Une fin heureuse

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Sur le bord de la route, toujours devant la maison de son enfance, Juliette sourit. La fin de cette histoire. Un excellent conte de famille.

Antoine avait attendu le retour du voisin dans une angoisse folle. Interminable. Et soudain, il surgit. Les joues rouges. Le soufle un peu court. Une étincelle dans les yeux. Antoine s'avance vers Bernard. Toute sa mince silhouette d'enfant tendue par l'attente. Danielle se précipite vers son mari.

  • Alors ? Que s'est-il passé ?
  • Ma maman ? Comment va ma maman ?

Malgré la terreur, la voix d'Antoine est ferme, déterminée.

  • Ah ! Ta mère, mon p'tit bonhomme, quel sacré numéro !

L'ouvrier s'esclaffe. Rire sonore. Caverneux. Stupéfiant.

  • Tu te demandes bien ce qui a pu terrorisé ainsi ta mère, hein ?

Il rit de plus belle.

  • Ah ! Tiens ! Fallait le voir l'agresseur ! La férocité ! Franchement, vous les bonnes femmes, vous avez de ses peurs des fois.
  • Bernard, ce n'est pas drôle ! Tu vois bien que le petit est mort de trouille ! Dis nous ce qu'il s'est passé à la fin, mince !

Danielle ne jure jamais. Toujours polie. Parfaite. Idéal de la mère de famille. Dans la maison idéale.

  • Oh ! Ne te fâche pas. Bon, je vais tout vous raconter. Quand tu m'as sorti du lit, je vais pas mentir, j'en menais pas large. J'avais même franchement la trouille de ce que j'allais trouver là-haut. En montant, je me suis même dit qu'on aurait dû appeler la police. Enfin, heureusement qu'on l'a pas fait. Ah ! Ah ! On aurait eu l'air tellement bête ! Il se serait bien marré tiens, les policiers, devant l'agresseur. Ah ! ah ! ah ! Oui, bon, l'histoire. Ça va, me fait pas ce regard là, je vous dis tout.
    Donc, je remonte jusqu'à la route. Là, je m'arrête quelques secondes. Pour écouter, tu vois ? Rien. Le calme plat. Ça, ça me plait pas. Pas du tout même. Ça sent vraiment pas bon. Alors, j'attends pas plus. Je me remets à courir. Là, dans vos escaliers. Tu sais ça, gamin, ils sont mortels vos escaliers. Je passe huit heures par jour debout à l'usine, je suis pas faiblard, mais ces escaliers. Mortels ! À chaque fois.
    Enfin. Oui, ça va, arrête avec ce regard, je reprends !
    Donc, je grimpe les escaliers. en haut, la porte est fermée. Alors bah, je toque. Ça parait idiot quand on le raconte. Surtout vu l'urgence de la situation, et tout. Enfin, moi, je suis comme ça. Avant d'entrer quelque part, bah, je frappe. On m'a élevé comme ça. Alors du coup, je cogne à la porte. Rien. Je recommence en appelant Viviane. Et là, je l'entends. Elle crie "Au secours ! Par ici".
    Alors là, tant pis pour la politesse, je rentre. Dans l'entrée, je manque de m'étalier. Des sacs de courses, partout sur le sol. Un vrai bazar. Ta mère, petit, elle continue à crier. C'est sa voix qui m'a guidé. C'était terrible. Toute stridente. Effrayée. Je l'ai jamais entendu comme ça. Et, ça fait déjà un petit moment qu'on la connait ta mère. Ça, je dois avouer, ça m'a fait drôle.
    Alors, du coup, je me précipite. vers la cuisine. Et là ! Ah ! Ah ! Oh ! Je suis désolé ! Mais, fallait le voir ! Ah ! Ah ! Oh ! Me fait pas ce regard, tu rirais toi aussi. Ah ! enfin, oh regarde, j'en pleure tiens !
    Là, j'entre dans la cuisine. Et sur la table en formica, ta mère. Ouais, petit, sur la table. assise avec les mains autour des genoux. Et elle crie. "là-bas ! là-bas !" en pointant le meuble du doigt. Alors moi, je me retourne vite. Je pointe même mon fusil. Mais je vois rien. Elle doit s'en douter ta mère, parce qu'elle reprend avec une voix encore plus stridente "là ! là ! au pied du meuble ! elle est làààà".
    Ah ! Ah ! je te jure, elle criait exactement comme ça ! Et après quoi elle criait ? Une souris ! Ouais ! une toute petite souris grise ! Mignonne et tout ! Oh je te jure, tout ça pour une souris. Elle voulait que je la tue. Mais moi, elle m'a rien fait la petite. Alors j'ai récupéré une boite dans le meuble de ta mère et je l'ai mise dedans. Mais, ta mère, elle criait encore "fais là sortir, sors là d'ici". Alors j'ai emmené la boite avec la souris jusqu'au bord du jardin, vers la ferme de Gérard. Et je l'ai relachée. Elle était terrorisée, la pauvre bête. Enfin, pas autant que Viviane !
    Après, je suis retournée voir ta mère. Toujours assise sur sa table. Je lui ai dit qu'elle pouvait descendre. elle voulait pas au début. elle surveillait tous les recoins. Des fois, je sais pas, qu'une souris l'attende en embuscade ! Ah ! Ah ! Enfin. Elle a fini par descendre.
    Évidemment, elle m'a remercié. Alors, je lui ai dis que c'était rien. Je t'assure que je lui ai dit. Pas de chichis, ni rien. Mais, tu la connais. elle veut nous inviter à diner. Alors elle m'a dit, si on peut garder encore les enfants un peu, et après, on monte là haut pour le diner. Si ça pose un problème, elle m'a dit que tu peux lui téléphoner. Tu veux lui téléphoner ?
  • Non, non. Ça ira. Oh ! Cesse de rire comme ça ! Ce n'est vriment pas drôle. Imagine la peur qu'elle a dû avoir. Et le pauvre petit Antoine, il était terrorisé...

Juliette ne peut se retenir de rire un peu. Seule, sur ce bord de route. Son frère ne se rappelle pas de cette histoire. D'ailleurs, il est peu probable que ça se soit passé exactement comme ça. Pourtant, c'est l'histoire la plus connue. C'est celle qui raconte le mieux la maison. La famille. La vie d'avant.

Au loin, un chien aboie. Juliette frissone. Oui, la vie d'avant. Quand l'histoire de la maison était joyeuse. Pourtant, les contes, même ceux qu'on raconte aux enfants, ne finissent pas toujours bien. Juliette le sait.

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