteur disparut comme il était venu.


Après avoir escaladé les monts, elle rencontra des femmes aux lèvres carmins qui se détachaient de leurs visages teintés d'une poudre blanchâtre.

Ces courtisanes tenaient des ombrelles au milieu des orchidées où les abeilles butinaient le pollen de ces merveilles colorées. Leurs fragrances subtiles et raffinées embaumaient les environs.

Quelques unes secouaient des éventails, histoire de se rafraîchir et certaines dialoguaient en mandarin, tout en dégustant des baies de physalis de la couleur du soleil.

Une femme en retrait, pensive, appuyée de trois quarts sur son coude plié, s'égarait vers de mystérieuses réflexions amoureuses pendant que sa voisine se regardait dans un miroir.

D'autres, assises sur des bancs en pierre jouaient au jeu de go, au mah-jong ou au dominos.

Plus loin, la jeunesse hissait des cerfs-volants en forme de phœnix tatouant de différents motifs le toit du monde bleu azur.


Une femme au long cou, à l'allure distinguée lui proposa de boire du thé vert au jasmin. Elle accepta, bu la boisson chaude en trois gorgées, reposa sa tasse en porcelaine pleine de vide, et la remercia.


Le long de sa promenade, la jeune fille en fleurs s'égara et sollicita des poissons rouges, qui nageaient à la surface de l'eau ridée d'un bassin. Ils lui conseillèrent de se renseigner auprès des vers à soie, qui, comme à leur habitude, se nourrissaient de feuilles de mûriers.


Un pétale virevolta et se raccrocha à sa tige sous le regard stupéfait de la demoiselle. C'était un papillon ! Si la beauté du monde lui semblait rare, elle appréciait ces instants précieux. Le lépidoptère se suspendait sur un buddleia, surnommé justement l'arbre aux papillons. Il lui indiqua l'accès du labyrinthe.


S'approchant de sa destination, elle admirait une famille de pandas qui grignotait des bambous au-dessous d'un Torri rouge surplombé de noir, contrastant avec leur pelage noir et blanc. Le bébé panda mâchouillait les feuilles de la plante en tenant maladroitement le roseau entre ses pattes.


L'adolescente avait un infini respect envers ces ours qui n'étaient plus carnivores.


Quelques instants plus tard, elle rencontra des personnes de la gent masculine. En premier, elle discuta avec un samouraï, coiffé d'un casque dont le katana dépassait de son armure, ainsi qu'à un autre guerrier prêt à faire siffler sa lame à tout instant. Un archer, comptant les flèches de son carquois s'approcha d'eux. Il fut suivi d'un ninja, sombrement vêtu et cagoulé faisant des acrobaties. Il maniait le nunchaku et les arts martiaux dangereusement !


Loin de cette agitation, elle écouta un maître zen réciter des haïkus aux abords d'une pagode et imita un sage à la peau burinée qui méditait. Minuscule comme un bonsaï, il ressemblait à une eau paisible.


Le pépiement des oiseaux faisait écho à la beauté de la nature. Un souverain traversa devant un vagabond ayant pour seul bagage un baluchon. Il trônait sur un palanquin, tiré par des valets qui le conduisaient chez la princesse lumineuse.

Le chant du rossignol même en présence du prince resta identique.


Elle croisa également sur cette route un colporteur chargé d'étoffes et des marchands dont les nasses à chaque extrémité de leur palanche renfermaient chacune une dizaine de carpes. S'arrêtant près d'un muret, elle observait des garçons s'amusaient avec des mikados, et des hommes portant des chapeaux chinois rigolos qui, concentrés, jouaient aux échecs.

En passant devant la fenêtre d'une bâtisse, elle aperçut au travers des sumos habillés seulement d'un mawashi qui déjeunaient.


Ces mastodontes dont les bourrelets dansaient la sarabande à chaque mouvement, avaient des cheveux bruns, lissés à l'aide d'huile, maintenus par un chignon.

Ils buvaient de la bière, du saké et d'autres liqueurs tout en engloutissant grâce à des baguettes en bois, une impressionnante abondance de nourriture : pâtés impériaux, riz, rouleaux de printemps, nems, sushis, beignets de crevettes, potages, et nouilles aux champignons dont le fumet odorant embaumé les lieux.

Au bout de la table s'entassaient des poissons : soles, dorades, fugu... Et des viandes : porc au caramel, canard laqué, poulet au gingembre, ainsi que des morceaux de bœufs accompagnés de légumes et de champignons shitake qui marinaient au fond de grosses marmites.

Les desserts, quant à eux, offraient des couleurs diaprées appétissantes : salades de fruits, litchis, ananas, perles de coco, poires aux miels, kiwis, mangues, gâteaux au soja... Un spectacle visuel étrange et intriguant !


Les autres adultes qu'elle croisait lui communiquaient des orientations contraires. Un tireur de pousse-pousse, dont l'essieu fléchissait sous le poids de l'homme qu'il transportait, faisait saillir les muscles de ses maigres mollets. Escorté d'un singe sur l'épaule, il l'informa même d'un regard oblique de tourner les talons.


L'étoffe soyeuse, à longues manches flottantes du Jeune Kimono Rouge, gonflait au rythme de la chaleur du vent.


Elle brava les éléments et se retrouva devant un lac qui abritait sur son rivage une barque et en son centre une petite île où s'érigeait une pagode. Elle rejoignit le temple en forme de tour, aux neuf avants-toits grâce à l'embarcation.

Un jardin entourait le temple. À l'intérieur, un moine l'entretenait.

Parmi l'importante végétation, douze statues représentaient les animaux du zodiaque asiatique.

Il y avait le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, la chèvre, le singe, le coq, le chien et le cochon.


Curieuse, elle avança sur les dalles rondes enfoncées dans la terre et s'agenouilla au pied d'un ginkgo biloba qui dominait une statue de bouddha.


Elle se reposa au son du crissement des feuilles d'arbres et à celui du clapotis de l'eau de la marre qui s'épanchait au centre de ce lieu fantastique. Des moineaux s'approchèrent si près d'elle que c'était comme si elle était l'un d'eux.


Sans boussole, l'aventurière ne savait plus où se trouvaient les points cardinaux. Elle regagna le flanc d'une colline escarpée, serpenta les rizières, et traversa les champs.


Le soleil vermillon illuminait la peau de son visage lorsqu'elle atteignit enfin la porte-lune de la maisonnette.

Elle cogna le heurtoir en métal provoquant un véritable charivari !


- Qui est là ?

- C'est moi, mamie ! Je te ramène un trousseau de couture.

- Tire, mon joyau, sur un nénuphar, mon vieux logis scindera.


La vieille dame s'évertuait à déposer soigneusement au moyen d'un pinceau, sur du papier traditionnel, de l'encre de Chine. Elle recopiait des idéogrammes d'un livre du philosophe Confucius sous le regard épuisé de la jeune fille qui s'endormit.


Chapitre III


À l'agonie du jour doré d'automne, le Kimono Rouge saisit un banneton tressé et le bentō qu'elle s'était préparée. Elle emporta une bouteille de liqueur rouge, puis quitta la maison natale.


Une fois arrivée près des montagnes et des lacs, à la lisière de la forêt, son éternel ami le dragon géant et multicolore ne se manifesta pas.


La jeune femme, au visage inaltéré, aurait aimé entendre son phrasé suave et s'envoler sur son dos.


Au lieu de cela, elle enflamma une allumette, causant un tumulte au silence des ténèbres. Une bougie incandescente naissait au creux d'un lampion sous le regard de la nuit.

Un passage secret s'esquissa dans la brume, révélant un tunnel souterrain. Elle s'engouffra à l'intérieur de ce raccourci.


En sortant de la galerie, un brouillard enneigé l'enveloppait comme une écharpe argentée qui proclamait l'hiver.

Des flocons de poésie recouvraient déjà d'une parure cristalline les ramures du cerisier centenaire, renforçant l'impérieuse beauté de l'endroit.


Toute mouillée par l'orage qui grondait, Jade, de son vrai nom, grelottait de froid.


Elle pénétra au sein de la demeure, en eau ! Elle n'aurait pas été trempée davantage par la neige morte, si l'estampe de la Grande Vague du vestibule l'avait submergé.


Elle ôta ses vêtements derrière le paravent de la chambre, puis les déposa près d'un peigne de nacre, sur l'ishô dansu de son aïeule où son kimono spectrale s'était évaporé. Jade, attristée, lui succéda au sein du lit.


Quelques heures plus tard, entre le crépuscule et l'aube, on exécuta, en se servant d'un des deux heurtoirs, un mouvement répétitif produisant un son métallique sur la porte-lune. Elle se revêtit et courut à la porte.


- Qui est là ? minauda la jeune femme.

- C'est un vieux compagnon ! plaida-t-on dehors.


Reconnaissant cette tonalité suave, derrière le tohu-bohu du tonnerre, l'héroïne déverrouilla la serrure, pendant que son cœur battait à grands chocs sourds.


- Cher ami, que vous êtes beau !

- C'est pour mieux te plaire mon enfant, s'exalta l'animal.

- Cher ami, que vous avez de grandes oreilles !

- C'est pour mieux t'écouter, mon enfant.

- Cher ami, que vous avez de grands yeux !

- C'est pour mieux te voir, mon enfant.

- Cher ami, que vous avez un grand nez !

- C'est pour mieux te sentir mon enfant.

- Cher ami, que vous avez une grande bouche !

- C'est pour mieux te... parler, mon enfant.

- Cher ami, que vous avez de grandes griffes !

- C'est pour mieux te... protéger mon enfant.

- Cher ami, que vous avez un grand dos !

- C'est pour mieux t'emporter, mon enfant !


À ses mots, le dragon géant et multicolore hissa sa vieille amie, à califourchon sur son échine.


- Tu sais que ce qui effraie les Hommes n'a rien de surnaturel, constata-t-il pendant qu'ils voyageaient au-dessus des merveilles de l'Asie.


Jade pensait à sa grand-maman qui reposait sous la stèle de l'empire du dessous. Son image lui reviendrait en souvenir parmi ses songes ou en fantôme dans une autre réalité.


Des feux d'artifices éclairaient de leurs mille et une lueurs les monts immortels faisant dissoudre l'impermanence des nuages gris.


Jade teint sa tristesse et arborait un sourire céleste, s'abandonnant au Nirvana ! Sa vie défilait sous ses yeux, où elle repensait avec nostalgie au jour où on l'appela pour la première fois le Petit Kimono Rouge.

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