4. Les crânes fendus

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Titsh avait bondi sur soixante-quatre, le renversant sur le dos. La petite table en bois de hêtre avait été bousculée, brisant les verres et la bouteille qui s'y trouvait. La rapidité avec laquelle il s'était jeté était saisissante. Imparable. Sa main gauche avait empoigné les cheveux de sa victime pour les tirer en arrière, découvrant ainsi la gorge du supplicié.

De son autre main, il avait sorti une lame faisant entendre un tintement sec et vint l'appuyer contre le gosier du valet. La fureur dans ses yeux jaunes, Titsh semblait posséder. Ses dents longues et acérées prêtent à arracher le visage de sa proie. La scène s'était renversée en une fraction de seconde. Comment pouvait-on partager un verre avec quelqu'un et l'instant d'après lui plaquer une arme sous la gorge ?

- Personne, ne peut me voler, rugit l'homme rat en laissant couler un filet de bave sur le visage de l'homme.

Soixante-quatre pouvait à peine parler, le couteau lui comprimait la glotte. Il sentait le sang couler finement le long de son coup.

- Je...je sais... Tentait-il de dire.

- Tu vas m'expliquer ce qu'il se passe ici !

Titsh lâcha sa prise lentement. Son serviteur se roula se le côté, pris d'une quinte de toux. Puis se releva, prenant de la distance avec son bourreau.

D'une intonation sèche, mais presque chuchotante, Titsh lui demanda.

- As-tu des complices parmi les autres valets ?

- Non...

- Les gardes ?

Se massant le cou, et évaluant la taille de la plaie qui l'inquiétait, le valet secoua la tête en signe de négation. Titsh se déplaçait rapidement dans la pièce, toujours un œil sur son traître de serviteur, regardant derrière ses rideaux, sous son lit, humant l'air de la pièce. Il jeta un coup d'œil à l'extérieur quelques instants, les gardes semblaient effectuer leurs rondes. Titsh guettait le moindre geste suspect. Qu'est-ce qui avait pu lui échapper ? Sa défense était pourtant parfaite. Il tentait de comprendre d'où venait l'erreur.

Et cette phrase qui tournait en boucle dans sa tête :

'' Vous n'êtes plus en possession de L'Orus de Praven''

Titsh étudia son nouvel ennemi. Il n'avait rien d'un guerrier, rien d'un voleur. Il fouilla sa mémoire pour se souvenir du jour où il avait acheté cet homme. Une connaissance à lui, Rahm l'orateur, un orc marchant d'esclaves, un des rares à vendre de l'humain.

Bien sûr, une fois acheté, hommes, femmes ou enfants ne pouvaient être traité comme des esclaves, afin d'éviter les foudres des quatre rois du continent et leurs lois abjectes. Ils bénéficiaient donc chez l'homme rat, d'un salaire convenable et d'un gîte plus confortable que dans n'importe quelle auberge de Port Autan.

Cela faisait parti de la défense de la demeure de Titsh '' un valet qui ne se plaint pas et un valet qui se tait ''

Il avait payé le prix fort pour celui-là, puisqu'il pouvait parler quatre langues anciennes. Il était donc un homme intelligent, et aussi au fil du temps, était devenu le seul serviteur avec qui il échangeait certaines idées. Notamment en matière politique.

Le maître des lieux s'approchait lentement de l'homme. Titsh semblait être plongé dans son regard, comme s'il arrivait à y lire quelque chose. Et un souvenir lui revint.

- Cela ne se peut, se dit-il.

Tout en continuant son approche, il poursuivit :

- Ôte ta chemise !

Se sentant en danger à chaque instant, soixante-quatre ne posa pas de question et obéi sans rechigner.

Le rat scrutait le moindre de ses mouvements.

Un corps musclé, dessiné. Cet homme qui paraissait pourtant si mou en tant normal, était en fait assez robuste pour un humain. Titsh était maintenant tout près de son esclave. Son museau de rat, juste au-dessus du nombril, continuant de fixer le visage du traître. Il passa sa main velu sur le visage lisse de l'homme.

- Je reconnais tes yeux ! Tu n'es pas celui que tu prétends être...

Titsh eut un mouvement de retrait rapide, comme s'il venait de toucher une flamme. Il comprit alors. L'homme qui était en face de lui avait réalisé une supercherie hors du commun.

Le regard de soixante-quatre était maintenant dans le vague.

- Je vais tout vous avouer. Lorsque vous m'avez vu pour la première fois j'étais un autre homme. Une barbe fine afin de cacher mes traits de visage, mes cheveux étaient hirsute pour éviter qu'on me dévisage. De faux tatouages ornaient mes mains tel un mercenaire. Ainsi, lorsque vous m'avez rencontré la première fois, je ressemblait à un aventurier voulant tenter sa chance pour gagner l'Orus.

Titsh écoutait attentivement le récit de cet homme. Il était partagé entre la colère, la honte et le respect.

- C'est donc toi qui est venu chez moi pour jouer à mon jeu, et qui a enfreint mes règles en me laissant une lettre d'abandon ?

'' Le temps qui passe n'est pas le même pour tous, un jour pour une coccinelle n'a pas la même valeur qu'un jour pour un dragon centenaire.

Vous ne me verrai plus jamais ainsi devant vous ''.

- Vous ne me verrez plus jamais ainsi devant vous... Se souvenait Titsh. Tu as changé ton apparence pour infiltrer ma demeure, et as attendu autant d'années pour me voler. Pourquoi ne pas t'être infiltré tout de suite en tant que serviteur ?

- Je savais que cela vous troublerait et vous rendrait fou. Me faire capturer pour être vendu n'a pas été difficile, ni même de savoir à quel marchant d'esclaves, vous achetiez vos serviteurs. C'est ainsi qu'après m'être rasé la barbe et les cheveux, enlevé mes tatouages et enfilé des guenilles, je paraissais de nouveau devant vous. Et vous m'avez acheté

Titsh durcit son regard et reprit d'une voix plus sèche :

- Où est l'Orus ?

Quelque peu déboussolé par ces changements de tons, soixante-quatre tenait à livrer la version de son histoire telle que son maître voulait l'entendre.

- Je l'ai déposé hors de votre demeure ce matin pour qu'il soit récupéré par un livreur.

- Comment ai-je pu me laisser berner par...

Titsh secouait la tête décontenancé en observant son rival de haut en bas.

- Il m'a fallu des années pour y parvenir maître, j'ai usé de tant de technique et d'une lente approche, mais jamais vous n'avez baissé la garde hormis... il y a deux jours.

Le serviteur s'apprêtait à dévoiler sa supercherie, et se sentait comme un enfant avouant à son père une idiotie qu'il aurait fait.

- J'ai rapidement découvert où était caché l'Orus. Il y a trois pièces interdites au personnel dans votre demeure, une fois de plus c'était un système de défense de votre part. Il me fallait donc découvrir laquelle renfermait l'artefact. J'ai collé un petit morceau de ficelle sur le haut de chacune des portes, et j'ai constaté que deux d'entre elle n'avaient pas été cassées. La pièce était donc trouvée. Mais il me fallait ensuite m'emparer de la clé qui ne vous quitte jamais.

D'un geste lent et pour vérifier les dires de son valet, Titsh glissa sa main contre son torse, la où pendait la clé qu'il chérissait toujours autour du cou. Sa présence le rassura, mais remettait en doute le récit de l'homme.

Soixante-quatre remarqua la perplexité de son maître, et cru bon de parfaire quelques précisions.

- J'ai cherché inlassablement une opportunité de vous la subtiliser, et je n'en ai trouvé qu'une. Lorsqu'un joueur échoue à vous voler, et que vous... lui faites payer...

- Que je le tue après l'avoir torturer durant des heures, s'amusa à souligner le rat.

- ... Oui, après que vous ayez fini cela, vous venez dans votre chambre et buvez plus que de raisons. Il y a deux jours, alors que vous festoyez une nouvelle victoire seul, j'ai profiter de votre état pour réaliser une emprunte de cette clé dans de la mie de pain.

- Astucieux, soutint l'homme rat en continuant de jouer avec sa clé. Si tu me l'avait enlevé à ce moment là, je l'aurai certainement senti...

- Et vous auriez fait tuer tous vos sujets, moi y compris !

- ... Précisément. J'ai en quelques instants, imaginé mille morts pour toi. Plus terribles les unes que les autres. Mais j'ai d'abord besoin de réponses. Alors tu vas remettre ta chemise, nettoyer le sang qui te tâche le cou, et nous partons sur-le-champ !

- Co... comment cela nous partons ?

Titsh commençait à s'agiter à l'intérieur de sa chambre. Jetant des coups d'œil furtif vers l'extérieur de temps à autres, il s'était rapproché de son bureau, ou un tas de lettres étaient soigneusement empilées.

Il ouvrit un tiroir, et souleva un double fond. À l'intérieur, il récupéra un petit objet en pierre. Celui-ci avait été taillé en forme d'étoile à cinq branches qui avaient chacune une couleur différente. Deux de ses branches étaient brisées.

- Plus que trois possibilités... Se dit Titsh.

Le maître des lieux enleva rapidement la tenue qu'il avait. Celle-ci n'était pas du tout faite pour voyager. Il fallait être discret, sombre.

Il ouvrit les portes d'une armoire près de son lit et en sortit une clé. Il rampa ensuite sous son lit.

Soixante-quatre n'avait toujours pas bougé, et ne savait que faire ni que penser de l'attitude de l'homme rat. Il entendait son ancien maître déverrouiller une serrure sous son énorme lit.

Il en venait à se demander d'ailleurs, pourquoi un être si petit avait une si grande couchette ?

Titsh sortit avec une aisance naturel, vêtu maintenant d'un sombre manteau, en dessous duquel il avait mis une tunique d'un vert presque écoeurant. Une ceinture était légèrement visible, mais l'homme n'aurait su dire si le rat portait une arme.

- As-tu déjà entendu parler '' des crânes fendus '' ? Demanda Titsh.

- J'en sais déjà trop à ce sujet mais malheureusement pas encore assez.

- Tu as encore beaucoup de choses à me dire, répondit Titsh. Je vais avoir besoin de les réunir pour retrouver L'Orus de Praven. Si tu t'enfuis tu meurs, si tu tiens une arme tu meurs, si dans tes yeux je vois du mensonge...

- Je meurs ! J'ai compris maître.

- Et si tu me coupe encore la parole tu meurs.

L'homme et le rat sortaient de la maison, et traversaient le domaine. Titsh fit un signe de tête à l'un de ses gardes, qui s'empressa de venir à lui.

Le garde était un orc, la réputation de ses monstres n'étaient plus à faire, c'étaient de véritables machines à tuer. Souvent employés comme garde du corps pour ces qualités.

- Fais tuer tous les hommes de la demeure. Sans celui qui est devant moi, il en reste neuf. Pas de torture et interdiction de jouer avec les corps. Tuez-les et jetez les dans le puit, les nuées de vermines se chargeront du reste.

- C'est comme si c'était fait, rugis l'orc.

- Et je ne suis jamais parti d'ici, personne ne doit entrer.

L'orc grogna et s'en alla, faisant des signes à ses hommes, pour un ralliement.

Titsh tira sur la manche de sa houppelande, pour dévoiler la fourrure de son bras. Son pelage marron brillant commençait à prendre une teinte grisâtre.

- Les crânes fendus... et vite, déclara le rat.

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