Un altruisme hypocrite reste-t-il altruiste ?

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Une hypocrisie altruiste aurait été bien plus louable.

Éric est un jeune homme, la trentaine. En tant que fils de comte, il est voué à appartenir aux hautes sphères, à côtoyer la bourgeoisie, toute sa vie durant. Cependant, il se consacre aux autres, menant de multiples campagnes d'aide pour les familles défavorisées du continent africain, notamment. Des actes honnêtes et désintéressés à priori, mais qui révéleront sous peu leur véritable nature.

Ils allaient bientôt atterir. Dix heures, Afrique centrale. La population la plus pauvre de la région, voire du continent entier.

Ses collègues commençaient déjà à décharger et distribuer les vivres et les médicaments. Il alla leur prêter main forte. Mais alors que tous les habitants se ruaient sur les sachets de nourriture, de remèdes et sur les bouteilles d'eau, Éric aperçut un enfant s'éloignant avec trois sachets et deux bouteilles. La direction de l'association avait été claire : pas plus d'une bouteille et un sachet par personne. Il rattrapa le fugitif et l'interpella.

-Qu'est-ce que tu fais avec ça ?

Pas de réponse. Il ne comprenait pas le français, et le comte ne connaissait pas le dialecte local.

Il lui arracha les suppléments. L'enfant se mit à pleurer et courut se réfugier dans une maison, non, un taudis, à quelques pas d'Éric. Celui-ci hésita, piétina sur place quelques instants avant de se décider et d'entrer. Il y régnait une odeur de sale, un mélange de terre, de sueur et de linge sec. La chaleur était infernale, au point que le citadin crut suffoquer, avant de s'habituer, tout doucement, à cet état. Une grand-mère couverte de plaies et d'impuretés cousait un immense châle blanc, seul élément propre et immaculé dans l'unique pièce de l'abri. L'enfant se cachait derrière elle, son ventre gargouillait. Si ce garçon avait des parents, ils n'étaient visiblement pas présents. Il voulut engager la discussion avec cette vieille dame, et le français ne pouvant fonctionner, il essaya l'anglais :

  • Bonjour, je suis là pour vous aider. Je voudrais simplement savoir où sont les parents de cet enfant ?
  • Au travail, évidemment. Ils doivent bien faire manger le petit, c'est pas comme en Occident ici. On doit s'acharner sans relâche dans les mines ou dans les champs, tous les jours, du petit matin jusqu'à la nuit tombée, pour pouvoir subsister...
  • Très bien, je vais donc m'adresser à vous, déclara le comte, sans la laisser finir. Sachez que ce qu'a fait ce garçon est impardonnable, et passible de prison ferme. J'espère que vous saurez mieux l'éduquer, à l'avenir.

Le bourge s'en retourna, et lâcha d'un air manifestement satisfait et sûr de lui :

  • À la revoyure !
  • Pour qui te prends-tu, jeune insolent aux manières hautaines et outrageuses ? Une famille comme la nôtre n'aurait-elle pas le droit de vivre, selon toi? Crois-tu que l'abondance dans laquelle tu as grandi suffit pour nous être supérieur ? Si votre civilisation te ressemble, j'aime autant rester ici à m'étaler dans ma misère. Tu cours à ta perte, idiot.

Sa réplique le figea sur place. Une pensée le traversa, de part en part, comme un couteau glacé remettant en cause toute l'existence qu'il avait menée jusque là. De quel droit un homme blanc et aisé, préservé de la famine, la guerre, la mort, la misère et le racisme, pouvait-il réprimander un enfant ayant vécu chacunes de ces atrocités ? Il se força à marcher, ravalant sa salive. Son corps paraissait fonctionnel, sa tête était en vrac.

Il rejoignit ses congénères.

  • Ça va, Éric ? lui demandèrent-ils, en voyant la tête troublée de leur ami.

Nénamoins, au lieu de leur répondre, il se retourna, et contempla une fois encore la cahute. Un homme semblant épuisé et à deux doigts de s'évanouir y pénétra, un beau pain sous le bras. Il ressortit moins d'une minute plus tard et repartit dans la direction opposée à celle de son arrivée, un infini désespoir se lisait sur son visage, même à vingt mètres. Le petit de tout à l'heure, à l'estomac gargouillant, pouvait enfin se rassasier en paix, dans leur étroit cabanon.

Une larme coula sur la joue du comte Éric, puis deux, puis trois. Son altruisme n'était, en fin de compte, qu'un moyen de s'afficher comme bon et bienveillant. Pour briller auprès de mesdames et messieurs les privilégiés. Il se dégoûtait lui-même.

Il était un altruiste, le plus hypocrite de tous les altruistes.

Une fausse aide, une abnégation jouée

Ce coup de main n'était-il pas vain,

Si dépourvu de sincérité ?

Alors grandes dames et puissants seigneurs, posez donc vos verres de vin

Et expliquez-moi pourquoi ce cœur pur

A-t-il sombré dans le mensonge, est devenu impur ?

J'ai la réponse. Vous, élite de la société,

Avez-vous jamais eu l'envie d'aider ?

Une hypocrisie altruiste aurait, elle au moins, permis

D'apercevoir une lumière, sans derrière le moindre ciel gris.

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