7. Constance

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La crème solaire laisse des traces huileuses dans l’eau claire alors que je m’y plonge jusqu’aux épaules. Cet endroit a un avant goût de paradis, Sam ne disait pas ça uniquement pour nous rendre jaloux. Je penche ma tête en arrière, rafraîchissant ma nuque et mouillant le bout de mes cheveux. Contrairement à Roxane, je ne suis pas fan des plongées sous marine, ni de l’eau en général quand elle dépasse mon menton. Elle n’a aucun problème à ouvrir les yeux dans l’eau salée, appréciant le calme et l’apesanteur qu’elle y trouve, mais je n’ai jamais vraiment compris ça : tout ce que j’y trouve moi, c’est le stress de ne plus pouvoir respirer et les yeux rouge et irrités en remontant. Mais sa capacité à s’apaiser sous l’eau m’a toujours impressionnée, et c’est sûrement en partie pour ça que j’aime tant aller à la plage avec les Cinq.

Rafraichie et détendue, je ferme les yeux et laisse le soleil réchauffer mon visage, imaginant ses rayons brûler doucement les cellules de la peau de mes joues, de mon front, de mon nez. Soudain, on me tire sur le côté par le bras, m’immergeant au passage. Je ressors ma tête de la surface de la mer en vitesse, les sourcils froncés alors que je recrache l’eau salée que j’ai avalée. J’arrache mon bras de la poigne de Clément, prête à lui faire la morale et à me venger, mais il paraît impatient et surexcité, pas le moins du monde inquiet pour mes pauvres poumons pleins d’eau, alors j’oublie le goût salin que l’eau a laissé sur ma langue pour lui demander :

_ Quoi ?

Il me prend par les épaules sans douceur et me fait faire un demi-tour pour que je regarde dans la même direction que lui :

_ Regarde, regarde !

Alex et Roxane semblent encore plus proches qu’ils ne l’étaient alors qu’ils regardent des photos sur l’appareil d’Alex, l’un contre l’autre. Un sourire se dessine sur mes lèvres quand je vois Alex poser l’objet pour embrasser les cheveux de Rox qui semble rougir, souriante. Je l’ai déjà vue avec des garçons, tout comme j’ai déjà vu Alex avec des filles, mais leur relation à ces deux là semble bien plus naturelle : elle coule de source, les aidant à se réparer mutuellement. Je ne ressens plus aucune once de jalousie de les voir se rapprocher : maintenant que nous reformons un groupe, je ne veux que leur bonheur, et je me rends compte à quel point c’était égoïste de leur en vouloir d’essayer d’aller mieux ensemble. Alors que je suis encore dans mes rêveries, Clément leur crie quelque chose, ce qui lui vaut un doigt d’honneur amusé de Roxane et un rire d’Alexis. Sans chercher à comprendre ce qu’il vient de dire, je le réprimande d’une tape sur l’épaule, bien plus haute qu’à l’époque. Il se frotte à l’endroit de mon coup sans réagir, habitué, et me dit avec un grand sourire fier :

_ Je le savais. J’en étais sûr !

_ N’importe qui pouvait le deviner, il suffisait de les regarder.

Il m’éclabousse en tirant la langue et je l’imite.

_ Et dire qu’hier à la même heure, on s’ignorait, dis-je en soupirant.

Il hoche la tête et lève son poignet pour consulter sa montre imaginaire :

_ Et dire que dans dix heures, hier, on s’engueulait à en faire trembler les murs.

_ C’est trop bizarre.

_ M’en parle pas.

Ce serait un mensonge de dire que je n’aurais jamais pensé que ça finirait ainsi, parce qu’au fond de moi, je l’espérais chaque jour plus fort que tout. Nous n’avons plus exactement les mêmes rapports qu’avant, et il y aura définitivement un manque parmi nous, mais nous sommes redevenus les Cinq, et c’est le plus important. Certes, je ne suis plus aussi proche d’eux, plus aussi complice avec Alexis, plus aussi fusionnelle avec Roxane, et je ne pourrai pas reprendre ma relation avec Clément là où nous l’avions laissée, mais c’est peut-être mieux ainsi. Du moins, pour le dernier point.

Clément et moi nous chamaillons encore quelques minutes, laissant nos deux amis vaquer à leurs occupations sans les déranger.

Quand le soir tombe et que l’air rafraîchit, nous sortons de l’eau et rentrons tous les quatre dans la grande maison, récupérant les hauts de pyjama trempés des garçons.

Alors que je reviens de la salle de bain, les cheveux encore mouillés de ma douche, Alexis annonce :

_ Je vais faire à manger !

Nous nous tournons tous vers lui, sceptiques.

_ Tu sais faire ça ? demande Clément, le regard rieur.

Alexis lui fait une grimace avant de répondre :

_ J’ai faim, je me dévoue pour vous aussi.

_ Hors de questions que tu fasses des sandwiches, on en a mangé toute la journée.

Il lève les yeux au ciel, comme si cette idée ne lui avait même pas traversé l’esprit et brandit un paquet de chips – la base de son alimentation – dans sa main.

_ Je vais faire à manger, ça sera mieux pour nous tous. T’as qu’à m’aider.

Il soupire en reposant son paquet, et je le suis dans la cuisine alors que nos deux amis se battent pour choisir le programme télé. J’ouvre le frigo pour en sortir de quoi faire une salade et Alex me regarde avec une mine désabusée :

_ Tu veux ma mort ?

Il pose ses yeux sur les tomates avec un air dégoûté et je ris. Alex a toujours été celui qui mange le plus et surtout le moins bien, et pourtant il a toujours été fin.

_ T’inquiètes, tu mangeras que les toasts au chèvre.

_ S’il le faut.

Il soupire d’un air théâtral et je secoue la tête en lavant les tomates. Au lieu de m’aider, Alexis ouvre le frigidaire avant de lancer :

_ Beurk. On ira faire des courses. De toute façon, j’avais pensé à acheter des sorbets pour Roxane. Elle adorait ça, avant, et comme elle fait plus de crises en ce moment, ça pourrait lui faire plaisir.

Je souris, attendrie. Il a toujours été gentil et attentionné, mais il n’est pas celui qui fait le plus attention aux petits détails, c’est plutôt le genre de Clément. Alors que je me dis qu’il doit vraiment tenir à elle, il surprend mon sourire et me jette le torchon à vaisselle en grimaçant, gêné comme il l’est rarement.

_ Vous avez l’air bien, tous les deux, dis-je en donnant un coup de tête vers le salon pour désigner Roxane qui défend Titanic avec ferveur.

Il hoche la tête, et séchant une tomate, et je le regarde, heureuse pour lui.

_ Si tu veux aller plus loin, fonce. Ca ne changera rien à notre amitié, on a connu pire.

Il me regarde et sourit, et finit par dire après quelques secondes :

_ J’arrive pas à comprendre pourquoi ça a pas toujours été comme ça, avec Rox. Je l’ai toujours aimée, je crois, mais c’est différent. Et si ça redevenait comme avant ? Si elle se rendait compte que c’était juste une phase ?

_ Dans tous les cas, vous aurez essayé. Vous avez tous les deux changé, ça deviendra jamais exactement comme avant.

Il hoche la tête et me donne un coup d’épaule complice, pour rendre moins grave le ton de cette conversation. J’ai toujours adoré Alexis, mais à part lors du divorce de ses parents, nous n’avons jamais vraiment parlé sérieusement seule à seul.

Nous mangeons dans une bien meilleure ambiance que ces derniers jours, nos sujets de conversations divaguant du tout au tout. Nous parlons de nos familles, de nos cours, de films, et même de Sam, sans mentionner nos nouveaux amis ou les sujets sensibles.

Clément débarrasse la table alors que nous nous installons sur la montagne de couverture et d’oreillers gisant toujours à même le sol, et quand il revient, nos quatre paires d’yeux se posent sur un même objet : le petit carnet bleu, toujours sur le canapé.

_ On continue ? je demande doucement.

J’ai l’impression de violer l’intimité de Sam chaque fois que nous ouvrons le carnet, et ça me brise le cœur de ne pas savoir s’il accepterait que nous le lisions. Il est mort, et je ne pourrai jamais l’entendre me lire de vive voix les lignes de ces pages.

Restent alors les vivants.

Nous sommes là, chez lui, son carnet entre les mains, et il semble si présent que c’est comme s’il n’était jamais parti. Je soupire, sachant que malgré la pointe de culpabilité qui me saisit quand j’ouvre ce carnet, les mots de mon meilleur ami me font aussi beaucoup de bien, et m’apporteront même peut-être les réponses que j’attends.

Personne ne répond, et nous nous regardons les uns après les autres, hésitants.

_ Ou on peut regarder Titanic, lance Alexis, tentant de détendre l’atmosphère.

Je souris, et Clément se lève pour prendre le petit journal, l’air décidé :

_ Il pouvait tout nous dire, non ? On s’arrêtera si on sent qu’on n’a pas à aller plus loin. Après tout… Peut-être que c’était vraiment le destin qui a fait que ce carnet s’est retrouvé dans ton sac ? Peut-être que ça nous aidera ?

Nous hochons vivement la tête, d’un même mouvement, et Clément prend une grande inspiration en ouvrant le carnet là où nous nous étions arrêtés. Nous nous rapprochons de lui, et il commence :

_ Cher journal…

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