L'homme heureux

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Il était une fois un homme heureux. Il avait épousé une Arlésienne, construit des châteaux en Espagne et avait été le premier homme à s’approcher d’une comète. Il suscitait l’admiration de tous car chacun reconnaissait en lui ses aspirations personnelles ; pour les rêveurs il parlait aux étoiles ; pour les amoureux il était un passionné ; pour les romantiques il était mystérieux.

Et pourtant, il y avait chez lui une pièce obscure dans laquelle il était le seul à oser s’aventurer, et seulement une fois par semaine. Une fois par semaine, il allait dans la chambre noire, et y restait plusieurs heures. Ce qu’il y faisait, personne ne le savait et ne le sut jamais ; on savait seulement qu’il en sortait le teint livide, les yeux hagards, avec l’expression de souffrance la plus forte, mais aussi avec un léger sourire au coin. Il en ressortait faible et mettait chaque fois plusieurs heures à s’en remettre.

C’était de ces choses que tout le monde sait et dont personne ne parle ; tout au plus cet indicible existait à travers des regards entendus et des changements de sujet éloquents.

Vînt un jour un jeune homme un peu différent ; il avait les traits fins, la silhouette svelte et la peau diaphane ; il souriait rarement et parlait peu. Il assistait l’homme heureux dans ses travaux de recherche sur les comètes. Un été, les locaux du laboratoire de recherche furent fermés pour travaux ; parce qu’il souhaitait approfondir ses travaux, l’homme heureux invita le jeune chercheur à passer quelques semaines chez lui. Celui-ci en fut honoré car il admirait comme tous l’homme heureux ; comme il restât 3 semaines, il put largement observer le manège de l’homme heureux. La première fois, bien qu’il fût troublé par l’expression si inhabituelle de son professeur lorsqu’il sortit de la pièce, il conclut à une faiblesse passagère. La deuxième semaine, il fut intrigué de revoir exactement les mêmes expressions sur le visage de l’homme heureux ; cette vision fut d’autant plus marquante qu’elle raviva tous les rêves de ce visage qu’il avait eus la semaine précédente et oubliés, créant en lui un malaise. Il se jura alors de chercher à en savoir plus si cela devait se produire une troisième fois et passa la 3e semaine de son séjour à réfléchir à une explication possible aussi bien qu’à une manière d’amener le sujet. Cependant il avançait sur ses recherches, et le samedi de la dernière semaine de son séjour, alors qu’il avait décidé de travailler pour explorer jusqu’au bout les idées qu’il avait eues, il sortit brusquement de la petite pièce éclairée par la douce lumière d’un matin d’été qui avait été mise à sa disposition comme chambre et bureau. Il se rendit sur la terrasse, où, l’ayant observé plusieurs fois profiter de la vue qui donnait sur la montagne, il pensait trouver le professeur ; il n’y trouva que sa femme.

« Avez-vous vu le professeur ? J’aimerais lui faire part d’une idée ? ». La femme du professeur fut prise au dépourvu car elle avait rarement vu l’étudiant aussi rayonnant. Peut-être fût-ce à cause de sa surprise, de celles qui bouleversent l’ordre des possibles, mais, plutôt que d’éviter le sujet et ainsi une conversation banale et stérile comme elle avait pris l’habitude de le faire, elle répondit simplement :

« Il est allé se ressourcer comme il le fait d’habitude dans sa chambre noire. Il devrait sortir d’une minute à l’autre. »

L’étudiant eut besoin de quelques secondes pour se ressaisir mais se lança finalement :

« - Mais que fait-il au juste lorsqu’il se ressource ?

- Vous pourrez lui demander, il vous expliquera mieux que moi. »

Juste à ce moment, le professeur fit son entrée sur la terrasse :

« Je m’efforce à être seul et à m’abandonner au doute et à l’impuissance.

Je suis extrêmement bien entouré et chacune de mes décisions me réussit. J’ai la richesse de pouvoir travailler autant que je le souhaite mon entourage respecte mon travail et le valorise, et dès que je le souhaite, je trouve la joie de conversations inspirantes et bienveillantes. C’est selon moi toute la richesse qu’un homme peut désirer, et ma situation est enviable en tous points. Cependant un jour un étudiant qui te ressemble en tous points m’a expliqué qu’il pensait que le bonheur véritable ne se trouve que dans le mariage avec le vide, la solitude et l’impuissance, car ce sont les trois plus grandes peurs de l’homme. Il ne s’agît ni de les fuir, ni de les combattre éperdument, ni de s’y résoudre avec fatalité, simplement d’en reconnaître l’existence. Alors, une fois par semaine, je m’efforce de passer seul quatre heures, de me convaincre que rien ni personne ne m’attend à l’extérieur, de n’apporter rien d’autre que du papier vierge et un crayon et de m’imposer des défis physiques impossibles. C’est extrêmement épuisant car j’essaie toujours de remplir au plus mes journées, mais j’espère pouvoir vivre quelques heures plus sereinement avec l’expérience et être alors vraiment heureux. »

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