Au revoir Marcelline...

 …Huit, sept, six, cinq. Je vous l’avais dis, il fallait pas hésiter à mettre la dose ! Ça ne fonctionne pas sur moi votre produit. Je le savais bien. Une vielle grand-mère de la campagne comme moi, qui a vécu à la dure depuis si longtemps, c’est pas quelques gouttes de votre liquide blanc qui va m’assommer !

Tiens il n’y a plus personne? Et les tuyaux, le masque à gaz et tous ces toubibs qui marchaient partout? Ils sont où ? Tous disparus !?

Et je suis où là ? Il fait drôlement bon ici. Et je n'ai plus mal, je n’ai plus froid comme tout à l’heure sur la table. C’est étrange ça, c’est comme si je flottais. Oh là là ! Ma pauvre Marcelline ! Mais si ça se trouve tu y es passée !

Et ben, c’était ta première opération : une prothèse de hanche! Il a fallu attendre d’avoir 86 ans et de glisser dans la cour de la maison pour découvrir l’hôpital pour la première et la dernière fois !

Il a dû y avoir un problème? Mon vieux cœur qui a dû lâcher ? Ou alors ils se sont trompés dans les doses, c’est déjà arrivé ça, ils l’ont dit au journal !

En tout cas ça ne ressemble pas à ce qu’on nous apprenait au catéchisme :

pas de nuage, pas de belle porte dorée et pas de bon dieu barbu. Rien de tout ça.

C’est un charmant endroit ici, de belles collines bien vertes coiffées de bois de frênes, une rivière qui serpente dans la vallée, quelques maisons avec la cheminée qui fume : on se croirait au village.

Oh mon dieu ! Mais, j'y pense, ils ne sont pas au courant ?

 

Mon Pierre dans la salle d'attente qui  patiente la tête pleine de soucis : qui va l’aider à gérer la maison ?

Et les filles qui ont déjà bien assez de difficultés avec leur travail de bureau à la ville, si stressées qu'elles sont!

Et ma petite fille, ma jolie, ma douce Mathilde, et nos chocolats chauds à l’heure du goûter pendant les vacances, et nos promenades dans la campagne! Qui va lui apprendre le nom des fleurs, des arbres et des oiseaux maintenant?

Je n’ai pas eu le temps de leur dire au revoir, de les préparer à mon absence, de leur donner un dernier sourire pour qu’ils le gardent tout près du cœur pour se souvenir de leur vielle Marcelline.

 

Si il y a une vie après la mort et qu’on y est tout seul, loin de ceux qu’on aime ça ne vaut pas le coup. 

 

 

- «Ne t’inquiète pas Marcelline, tu n’es pas seule ici »

 

Mais c’est toi papa ? Et derrière toi c’est … Maman ? Et tous ces gens qui sortent du bois par le sentier là bas ? Mais alors tout le monde est là ?

 

- « Oui. Tout le monde est là. En réalité tout le monde a toujours été là avec toi sans que tu t’en rendes compte, présent en toi, relié à toi de façon imperceptible. Finalement plutôt que de dire nous sommes là il serait plus juste de dire on est là, un et une infinité en même temps. Nous nous croyons isolés et seuls, individus indépendants cherchant notre chemin dans la vie mais ce n’est qu’une illusion. Nous ne formons qu’un tout indivisible, comme un réseau immense qui rayonne du passé à l’avenir reliant tout le monde, constituant un être unique.

 

Ton mari Pierre, tes filles et ta petite Mathilde font partis de toi et tu fais partis d’eux.

Cette « fin » que tu viens de vivre ne vous sépare pas.»

 

 

 

Les médecins s’affairent en tous sens et tentent de réanimer cette vielle dame qui à fait un arrêt cardiaque pendant l’induction anesthésique. Après plusieurs dizaines de minutes d’effort, les visages se tournent vers la pendule du bloc opératoire. Il est 9h17. C’est fini.

L’anesthésiste note ses observations dans le dossier médical. Un drap recouvre déjà le corps inanimé de Marcelline.

En sortant du bloc ce médecin expérimenté, proche de la retraite, explique à un vieux monsieur et à ses deux filles « l’accident » en terme simple.

Il est calme, plein d'humanité et de réassurance. Il l'a déjà fait tellement de fois dans sa carrière. 

 

Tiens on dirait l'hôpital? Me voilà encore changé d’endroit, d'un coup ! Et ils ont tous disparu!? C'est décidément bien étrange cette vie de mort !

Mais on dirait le médecin qui me causait quand j’étais sur la table, il doit annoncer mon décès à Pierre et aux filles. J'ai tellement mal pour eux. Que c'est dur de voir les gens qu'on aime souffrir sans pouvoir apporter du réconfort.

Et voilà, il est déjà reparti. Une famille effondrée de plus, une vielle morte parmi tant d'autres! Qu'est ce que ça peut bien lui faire à lui? Il s'en fiche et passe à quelqu’un d’autre et hop !

Regardez le donc ! Le voilà qui rêvasse en regardant par la fenêtre, pas plus remué que ça par l'annonce qu'il vient de faire!

 

 

Laissant la famille à sa peine et à son deuil débutant, l'anesthésiste sort dans le couloir direction la prochaine opération.

Il s'arrête un instant devant les fenêtres qui donnent sur les jardins de l'hôpital. Un ciel bleu, quelques cumulus de beau temps, des passereaux qui pépient au dehors et la vie partout.

 

Mais on dirait qu'il regarde vers moi ? Ohé! Non il a pas l'air de me voir. Il sourit avec les yeux qui brillent ? Il va pas pleurer quand même. Je suis qu'une vielle dame, il vaut mieux que ça arrive à moi qu'à une petite comme ma Mathilde, c'est déjà plus dans l'ordre des choses!

Allez, on se secoue docteur ! Il y a plein de gens qui ont besoin de vous !

 

Même après toutes ces années, après tous ces morts côtoyés, ce n'est pas devenu une routine. Il sent l'émotion qui croise son cœur. Il laisse passer cette ombre à travers lui, comme la brume du matin qui dépose en passant quelques gouttes sur ses yeux.

Il adresse un sourire plein de tendresse à ces nuages là dehors qui s'éloignent lentement, comme il le ferait à un ami qui s'en va pour un long voyage et qu'il n'est pas sûr de revoir un jour.

 

Au revoir Marcelline.

 

 

Contemporain
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Table des matières

En réponse au défi

La vie après la mort

Lancé par ennkhala
Beaucoup de témoignages concordent quant à ce qui fut vu alors que des patients étaient sur le point de mourir, dans le coma ou mort cliniquement. Je vous propose de faire un texte sur une vie après la mort. Le style, le nombre de mots et le genre sont à votre discrétion.

Commentaires & Discussions

Au revoir Marcelline...Chapitre1 message | 8 ans

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