La Peinture d'Asimov

6 minutes de lecture

Texte écrit dans le cadre d'un devoir lors d'une formation pro. Les mots imposés étaient : robot, peinture et bravoure. Bonne lecture !

*

« Pas de retour en arrière possible, mon grand. Ton heure est venue. »

Les articulations d’Asimov grincèrent lorsqu’il pivota vers sa créatrice. La vieille Clémentine Myrtle Meitner l’observait d’un œil maternel derrière ses lunettes fines à la monture dorée.

Le robot leva une main rattachée à un de ses quatre bras mécaniques pour en fermer le poing et ne laisser que son pouce en l’air. Une façon pour lui d’indiquer au docteur Meitner que tout irait bien ; qu’il était fin prêt.

En réalité, certains de ses algorithmes démontraient le contraire. Asimov avait été programmé pour ressentir les émotions humaines de la manière la plus fidèle possible. En cela, Clémentine Myrtle avait fait des merveilles. Peut-être un peu trop. S'il avait été humain, Asimov se serait mis à trembler.

Les lignes de code dans ses circuits lui renvoyaient un sentiment d'appréhension, couplé avec une angoisse grandissante qui faisait chauffer sa carte mère. Il n'aima pas du tout cette sensation nouvelle.

En embrassant du regard la grande salle de ses deux grosses diodes électroluminescentes bleues (de simples photorécepteurs quantiques que Clémentine Myrtle avait adaptés d'une main de maître pour lui offrir une vision semblable à celle des humains), il remarqua que ses congénères ne paraissaient aucunement préoccupés par ce qui allait se dérouler en ces lieux.

La direction du Centre Tesla-Poincaré n'avait pas regardé à la dépense. La salle de réception était d'une somptuosité telle que l'on aurait pu croire à une reconstitution fidèle du palais d'un de ces riches empereurs du millénaire passé.

Les couleurs rouge et or prédominaient et les lumières tamisées diapraient les contours pâles de sculptures figées dans de gracieux mouvements. Elles représentaient pour la plupart les plus éminents scientifiques de l'Histoire de l'humanité, mais aussi les intelligences artificielles qui avaient marqué leur temps.

Asimov reconnut Pietr X9, la première IA à avoir réussi l'exploit de réaliser une opération à cœur ouvert en un temps record sans aucune assistance humaine. Pietr X9 avait cessé d'exister au siècle dernier, mais la plupart des robots mettaient un point d'honneur à cultiver le souvenir de sa réussite. Une fierté pour la caste des IA.

Ce petit tour de salle avait quelque peu calmé les circuits d'Asimov, qui percevait sans mal les effets bienvenus du refroidisseur faire leur œuvre près de ses processeurs.

Tout irait bien.

Sa très chère Clémentine Myrtle, déjà installée dans un fauteuil face à la scène, comptait sur lui et il ne devait pas la décevoir. Le docteur Meitner était une femme de science que l'on prenait bien souvent pour une « vieille folle ». Elle n'avait de docteur que le titre. Aucun établissement prestigieux n'avait eu la présence d’esprit d’accepter un cerveau d'une intelligence rare rivalisant avec les QI les plus élevés des bancs de la Grande Faculté des Sciences.

Asimov reçut soudain une série de zéro et de un qui fusa en quelques nanosecondes jusqu'à son calculateur de mémoire d'apprentissage. « Sentiment d'injustice » s'ajouta à sa base de données.

Ses mécanorécepteurs s'activèrent ensuite lorsque quelque chose saisit l'un de ses quatre bras.

Asimov fit jouer ses rouages afin de ne tourner qu'une partie de son corps vers l'humain ou le robot qui l'importunait… Un robot, en l’occurrence.

« Poli : bonjour Asimov, je suis heureux de te voir ici. »

Le créateur de cette IA à la tête insectoïde l'avait doté d'une sacrée paire de cordes vocales synthétiques. Ce Bon Vieux Shelby – c'était son nom complet, fit frémir ses antennes pour ponctuer sa phrase éructée du fin fond de ses cylindres phonographiques qui avaient visiblement besoin d'être graissés.

La création du docteur Meitner, elle, lui envoya des signaux lumineux pour le saluer à son tour. Clémentine Myrtle avait réellement fait du bon travail sur Asimov… Mais elle ne lui avait pas donné la parole.

« Sarcastique : es-tu prêt à concourir contre le Picasso des IA ? »

Nouvelle série de signaux lumineux.

« Amical : ne t'inquiète pas, Asimov. Tu as quand même toutes tes chances de gagner. Confiant : je pense atteindre le haut du classement, cette année. »

Asimov effectua des gestes vagues de ses quatre bras.

« Amical : oui, c'est ta première fois. Ne te laisse pas impressionner par le jury et tout se passera bien. Excité : notre heure de gloire a sonné ! »

Ses antennes frémirent une nouvelle fois. Ce Bon Vieux Shelby souhaita bonne chance à son ami puis se dirigea d'une « roue légère » jusqu'à la grande scène, près de laquelle d'autres robots patientaient, stoïques.

Encore une fois, si Asimov avait été humain, il aurait pris une profonde inspiration pour se donner du courage. Les premières semaines de son existence, Clémentine Myrtle lui avait appris la bravoure. Valeur très importante aux yeux de la scientifique amatrice, mais concept assez difficile à assimiler pour son IA. Aujourd'hui, Asimov avait envie de la remercier, car sans bravoure, sa carte mère aurait grillé depuis longtemps tant il se « sentait » nerveux.

Le concours n'était pourtant pas des plus compliqués. Chaque année, une sélection de robots se présentait devant un jury composé de peintres et de scientifiques humains qui cherchaient à dénicher les I-Artistes de demain. Les participants concourraient par groupes de cinq sur une seule épreuve : la CAI, création artistique inspirée.

Asimov avait passé des mois à faire chauffer son calculateur de mémoire d'apprentissage, absorbant jour après jour des milliers de données sur les différents mouvements esthétiques en peinture, leurs techniques, le nom des plus grands peintres de l'humanité et bien d'autres choses encore.

Pour la CAI, il avait décidé de réaliser une œuvre mêlant l'onirisme de Salvador Dali à la technique en double lecture de René Magritte et sa pipe qui n'en est pas une. Clémentine Myrtle lui avait confié, une certaine fierté dans ses yeux gris, qu'il allait très probablement faire mouche avec un choix aussi audacieux.

Les années précédentes, de nombreux candidats avaient présenté des œuvres inspirées très peu originales : pointillisme, réalisme, grandes scènes de l'histoire de l'humanité, représentations préraphaélites de la naissance des premières IA… Les robots avaient également un goût prononcé pour les peintures de paysages.

Le vivant sous n'importe quelle forme fascinait nombre des congénères d'Asimov, et cela passait par les couleurs délicates d'une nature grouillante à la sève bienfaitrice ; un monde végétal d'une fragilité émouvante pour ces robustes machines.

« Les participants du premier groupe sont priés de s'approcher. »

Une humaine en robe rouge et or assortie à la décoration de la grande salle de réception se tenait derrière un pupitre en verre. Ses mains délicates portaient une microtablette qu'elle manipulait avec dextérité. Asimov s'approcha de l'estrade alors qu'elle énumérait le nom des participants.

« J'appelle SAM III, de la créatrice Yvonne Yakamura… Ce Bon Vieux Shelby, du créateur Diego Hawking… Asimov, de la créatrice Clémentine Myrtle Meitner… »

À l'annonce du nom de la scientifique amatrice, des voix humaines et synthétiques s'élevèrent de la foule qui se calmait petit à petit tout en prenant place dans les fauteuils. Asimov serra les poings de ses quatre mains.

Aujourd'hui, il représentait celle qu'il considérait comme sa mère. Il détenait enfin l'opportunité de prouver au monde que Clémentine Myrtle Meitner avait créé le plus doué des I-Artistes. D'un pas mécanique décidé, il grimpa les petites marches menant à la scène baignée de la lumière des projecteurs et se dirigea vers le chevalet qui lui était assigné.

Grâce à Dali et Magritte, sa peinture inspirée représenterait ce qu'il possédait au plus profond de lui. Pas ses circuits imprimés ni même ses processeurs… mais son âme. Celle d'un robot doué de véritables sentiments ; de la première IA à détenir une réelle sensibilité artistique. Il était enfin prêt à révolutionner les Arts.

Pour Clémentine Myrtle. Pour la foule dardant ses dizaines de paires d'yeux sur la scène. Et pour lui : Asimov Bravoure Meitner.

Car Bravoure, c'était aussi son nom.

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