Episode 19

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- Méli… Méli, on est arrivé. Réveille-toi !

J’ouvre les yeux doucement, puis me redresse d’un bon ! Où suis-je ?! Ah, oui c’est vrai ! Jun me regarde un petit sourire taquin sur le visage.

- Viens, on y va, les gars sont en train de décharger le matériel.

- Oui… oui, pardon… euh, j’arrive ! Dis-je embarrassée en sentant le rouge me monter aux joues.

Nous nous dirigeons vers le centre de la place. Le manager nous y attend. Pendant qu’on installe le matériel, il discute à l’écart avec Hae Kuk. Ils semblent se mettre d’accord sur quelque chose, puis Hae Kuk revient vers nous.

- Bon les gars, on va faire quatre performances en tout. Trois de notre précédent album et une avant-première de notre prochain album…

Je vois le manager me faire signe d’approcher. Je me redresse et me dirige vers lui pendant que les garçons planifient leur prestation.

- Mademoiselle Jourdan.

- Mélanie, s’il vous plait.

- Mademoiselle Jourdan, dites-moi comment vous envisagez la suite.

- Que voulez-vous di…

- C’est votre idée. Vous avez forcément pensé à des choses. Si vous proposez un projet de promotion, il ne faut pas juste avoir une idée, il faut pouvoir la mettre en place vous-même. Ainsi vous montrez aux autres que vous savez de quoi vous parlez, et ils ont confiance en vous.

- Je vois…

Je prends le temps de réfléchir quelques minutes en observant l’espace autour de moi.

- Très bien. Dans ce cas, je pense que les garçons devraient se placer là. Face à la tour Eiffel, au centre de la place. Mais pas que. Je ne sais pas comment sont leur danse mais sachant que le public sera place tout autour d’eux il ne faudrait pas qu’ils tournent le dos constamment à une partie de l’audience.

- Vous voulez dire qu’ils doivent naviguer sur une zone ?

- Oui, voilà, ne pas être statique et orienté uniquement dans une seule direction. Vous qui connaissez leurs prestations. Vous en pensez quoi ? C’est possible ?

- Oui.

- Génial. En plus, ça permettra d’avoir en fond des photos et des vidéos d’une partie du public, l’un des symboles français, la tour Eiffel. Juste en voyant la vidéo, le public sera capable d’identifier le lieu et le groupe. Le public va filmer et partager ça sur les réseaux sociaux. Et pas n’importe quel public. Ce sera un public international puisque nous sommes sur un lieu très touristique en France, et…

- Et ?

- Et j’ai entendu dire que vous faisiez des vidéos pour les fans durant leur voyage en France… Du coup je me suis dit que vous pourriez intégrer des passages de cette performance dans l’une de vos vidéos. Ça pourrait permettre aux fans de faire le rapprochement…

- Continuez.

- Eh bien, si vous référencez la vidéo avec les mêmes hashtags que le public, les personnes qui les découvrent et cherchent à en savoir davantage vont trouver cette vidéo, ils vont pouvoir découvrir ce groupe à travers ces vidéos où j’imagine qu’ils agissent plus spontanément. Et ensuite s’intéresser au travail du groupe. Personnellement, j’estime que c’est le meilleur moyen de découvrir et d’aimer un groupe. Et pour les fans, cela donnera un côté officiel. Je veux dire… entre les vidéos amateurs et votre vidéo, il y aura une sorte de confirmation, un côté officiel. Et de qualité différente également. Et comme j’ai cru comprendre qu’ils allaient faire une avant-première vis-à-vis de leur nouvel album… ça devrait être une bonne promo… ?

- Ça devrait ?

- Ça sera.

- Très bien, votre projet me convient. Allez donner vos instructions aux gars.

Pardon ?! Je… il veut que je fasse quoi ?! Mais je les connais à peine ! A part Jun bien sûr, mais comment veut-il que je leur ordonne de faire quoique ce soit ?! Je ne suis rien pour eux… Mais je sais ce qu’il est en train de faire. Depuis que le leader a proposé que je travaille pour eux, leur manager me test. Et ça fait partie du test. Pour savoir si je serais capable de gérer plus tard. Si j’ai vraiment ce boulot dans la peau. Je n’ai pas le choix.

- Je… d’accord. Très bien… je vais aller les voir.

Les lèvres du manager s’étirent en un petit sourire satisfait. J’ai réussi le test ? C’est bon ? Je ne suis vraiment pas rassurée. J’ai déjà parlé avec les garçons, mais pas dans ce genre de condition. Pas pour leur expliquer comment faire leur travail alors qu’ils le savent mieux que moi.

Pendant que nous discutions, ils ont fini d’installer le matériel. Maintenant la sono est en place prête à mettre le feu ! Leurs micros sont en place, accroché à leur oreille. Ils nous regardent arriver. Jun fronce les sourcils. Je suis tellement stressée et perdue que ça doit se lire sur mon visage… c’est super rassurant !

- Les gars ! Mademoiselle Jourdan, va vous expliquer ce que vous devez faire.

Je sens leur cinq paires d’yeux se fixer sur moi. Pour le moment, je scrute mes chaussures. C’est fascinant d’observer des lacets ! La personne qui a imaginé ça doit vraiment être un génie…

- Mademoiselle Jourdan ? Me relance le manager.

- Oui ? Oui. Pardon. Je… alors. J’ai pensé que ça pourrait être très intéressant que vous commenciez votre performance face à la tour Eiffel. Voyez ici, dans ce sens, dis-je en leur désignant ce que je veux dire, mais pour ne pas tourner le dos à votre public il faudrait que vous soyez mobile. Que vous ne restiez pas statique mais que vous puissiez faire votre performance en occupant tout l’espace et en regardant tout le public. Ne tournez pas le dos toujours au même côté. Ça ira ? Je… Vous avez des questions ?

Tout le monde hoche la tête. Jun me fait un clin d’œil. Ils se mettent en place. Les quelques curieux qui observaient notre manège de loin se rapprochent. L’une des personnes du staff place une petite caméra sur trépied de chaque côté de la scène improvisé pour les filmer sous tous leurs angles.

La performance commence. Je les observe pour la première fois. Ce que j’ai vu dans leur salle d’entrainement n’a rien à voir avec ce que j’ai sous les yeux. Ils captivent l’attention du public avec leur voix et leur chorégraphie rythmée. Petit à petit la foule se rassemble autour de nous, délimitant une scène rectangulaire.

Je compte plus d’une trentaine de téléphones filmant le spectacle. Les garçons s’amusent, ils ne se contentent pas de danser et chanter, ils font le show avec des moments bavardage et plaisanteries avec le public. Ils se sont présentés en coréen, et Jun s’est fait une joie de traduire en français. Environ trois quarts d’heure plus tard, la prestation est terminée.

La nuit commence à tomber et la tour Eiffel s’illumine. Pendant que la foule applaudis les garçons saluent avec un grand sourire. Ils rayonnent littéralement. On remballe le matériel, la foule se dispersent et nous retournons à l’appartement.

Le manager n’est pas avec nous, une fois qu’il s’est assuré que tout fonctionnait bien il est retourné avec sa collègue du staff faire ce qu’ils faisaient avant que nous ne les interrompions avec ce projet. Nous avions toutefois la consigne de l’appelé au moindre problème.

Dans la voiture les garçons sont de bonne humeur. Ils ont aimé faire cette prestation, et sont d’autant plus excité qu’en rentrant chez eux ce soir ils vont pouvoir assister à la sortie de la première vidéo sur la chaine YouTube de la New Entertainment.

Je repense soudain au nom du groupe qu’ils ont clamé fièrement un peu plus tôt. YouNG. Après tout ce temps c’était la première fois que j’entendais leur nom de groupe. Young. Jeune. Oui, ils sont jeunes, et leurs chansons s’adressent aux jeunes de leurs âges. Ils expriment la détresse, la joie, les peurs et les petits bonheurs que nôtres générations vie. Ils sont comme nos portes paroles.

On arrive à l’appartement quand j’entends mon téléphone sonner. Ma mère. Je me fige. Depuis ce matin où je suis partie, je ne lui ai pas envoyé un seul message pour lui dire ce que je comptais faire de ma journée et à quelle heure je comptais rentrer. Oups… je décroche, laissant les garçons prendre de l’avance. Je reste sur le trottoir en bas de leur immeuble et je fais les cent pas.

- Mélanie, où es-tu ? Tu veux qu’on vienne te chercher ?

- Je suis avec mes amis. Ne vous dérangez pas, je rentrerais plus tard toute seule.

- Avec tes amis ? Quels amis ?

- Comment ça « quels amis » ? Jun, je vous en ai parlé.

- Mais tu ne le connais que depuis quelques mois…

- Oui et ? Depuis que je me suis réveillée, à part vous et lui, je n’ai vu personne. J’ai envoyé un message à Lily et je n’ai toujours pas de réponse. Mes amies doivent bien savoir que je suis sortie du coma, que je suis rentrée à la maison, mais personne n’est venu me voir, personne ne m’a envoyé de message, personne n’a tenté de prendre de mes nouvelles…

Il y a un silence. Puis j’entends ma mère poussé un petit soupir, comme quand elle pense que je suis à côté de la plaque et que je ne comprends pas.

- Ne dis pas ça ma chérie… Lily est venue te voir tous les jours au début…

- Au début ? Ah, et bien ça me fait une belle jambe de savoir ça ! Mais en attendant ça va faire plusieurs semaines entre mon réveil, la rééducation et mon retour à la maison, et je ne les ai pas vu une seule fois ! Ni Lily, ni les autres !

- Je sais ma chérie… mais essaye aussi de les comprendre… avec la disparition de ta sœur… ce n’est pas facile pour elles…

- Que j’essaye de comprendre ?! Mais je ne fais que ça ! Mais vous, est-ce que vous essayez de comprendre ce que je ressens ? Pour moi, quand je me suis réveillée, c’était hier que j’étais dans la voiture avec Anna ! Pour vous il y a eu un mois mais pour moi non ! C’est comme si du jour au lendemain tu te réveilles et tu apprends que tu as perdu, ta sœur, tes amies et un mois de ta vie !

- Chérie ! Calme-toi ! Ce n’est pas le moment de te mettre dans cet état là, pas au téléphone. Je préfèrerais qu’on en parle ensemble.

- Que je me calme ?! Mais tu ne comprends pas maman ! Je suis en train de te dire qu’en me réveillant j’avais tout perdue ! Dis-je en m’énervant.

Toute la rancœur, la douleur, la colère et la peur que j’accumulais depuis mon réveil et que j’essayais tant bien que mal de garder à l’intérieur sont en train de ressortir, d’exploser. Je ne maitrise plus rien, j’ai besoin de vider mon sac, de dire tout ce qui tourne en boucle dans mon esprit. Je me mets à rire d’un rire sans joie, un rire amer.

- Ah ! Oui, il y a bien une chose que je comprends. Quelque chose que je perçois depuis des années mais que je n’ose pas m’avouer. Lily n’a jamais été ma véritable amie. Elle était et a toujours été l’amie d’Anna. Moi je faisais juste partie du lot. Alors bien sûr, lorsque nous étions toutes les trois, c’était quasi imperceptible ! Je savais bien faire semblant et puis a force j’ai quand même dû réussir à m’intégrer un peu ! Mais clairement, arrêtons de nous mentir, de nous deux, Anna était la plus sociable. Moi j’ai toujours été introvertie alors qu’Anna extravertie attirait tous les regards ! Mais moi, tellement admirative de ma frangine je l’ai suivi ! Je l’ai suivi et j’ai commencé à m’habituer à ce genre de vie, entouré d’amies, sortir plusieurs fois par semaine. Mais maintenant qu’Anna n’est plus là… qu’est-ce qui les oblige à revenir vers moi ? Alors que je ne serais qu’une pâle copie de ma frangine. La même enveloppe corporelle mais c’est tout ! Elles ne veulent pas souffrir davantage, elles ont dû se dire qu’il était préférable de couper les ponts ! Après tout ce genre de drame, ça bouleverse tout ! Soit ça rapproche, soit ça éloigne ! Il semblerait qu’elles aient choisi la deuxième option…

Je sens des larmes couler sur mes joues. Je suis en colère, tellement que je ne vois quasiment plus rien, je suis dans le brouillard.

- Mélanie ! Tonne ma mère dans le téléphone. Tu n’as pas le droit de dire ça ! Tu n’as pas idée de comment elles ont souffert, en particulier Lily ! Comment peux-tu dire ça de ta sœur ! De tes amies ! Tu es injuste et égoïste !

Entendre ça me brise le cœur. Je pensais que ma mère essaierait de me comprendre, qu’elle me rassurerait, qu’elle me dirait que je me trompe. Mais non, j’ai l’impression d’être le vilain petit canard. Je ne réponds pas tout de suite. Je tente d’abord de contrôler mes tremblements. Je veux que ma voix soit claire quand je vais répondre. Je me force à respirer plus calmement.

- Tu penses que je suis égoïste, injuste, que je ne souffre pas moi aussi ? Moi je ne crois pas. Tu me l’as dit toi-même, maman. Après un évènement traumatique de ce genre, on réalise que la vie est trop fragile, trop courte pour ne pas faire ce que l’on veut. Je ne remets pas en question mon amour pour Anna ou pour vous. Je dis simplement qu’il est hors de question que je m’accroche à des choses du passée si ça n’en vaut pas la peine. Je préfère avancer. Je vais avancer et vivre ma vie à ma manière. Que ça te convienne ou non. Au revoir maman.

Je n’attends même pas sa réponse. Je raccroche. Je me sens vidée de toute énergie, mais en même temps, je me sens plus légère, libérée de ce poids que je me trainais depuis trop longtemps.

Je n’ai pas le courage de remonter tout de suite voir les garçons. Je m’appuis contre le mur et ferme les yeux en tentant de retenir le flot de larme que je sens venir, en vain.

Des bras puissants me plaquent contre un torse avec douceur. Sa main me caresse les cheveux pendant que je pleure contre sa poitrine. Il ne dit rien. Il n’y a rien à dire. Il est juste là, me serrant contre lui, en attendant que je me calme.

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