Chapitre 19 : Mary

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— J’ai l’impression qu’on marche depuis des heures !

— Moi aussi, Bruce, on dirait que le temps ne s’écoule pas ici. Le soleil est toujours au même endroit.

— Mis à part cette satanée brume qui ne fait qu’aller et venir ! C’est extrêmement agaçant !

Tomy poussa un petit rire étouffé.

— Quoi ?

— C’est tellement drôle quand tu t’énerves, ricana-t-il en regardant Bruce avec amusement.

— Sauf votre respect, monsieur Tomy, taisez-vous et avancez ! grommela Bruce en balançant ses petits bras d’avant en arrière tandis qu’il accélérait l’allure. Ses minuscules pattes ne lui permettaient pas de distancer Tomy aussi facilement qu’il l’aurait souhaité. Le jeune garçon le rattrapa et le souleva par la taille.

— Allez, Bruce, fait pas la tête, c’est juste pour rire, s'excusa-t-il en le déposant dans sa capuche.

— Oui, tu as raison… pardon, Tomy.

— T’es tout pardonné !

— C’est pas facile pour moi ; imagine être resté des années à ne pas pouvoir te mouvoir et que le jour où tu y parviens, tu dois t’enfuir des crocs d’un monstre préhistorique dans un monde où le temps ne passe pas ! C’est rageant, tout de même !

— Je comprend, surtout quand on a de toutes petites jambes et un gros ventre ! Un vrai physique de sportif !

Tomy ne put se retenir d’éclater de rire alors que Bruce le gratifiait d’une légère tape de désapprobation sur le crâne.

Une musique monta soudain à leurs oreilles, les paroles raisonnant en écho autour d’eux dans la pinède.

Why does the sun go on shining

Why does the sea rush to shore

Don’t they know it’s the end of the world

Cause you don’t love me anymore

— Je la connais, c’est la chanson préférée de papa !

The end of the world de Skeeter Davis ! Je m’en souviens parce que je l’entendais souvent aux travers du parquet de ta chambre quand tu étais à l’école. Ne le prends pas mal, mais aucun de tes deux parents ne sait chanter ! Tu n’imagines même pas la cacophonie quand ils...

Sans laisser le temps à Bruce de finir sa phrase, Tomy se mit à courir sur le chemin terreux, les yeux brillants d’espoir, lorsque les contours d’une petite maison en briques rouges se dessinèrent au loin.

Arrivé devant le portail de la palissade en bois blanc, Tomy s’arrêta.

— C’est la maison de Mme Hopkins ? demanda Bruce.

— Non… enfin, je crois pas…

Tomy se rappela la fois où sa mère avait raccompagné la vieille dame chez elle après l’avoir croisé au supermarché. Dans son souvenir, la maison tenait plus d’une cabane délabrée avec ses bardeaux de bois noircis par le temps et ses cartons fixés aux fenêtres cassées. Il se souvint même qu’un arbre s’était abattu sur ce qui restait d’un appentis. Or ici, il n’y avait aucune trace d’un accident de la sorte. Dans sa mémoire, la bâtisse n’avait rien à voir avec l’architecture propre et urbaine de celle qu’il avait sous les yeux.

— C’est bizarre… on est pourtant au bon endroit, mais ce n’est pas la même maison, s'exclama Tomy avec stupéfaction.

— La boite aux lettres indiquait bien « Hopkins », non ?

Le jeune garçon hocha la tête tandis que la musique s’arrêtait aux dernières paroles de la chanson, laissant le pesant silence se réinstaller.

Prudemment, Tomy ouvrit le portillon et avança jusqu’à la porte d’entrée. Il pressa sur le bouton du carillon, mais aucune sonnerie ne se fit entendre. Aucune réaction non plus lorsqu’il frappa à la porte.

— Il y a forcément quelqu’un, sinon, d’où venait la musique ?

Délicatement, il tourna la poignée de la porte qui s’ouvrit avec un grincement lugubre.

— Tu sais, Tomy, ça commence toujours comme ça dans les films d’épouvante, lâcha Bruce, la voix tremblante, ensuite, la porte se referme violemment derrière les protagonistes et c’est là que le fantôme décide de les poursuivre…

— Tu es une peluche, que veux-tu qu’un fantôme te fasse ? Et pis, c’est juste une vieille maison vide, arrête de faire ton froussard !

— Je ne suis pas un froussard ! Mais je te rappelle qu’on a failli se faire dévorer par un dinosaure sanguinaire, qui est d’ailleurs toujours à nos trousses !

Soudain, la porte se referma avec fracas. Tomy se retourna et tenta de la rouvrir, mais elle s’avéra bloquée.

— Qu’est-ce que je disais ! lança Bruce sur un ton paniqué.

— Que faites-vous ici ? demanda une voix dans leurs dos.

Tomy se figea face à la personne qui se tenait dans l’ombre. Bruce poussa un petit cri strident au moment où elle fit un pas dans leur direction.

— Allons, n’ayez pas peur. Je ne vais pas vous faire de mal, prévint-elle d’un ton amusé.

Lorsqu’elle s’avança à nouveau, le visage de l’inconnue s’éclaira par la faible lumière des quelques bougies éparses et Tomy remarqua aussitôt son sourire bienveillant. Il fut contraint de donner une tape à Bruce pour qu’il arrête de trembler et sorte la tête de la capuche.

— Je suis désolé si je vous ai fait peur, ce n’était pas mon intention. Cette vieille maison est pleine de courant d’air et la porte se coince parfois.

— Qui… qui êtes-vous ?

— Enfin, Tomy, c’est sûrement un fantôme ! Sauvons-nous au plus vite ! l'invectiva Bruce à son oreille.

— Je m’appelle Mary et je ne pense pas prendre un risque à déduire que tu t’appelles Tomy, dit-elle en lui tendant la main pour l’aider à se relever, je suis enchantée de te rencontrer.

À l’instant où elle se pencha en avant et que leurs regards se croisèrent, Tomy remarqua un vif changement dans l'expression faciale de Mary.

— Oh, tu es… tu es un très beau garçon. Tu me fais penser à mon fils…

Une moue de nostalgie empreinte de tristesse remplaça son délicat sourire.

— Euh… excusez-nous d’être rentrés comme ça… on a sonné et frappé, mais comme personne n’a ouvert… c’est la musique qui…

— C’est une de mes chansons préférée, s’exclama-t-elle subitement, je me rappelle la première fois que je l’ai entendue ; c’était au printemps 1963 ! Je venais juste de récupérer mon fils à l’école et nous étions allés manger une glace…

— Il s’appelle comment, votre fils ? demanda innocemment Tomy.

Comme s’il venait de lui asséner une flèche en plein cœur, le visage de Mary se figea et ses yeux s’écarquillèrent.

— Je… je ne m’en souviens pas… cela fait si longtemps…

Elle resta plusieurs secondes, le regard perdu dans le vide.

— Est-ce qu’il est ici avec vous ? demanda Bruce.

Elle tourna brusquement la tête, faisant sursauter Tomy.

— Non, pas encore...

— Elle perd complètement la boule, si tu veux mon avis, murmura Bruce.

En tournant la tête pour lui répondre, Tomy remarqua les nombreuses photos accrochées sur le mur de l’entrée ; la plupart représentaient Mary avec un enfant dont le visage était flouté. Il en déduit qu’il s’agissait d’instants de vies passés avec son fils. Une étrange sensation de « déjà-vu » le prit en observant certaines images.

— Est-ce que vous savez quel est cet endroit ? On s’est fait attaquer par un tyrannosaure et…

Tomy n'eut pas le temps de finir sa phrase que Mary le coupa.

— Tiens, c’est étrange, il est arrivé exactement la même chose à cette adorable petite fille. Comment s’appelait-elle déjà ? ah oui, Erin !

— Vous connaissez Erin ? s'exclamèrent Tomy et Bruce de concert, la stupéfaction se lisant sur leurs visages.

— Voilà une demoiselle bien élevée et sympathique. Vous la ratez de peu, elle est partie il y a environ deux heures. Elle a dit qu’elle devait se rendre sur un pont pour trouver la sortie de quelque chose. Je n’ai pas tout compris.

Le souffle coupé, Tomy tenta de mettre en ordre les mots de Mary : Erin était aussi dans ce monde et savait vraisemblablement où trouver la sortie.

— Dans quelle direction elle est partie ? la pressa Tomy.

— Elle a dit qu’elle allait vers la grande ville, mais je ne sais pas de quelle ville elle parlait.

— Tu entends ça, Tomy ? On doit absolument la retrouver, au plus vite !

— Merci pour votre aide, Mary.

Elle se pencha pour prendre le jeune garçon dans ses bras et une douce chaleur l’envahie.

— De rien, mon petit Tomy. Bien que notre fortuite rencontre fut brève, je suis heureuse qu’elle se soit produite.

Ne comprenant pas le sens de ses paroles, Tomy plissa les yeux et la gratifia d’une moue d’incompréhension.

— Ne traînez pas si vous voulez la rattraper ! urgea-t-elle.

Sans perdre une seconde, Tomy ouvrit la porte et courut à l’extérieur. La joie que lui procurait l’idée de retrouver Erin décupla ses forces, le faisant détaler comme un lapin sur le chemin de terre.

Mais un féroce rugissement le ramena à la réalité.

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