8. Alexis

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Alexis en ferait sûrement une blague, on rigolerait un peu et on n'en reparlerait plus.

Quand Roxane prononce ces mots, ma première réaction est de secouer la tête. Non, Sam, bien sûr que non. J’aurais été capable de t’écouter, de t’aider.

Mais au fond de moi, je sais qu’il a raison. Dans la bande, j’ai toujours été celui qui ne prenait rien au sérieux. Je tourne nos problèmes au dérisoire, pour les rendre moins importants, les oublier un instant, sans oser les affronter. Je ne sais pas faire face à la réalité. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai commencé à fumer. Je ne suis pas capable de supporter le chagrin, la douleur, et tout ce qui est susceptible de me blesser.

Je me sens aussi super égoïste… Quand Alex me parle de son père par exemple, je sais qu’il est mal, mais je ne sais jamais quoi lui dire sans faire le rapprochement avec mes propres émotions.

Il se trompe. Se trompait. Il n’a jamais été égoïste, pas une seule fois dans sa foutue vie. C’est moi qui parlais de mes problèmes sans me douter qu’il allait mal, il ne peut pas avoir ressenti ça. C’est lui qui aurait dû parler, et moi qui aurait dû écouter. L’hypothèse de son suicide me revient en pleine face, et s’il avait vraiment mis fin à ses jours parce qu’il se sentait seul ? Je sais que l’anxiété me rend complètement parano, mais j’ai soudain l’impression de porter tout le poids de sa mort.

Mon cerveau se met à vrombir, bourdonnant comme dans une ruche, et je n’arrive plus à avoir les idées claires.

Les derniers jours idylliques que je viens de passer s’effacent et je retrouve le vide familier qui m’a tenu compagnie toute cette année. L’air me semble brûlant autour de moi. J’ai la nausée, ma peau devient moite, j’ai besoin d’air.

Je lève les regards vers mes amis, la tête lourde. Ils ont l’air inquiet.

En es-tu digne ? murmure une petite voix dans ma tête.

La chaleur qui m’entoure est irrespirable et m’empêche de réfléchir. Je dois m’éloigner d’eux. Du carnet. J’ai besoin de sortir. J’ai envie de fumer.

Ils avaient raison, tu es une épave, continue la petite voix.

Les jambes flageolantes, je me lève du canapé pour me précipiter dans ma chambre, à l’étage.

Tu ne les mérite pas.

J’entends la voix de Roxane me demander où je vais.

Tu ne la mérite pas.

Je cligne les yeux pour empêcher les larmes de couler, mais ça ne fait qu’empirer les choses. J’ai chaud, et mes larmes me brûlent les yeux.

J’ouvre la fenêtre de ma chambre et m’assois sur le matelas nu de mon lit. Je retire mon t-shirt, je suis en nage.

Une épave.

Les larmes coulent sur mes joues. Je suis désespéré et je fais pitié, mais je m’en fous.

J’attrape mon sac et en sors de quoi rouler un joint, les mains tremblantes. J’en fous partout, mais une nouvelle fois, je n’en ai rien à faire. J’ai été naïf de croire que la vie reprendrait le même cours qu’elle avait avant la mort de Sam, quand nous étions encore cinq. Je ne pourrais plus jamais être aussi heureux que je l’étais à cette époque, parce que nous ne sommes plus que quatre.

Je tremble un peu plus à cette pensée, et la boîte que je tiens entre les mains vient s’écraser à terre, projetant sur le sol des miettes de tabac et de beuh.

_ Putain ! je crie, d’une voix secouée par mes pleurs.

Mon cri me ramène à la réalité, je me rends compte à quel point j’ai l’air pathétique, et la voix de Roxane parvient à nouveau à mes oreilles, paniquée.

« Alex ! Alex, calme-toi. Tu as dit que tu arrêterais, s’il te plaît. »

Je tourne la tête vers elle, m’apprêtant à lui hurler toute ma rage sans me soucier de ce qu’elle ressent, mais je tombe sur son teint pâle, et son air effaré qui accentue un peu plus sa maigreur.

Nous sommes tous brisés.

Elle pose un genou sur le matelas, juste à côté de moi, et pose ses mains froides sur ma peau moite et brûlante.

_ Alex, calme-toi.

Je la regarde droit dans les yeux, si foncés que sa pupille se fond dans son iris. Je sens mes larmes mouiller ses mains.

_ Qu’est-ce qui se passe ?

Elle pose son front contre le mien, et sa fraîcheur m’apaise un peu. Comment peut-elle penser que je suis capable d’aller mieux ? Un sanglot me secoue, et elle me prend dans ses bras.

_ Je n’y arriverai pas, Roxane.

Ma voix se brise et elle me serre un peu plus fort.

_ Mais si. Ensemble, petit à petit.

_ Non, j’en suis incapable. Je supporte rien de tout ça, je peux pas. Et déjà… déjà avant, il l’a dit. Je ne sais pas vous écouter. Je n’arrive pas à…

_ C’est faux, Alexis.

Sa voix est dure, mais dénuée de méchanceté.

_ Il n’a pas dit ça, tu le sais. Le croire te donne simplement une excuse pour baisser les bras.

Je me crispe. Je ne pensais pas qu’elle réagirait comme ça.

_ Ecouté, Alex. Je t’aime. On t’aime. Tous les trois, tous les quatre. Et on a besoin les uns des autres. On a besoin de toi. Sam a simplement dit que tu allais mal et qu’il avait le sentiment de ne pas pouvoir t’aider, pas l’inverse. Mais est-ce que tu lui en veux de ne pas avoir trouvé de solution pour toi ?

Elle marque une pause, son regard droit dans le mien, avant de reprendre, un ton plus bas :

_ Non. Parce qu’il est l’un des Cinq. On était quatre à pouvoir l’aider, et on est quatre à n’avoir rien vu, ce n’est pas de ta faute. Si tu compte te faire du mal pour ça, autant nous en faire à nous aussi.

Elle désigne d’un geste vague le bordel que j’ai répandu dans la chambre avant d’ajouter :

_ Tout ça ne t’aidera pas à aller mieux, mais nous, peut-être que si.

Son pouce vient se poser sur ma joue pour y essuyer une larme, et je suis soulagé de ne lire aucune trace de dégoût ou de pitié sur son visage.

Elle pose son deuxième genou de l’autre côté de mon corps, pour pouvoir s’asseoir sur les miens et me serrer contre elle. Je la sens si frêle, si fragile dans mes bras, elle semble être sur le point de se briser en mille morceaux. Pourtant, je sais qu’elle est mille fois plus forte que moi. J’inspire un grand coup, respirant son parfum dans le creux de son cou, et grave cette odeur dans ma mémoire, au cas où je finirais par la perdre, comme Sam.

_ Je t’aime, je murmure.

Je sens ses lèvres former un petit sourire sur ma peau, et ce mouvement finit quasiment de m’apaiser.

J’ai peur de ne jamais aller mieux, mais j’ai confiance en elle. Je ne suis pas assez con ou niais pour la considérer comme ma nouvelle drogue, mais ce n’est même pas le cas. Je n’ai pas une envie malsaine d’être à ses côtés pour oublier toute la merde qu’on a vécue, mais je veux qu’elle soit avec moi quand j’affronterai tout ça. C’est ce qu’aurait voulu Sam, et c’est ce que veulent les Cinq. Et je le ferai. On le fera, ensemble.

Je scelle cette promesse en posant mes lèvres humides contre celles de Roxane.

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