Chapitre 1.1

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  Martin étouffa tant bien que mal une quinte de toux, avant de rabattre sa capuche au-dessus de sa tête, protégeant autant que faire se peut ses courts cheveux bruns. À des kilomètres de Bois-Aux-Roses, il ignorait tout du drame qui s'y était joué. D'ailleurs, la ville était très loin de ses préoccupations ; tant qu'il était en sûreté derrière ses murailles avant la tombée de la nuit…

 Petit mais d'une constitution solide, le jeune homme, Rafleur de profession, était à l'aise pour arpenter les vestiges de l'Ancien Monde. Les grandes cités d'autrefois n'étaient plus que des ruines fantômes que la végétation recouvrait lentement. Bientôt, il ne resterait plus rien de ces grandes architectures fonctionnelles. Ces décombres étaient autant de témoins silencieux d'une apogée humaine. Ce n'était plus le temps des Hommes. C'était celui des Ombres.

À la force de ses bras, Martin se hissa jusqu'à la cage d'ascenseur d'un édifice qui avait pratiquement disparu derrière le lierre et le lichen. Habile grimpeur, il se servit des anicroches dans le béton pour grimper jusqu'au troisième étage qu'il n'avait encore jamais exploré.

L'immeuble s'était en partie effondré, si bien qu'il dût ramper un instant dans la poussière avant d'arriver dans un long corridor. D'un coup de pied habile, il enfonça la première porte. Un sourire satisfait étira ses lèvres fines.

- Génial, souffla-t-il en inspectant les lieux de son regard d'absinthe.

Les appartements en hauteur étaient difficiles d'accès, et regorgeaient donc de richesses. On aurait cru que le temps s'était suspendu en ces lieux. Comme s'ils n'avaient pas reçu de présence humaine depuis le Déclin, survenu voici déjà près d'un demi-millénaire.

Martin ouvrit méticuleusement chaque placard et inspecta chaque tiroir. Le Rafleur souleva difficilement les meubles renversés pour voir s'ils ne contenaient pas des trésors, tailla les plantes envahissantes à coup de machette pour vérifier qu'elles ne dissimulaient rien.

Il ne lui fut pas difficile d'amasser des objets en tout genre. Des verres ébréchés aux livres gondolés, en passant par les vêtements miteux, sans omettre de récupérer les ampoules et de détacher les prises. Les gens de Haute-Ville s'arrachaient ces petites choses à prix d'or.

Et de l'or, justement, il en avait cruellement besoin.

 Martin chargea tant et si bien son sac à dos que lorsqu'il le jeta de nouveau sur ses épaules, il s'étonna qu’il soit si lourd. Il soupira, avant de rebrousser difficilement chemin, son paquetage solidement attaché.

Le pied alerte, il redescendit prudemment, calculant chaque geste pour ne pas tomber. Une chute, avec ce poids sur le dos, lui serait à coup sûr fatale.

Il avait conscience du danger, et pourtant, il ne put s'empêcher d'accélérer un peu tandis que la lumière déclinait lentement. La nuit tombait tôt en automne, et il avait tout intérêt à être de retour à Bois-Aux-Roses avant que le soleil ne disparaisse totalement. Il n'avait pas l'intention d'être la proie des Ombres, ni cette nuit, ni jamais.

 À trop se précipiter cependant, il commit une erreur. Son pied droit glissa sur une encornure, déséquilibrant le jeune homme qui sentit son cœur manquer un battement.

  Aussitôt sa Magie se réveilla. Une sensation de froid l'envahie. Ses mains, crispées sur des prises sommaires se recouvrirent soudain de givre, les immobilisant contre le bitume, l'empêchant de s'écraser en contre-bas sur la cage de fer éventrée.

 Figé de terreur, Martin, les yeux écarquillés, le souffle court, contempla ses mains immobilisées. La Magie était quelque chose d'instinctif et d'inconscient. Il était né Sorcier, mais ne maîtrisait rien. C'était son subconscient qui en avait le contrôle, et ce depuis toujours. Sa Magie Destructrice, encore une fois, venait de lui sauver la vie.

Se forçant au calme, le jeune Rafleur ferma les yeux, inspira lentement, essayant de calmer le tambourinement frénétique qui raisonnait dans sa poitrine. Sur ses mains, la glace disparaissait sans fondre, comme si elle n'avait jamais existé alors même que tout son corps recouvrait peu à peu sa chaleur. Lorsque ses tremblements cessèrent pour de bon, il reprit sa descente en redoublant de prudence. Il n'avait pas fait tout ce chemin pour mourir bêtement. Et lorsqu'enfin il foula la terre ferme, au bout de plusieurs minutes qui lui semblèrent durer des heures, il s'autorisa un long, très long soupir.

Jetant un œil à ce long mur sur lequel il s'était risqué dans une ascension périlleuse, il prit conscience de ce à quoi il avait échappé. Il déglutit.

- Bordel, souffla-t-il avant de quitter cette ruine dangereuse.

D'un pas rapide, il s'éloigna, non sans jeter un œil au ciel qui se colorait déjà de nuances dorées. Un long frisson remonta le long de son échine. Il ne lui restait que quelques heures.

  Martin était intrépide par nature, mais pas téméraire. Il savait à quel point les Ombres étaient redoutables, peut-être mieux que quiconque. Ils avaient fait de lui un orphelin.

Il lui fallut bien une heure pour apercevoir au loin la grande cité de Bois-Aux-Roses, un des derniers bastions de l'Humanité. Il existait des centaines de villes telles que celle-ci à travers toute l'Europe, mais il n'en avait jamais vue aucune. Quelques Nomades parfois, s'arrêtaient à Bois-Aux-Roses et évoquaient Jethro, Aggadir et Venezia qui sonnaient à ses oreilles comme des noms exotiques.

Non sans un certain plaisir, il buvait les paroles des Nomades, cette tribu qui bravait le danger en arpentant le continent sans se retrancher derrière de vaines palissades, lorsqu'ils évoquaient ces dernières cités qui résistait à l'extinction.

  Elle était misérable, Bois-Aux-Roses. Ridicule ainsi repliée derrière des murailles de pierre. Elle avait l'air malheureuse, prise entre deux temps, une grandeur du passé qu'on ne pouvait que reconnaître à travers ces grands immeubles éventrés en partis reconstruits comme un pied de nez aux Démons qui ne cessaient de s'accroître. Elle était surpeuplée, grouillante, bruyante, mais elle était vivante. Et Martin l'aimait telle qu'elle était.

Pour rien au monde, il n'aurait renoncé au magnifique spectacle qui s'offrait à lui à travers les hautes herbes. Bois-Aux-Roses, à cette heure, était illuminée par le soleil couchant. D'ici, du haut de cette colline, la ville en contre-bas ne semblait plus si miteuse. Protégée ainsi à la fois par la mer et par les immenses murailles qui l'étriquaient, elle semblait, au contraire, étrangement sereine, inébranlable, inflexible.

 Un panache de fumée s’élevait à l’Ouest de la ville. Cela n’avait rien d’inhabituel, encore que celui-ici semblait bien épais vu d’ici. De nombreuses industries s’étaient installées dans les quartiers de Gueule Noire, Grand’Ronce et du Cèdre d’Argent.

  Un bruissement à sa gauche, puis un cri de terreur l'arrachèrent à sa contemplation. Contre toute prudence, Martin se précipita, se maudissant intérieurement d'être aussi sensible à la détresse des autres. Son instinct de survie lui ordonnait de regagner la ville et d'y rester en sécurité ; mais son cœur était bien plus fort que tout le reste. Il ne pouvait pas laisser quelqu'un se faire tuer sans réagir. Il fallait croire qu'il était encore trop humain pour son propre bien.

  D'un pas leste malgré le poids qu'il portait sur le dos, il s'élança en direction des hurlements. Il ne tarda pas à en trouver la source. Ce qu'il vit l'arrêta tout net.

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