CHAPITRE 2 - Partie 2

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Pourtant, une fois plantée sur le devant de l’estrade, lorsqu’elle contempla la mer houleuse d’adolescents qui s’agitait à ses pieds, l’angoisse la reprit. Elle tenta de se rassurer pendant que ses élèves sortaient leurs affaires avec un boucan du tonnerre. Elle avait bu son café ce matin, ça voulait dire que tout allait bien se passer. Mme Breteille se plaisait à entretenir une certaine superstition du café : un cappuccino au sortir du lit, et la journée vous sourit ; un cappuccino toutes les deux heures, et c’est la journée du bonheur. Elle s’éclaircit la gorge pour réclamer le silence. Ce qui n’eut pas l’effet escompté. Ce qui n’eut pas d’effet du tout.

Son cœur serré fit un bond de soulagement quand elle vit qu’Adrien, Sarah et Stéphanie, au premier rang, l’écoutaient déjà. Presque malgré elle, Amanda leur adressa un sourire dégoulinant de tendresse et de reconnaissance. Les trois lui répondirent d’un air si conciliant qu’elle en fut vexée. Stéphanie alla même jusqu’à se retourner et à lancer :

- Taisez-vous, là ! Y a Mme Breteille qui voudrait commencer son cours !

Cette fois, Amanda dut se faire violence pour conserver son sourire et son air avenant. Une gamine de quinze ans avait plus d’autorité qu’elle. Et elle le lui faisait sentir.

C’est stupide, songea-t-elle. Stéphanie ne me fait rien sentir du tout. Elle veut bien faire. Elle est adorable. Viviane affirme qu’un bon prof se doit d’avoir le silence en 7 secondes maximum. Je dois être à deux minutes. Si je n’ai pas réussi ce matin, c’est entièrement ma faute.

Avant même qu’elle eut le temps de la contenir, sa voix s’éleva dans la salle, cristalline et stridulante :

- SILENCE !

Viviane disait aussi qu’un bon prof n’avait pas besoin de brailler. Elle avait tort. Ça marchait. Amanda émit encore un raclement de gorge, qui relevait plus du tic nerveux que de la quinte de toux. Les élèves la sondaient maintenant avec insistance. Quelques-uns affichaient un air alerte et intéressés, quelques autres arboraient un sourire narquois, mais l’immense majorité, vues leurs paupières mi-closes et leur bouche négligemment entrouverte, se contentait de diriger leur regard vers le tableau sans vraiment le voir.

Finalement, Amanda préférait lorsqu’ils faisaient beaucoup de bruit. Ça lui évitait cette impression d’avoir toute l’attention. Logiquement, avoir toute l’attention, c’est ce qu’un prof voudrait. Et pourtant, elle n’arrivait pas à s’y faire. Un bruissement chuinta entre les rangées. Puis un chuchotement. L’attention repartait. Amanda lança en tentant de masquer son désespoir :

- Aujourd’hui, j’ai prévu une activité sur les volcans.

Puis, prise d’une inspiration soudaine, elle ajouta :

- Formez des binômes, vous avez une heure. C’est ramassé et noté.

Amanda l’avait remarqué tout-de-suite, la 3ème A était une classe de bosseurs. Il était difficile de capter leur attention, mais une fois plongés dans le travail, on ne les entendait plus. Leur imposer un devoir noté était la meilleure façon d’avoir la paix tout en restant efficace. Même si « avoir la paix », c’était beaucoup dire. Viviane affirmait, et pour une fois, Amanda ne pouvait qu’approuver, qu’un prof se devait d’avoir toujours un œil sur sa classe, même absorbée dans un contrôle. L’enseignant devait montrer l’exemple, et déplier son journal pendant que ses élèves travaillaient était presque la pire image qu’il pouvait donner de lui-même. L’insulte suprême, l’aberration absolue, c’était qu’il sorte de la classe. Ainsi, Amanda s’appliquait à garder sur les rangées un œil discret mais affuté.

Encore une chose que Viviane lui avait apprise, c’était qu’une tête baissée, éclairée d’une lumière bleutée, signifiait téléphone portable. Un bon prof se devait de repérer et de saisir le téléphone en moins de 9 secondes. Ainsi, en devinant l’occupation de Megan Bishop, assise avec Martinot à l’arrière de la classe, Amanda galopa jusqu’à sa table, tendit la main et énonça d’une voix grave et ferme :

- Ton portable, je te prie.

- Mais je ne faisais que regarder l’heure ! se défendit Megan en levant les bras.

Excuse classique, dont la réplique lui venait aussi de Viviane :

- Tu mettais beaucoup de temps, pour regarder l’heure. Ton portable, répéta-t-elle en agitant les doigts sous le nez de son élève.

- A ta place, jamais je la laisse prendre mon phone ! s’indigna Martinot.

- Tu n’as rien à voir là-dedans, rétorqua Mme Breteille, la main toujours tendue. Megan, donne-moi ton portable immédiatement.

D’un seul coup, la salle était devenue étrangement silencieuse. Amanda sentait les regards des autres élèves cribler sa nuque. Elle surprit même un « Mais elle abuse ! » chuchoté juste dans son dos. Une goutte de sueur glacée coula le long de son dos. Ça la démangeait. Mais Amanda avait le drôle de pressentiment que se gratter le dos maintenant entamerait sérieusement sa crédibilité.

Finalement, dans un soupire éloquent et dramatique, Megan lui tendit son téléphone. Amanda la remercia, même si c’était ridicule dans cette situation. Sans un mot de plus, de peur qu’il soit incongru, Mme Breteille remonta la salle de classe jusqu’à son bureau. Seulement lorsqu’elle fut en sécurité derrière son bureau, elle lâcha :

- Il vous reste vingt minutes.

A la fin du cours, alors qu’Amanda feuilletait distraitement les copies toutes chaudes en attendant que les derniers élèves quittent la salle, une voix hargneuse cracha :

- Vous me rendez mon téléphone ?

Mme Breteille leva les yeux, pour découvrir une Megan droite et tendue comme un piquet.

Megan Bishop était une jeune fille mince et gracieuse, qui répondait avec exactitude et perfection aux critères de l’adolescente de collège. Sans pour autant être d’une beauté tapageuse et extravagante, c’était une jolie jeune fille, au visage nivéen, lisse et lilial. Ses cheveux châtains étaient tirés en un chignon négligé à l’arrière de son crâne, dont quelques mèches retombaient sur son front large où palpitait une veine. Ses yeux flamboyaient de colère et elle fronçait son nez avec arrogance. Ses pommettes étaient rouges de fureur. Ses dents baguées grignotaient nerveusement ses lèvres pulpeuses, aux gerçures enfouies sous une couche de gloss.

Maintenant que le cours était fini, il semblait à Amanda que son assurance et son autorité s’évaporaient lentement mais sûrement. Elle bafouilla :

- Te… Te rendre… Pardon ?

- Vous m’avez confisqué mon téléphone, vous vous rappelez ? aboya Megan avec un sourire moqueur. Je vous demande donc si vous comptez me le rendre.

C’était bien ce que Mme Breteille avait cru comprendre. Malheureusement.

- C’est que… bégaya-t-elle. Tes parents sont supposés aller le chercher chez le principal…

- Vous plaisantez ?

Le visage de Megan ne reflétait plus aucune trace de raillerie. Au contraire, la furie semblait sur le point de sauter au cou d’Amanda, et pas pour l’étreindre.

- Je suis désolée, mais c’est comme ça, asséna Mme Breteille, essayant de mettre au plus vite un terme à la conversation.

Pour donner davantage de poids à ses paroles, elle ouvrit le tiroir de son bureau, et y jeta le portable, qui atterrit sur un paquet de copies.

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