3 - Lieu

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Proposition :

Décrire un lieu.

En face du parc se tient l’imposante bâtisse. Ses pierres sont noires de fumée, brûlées par le souffle de la ville. De l’époque napoléonienne, elle en a gardé le côté martial. Implacable. Inébranlable. À ses côtés, je me sens écrasé. L’entrée ne semble pas à hauteur d’homme. Lorsque j’en franchis le seuil, le drapeau tricolore claque comme un avertissement.

Le hall me dévisage. Il me juge du haut de ses hauts plafonds. Ai-je mérité de me retrouver là ? Une lourde plaque commémorative honore les soldats disparus. Ils n’avaient pas vingt ans. Comme moi. Derrière sa vitre en verre, le gardien vérifie mes papiers. Il me regarde avec méfiance. Je travers la cour d’honneur. Les géraniums qui y pullulent y sont comme autant d’insultes. Ce lieu n’a rien de bucolique ! Dans ses appartements, surplombant l’espace en fleurs, je sens le regard du directeur. Il saura me redresser. Faire de moi un homme de valeur. Un homme respectable. Un homme, déjà, ce serait bien. On me pousse vers la grande cour, encerclée de murs et de passerelles. On n’y voit plus l’extérieur, disparu derrière les pierres. Je ne suis pas seul ici. D’autres comme moi attendent leur internement. On nous fait entrer dans une salle trop petite. Elle est usée jusqu’à la moëlle. Son plancher craquèle. Ses murs s’émiettent. Bientôt, c’est moi qui serai usé. Je deviendrai à son image. Une lourde carapace à l’extérieur, rongée à l’intérieur.

Ils épluchent nos dossiers, sourient d’un air entendu, inspectent nos paquetages, mettent de côté les cigarettes. J’aurais pourtant bien fumé une clope. Depuis que j’ai franchi son seul, la machine à broyer est en marche. Oublie le plaisir. Oublie la joie. Oublie l’amour. Oublie ton passé, il n’est plus que souvenirs. On est ici pour te reconstruire et pour reconstruire, il faut détruire. Un à un, on nous appelle. Enfin, mon nom arrive. Il sonne comme un matricule. On me presse dans des couloirs sans fin, aussi sombres et profonds qu’une mine. Mes pas résonnent comme les douze coups d’une fin de vie.

Une porte s’ouvre. J’entre. Elle se referme. La pièce est sombre. La peinture sur les murs est striée des graffitis des anciens occupants. Je m’installe près de la fenêtre, cherchant la lumière. À quelques mètres, la voie ferrée. Soudain, un train surgit du néant, dans un rugissement dément. Les murs se mettent à vibrer et c’est mon âme qui tremble ! Que le monstre d’acier me libère ! Mais la bâtisse persiste et signe.

C’est l’heure de la douche, commune, cela va de soi. C’est un endroit sordide, aux murs jaunes décrépis tapissés de moisissures. Le carrelage est marqué de tâches indélébiles. Je n’ose poser le pied à terre. La pièce n’est pas chauffée, peuplée de courant d’air et je me sens frissonner. La douche émet un timide liseré d’eau tiède. Pas plus qu’un chuchotement. Après ma toilette, je me sens sale et ce ne sont pas les regardes des autres qui me rassurent. Suis-je donc comme eux ? Apeuré, telle une bête acculée ?

On nous presse, il est temps de manger. Sous les néons blafards, j’entre dans le réfectoire. Ça crie. Ça gueule. Ça rit parfois. Les bruits de gorge y sont légion. D’un geste brusque, on remplit mon écuelle. Une odeur de lard, grasse et poisseuse, s’en dégage. Je ne peux pas manger ça ! Impossible ! Et pourtant, bientôt, tiraillé par la faim, ces effluves raviront mes narines. Devant mon dégoût, mon voisin s’enhardit et pioche dans mon assiette. Je la lui laisse volontiers. Les bruits m’abrutissent et monte la migraine.

Retour en cellule. Sur mon matelas usé qui en a vu passer bien d’autres, je laisse couler mes larmes. Ici est ma pénitence ? Mais pour combien de temps ? Deux ans ? Trois ans ? Cela dépend de ma bonne conduite, m’ont-ils dit. D’un souffle, les lumières s’éteignent. Extinction des feux.

Aujourd’hui, j’entre en prépa.

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