Chapitre 49 L'antre du loup

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1957, 24 avril


Pàl avait préféré les quitter en pleine nuit. Sans un au revoir. Il ne devait pas perdre de temps. Déjà, sa brève étreinte avec Adela avait affaibli ses certitudes. Il aurait été si simple de rester près d'elle, de continuer à l'aimer. Il avait dû se souvenir qu'il partait justement pour la sauver. Rester près d'elle, c'était la perdre à tout jamais.

– Tu es sûr ?

– Oui, voyageuse. Je suis sûr. Repars là-bas.

Pàl s'était tourné vers Etha qui se tenait derrière lui, près de la cascade. Sous les rayons de lune, elle paraissait encore plus jeune. Les remèdes de Findan et Byrne lui avait rendu sa force, et il ne restait sur son visage aucune trace du passage d'Aloïs. En revanche, son corps garderait à jamais les cicatrices des sceaux.

– Je prendrai soin d'eux, dit-elle.

– Je l'espère pour toi, sorcière, sinon je reviendrai des enfers pour me venger.

Etha sourit en baissant la tête.

– Pour ça, il faudrait que tu arrives à sortir Brune de là et qu'elle veuille bien t'aider.

– Tu seras surprise de savoir que l'enfant m'apprécie.

– Vraiment ? Cette petite fille est vraiment surprenante. Comment a-t-elle pu trouver en vous quoique ce soit d'appréciable ? Auriez-vous un talent caché ?

Pàl ne releva pas. Sa relation avec les sorciers avait évolué tout comme celle avec Adela. Même s’il ne leur faisait pas totalement confiance, il devait bien reconnaître que sans eux la situation serait nettement moins positive, si on pouvait dire que la situation l'était. Au moins n'étaient-ils pas encore tous morts.

– Je vais la sortir de là.

– Je l'espère, parce que sinon, je suis prête à retourner dans les limbes pour vous y pourchasser.

– Il ferait beau voir ça, gamine ! s'exclama Pàl en souriant à son tour.

– S'il le faut, je lui prêterais main forte, dit alors une voix murmurante.

– Varna... tu n'as plus le pouvoir de visiter les âmes.

– Non, en effet. Mais je peux amplifier celui des autres, si je le souhaite.

– Argh ! Je suis cerné de femmes malveillantes !

– À qui la faute, sombre crétin ! Tu as vraiment l'intention de te présenter devant l'assemblée seul ?

– Je ne serai pas seul, si tu veilles sur moi.

– Hum...

– Je reviendrai vous chercher. Tous.

– Merci, voyageuse. Rejoins-les à présent. Si Aloïs nous a trouvé une fois, il est à craindre qu'elle réitère l'exploit. Sans compter les autres...

La sorcière disparut sans un bruit, laissant la banshee et le diogonos seul.

– Tu n'en sortiras pas vivant.

– Je le sais, répondit Pàl en levant les yeux vers le haut du cirque où se trouvait la rivière. Son regard s'arrêta sur le rempart extérieur de Vaucluse. Le domaine de la Confrérie. Le royaume de Sargon. Il était un agneau juste né dans l'antre du loup. Une fois encore.


***


Aloïs fulminait de dépit. Comment avaient-ils pu lui échapper ? C'était impossible ! Ils auraient dû être à terre, rampants, agonisants. Même avec quelques remèdes ou potions de ce Byrne qui, contre toute attente, était resté avec eux. Le traître. Et qui les avait avertis ? Comment avaient-ils fait pour disparaître aussi vite ?

La sorcière s'assit lourdement sur l'une des couches défaites de la chambre où ils avaient vraisemblablement dormi. De manière inattentive, elle toucha les draps. Dans un sursaut de surprise, elle se releva en fixant le lit comme s'il avait pu abriter un monstre, ou plutôt un fantôme, car c'était bien de cela qu'il s'agissait. Un fantôme. Celui d'Etha Milligan.

C'était inconcevable. La voyageuse était morte. Elle était morte avec elle au cottage sous les coups d'Adela Prat. Elle était morte à l’hôpital quand les sorciers avaient retiré les sceaux. Elle était morte quand Aloïs lui avait arraché le sien des entrailles. Elle n'était plus qu'un corps rigide, froid et silencieux portant les marques indélébiles de son supplice. Comment était-ce possible ?

Ça ne l'était pas. Ça ne pouvait pas l'être ! La voyageuse avait été rayée des vivants tout comme sa souveraine ! Alors comment sa trace pouvait-elle se retrouver ici avec celle des créatures ?

– Comment ? hurla Aloïs excédée en donnant un grand coup de pied dans le lit qui se trouva projeté contre le mur.

– Je me pose la même question, dit alors une voix derrière elle.

Deux hommes portant blouse blanche et stéthoscope autour du cou la fixaient l'air irrité. Derrière eux, une infirmière apeurée et un colosse lui aussi en blouse. Ce dernier n'était pas là pour faire de la figuration, manifestement.

La pièce n'avait qu'un accès : la porte. Aloïs était piégée, certes, mais pas sans ressources.

– Pourriez-vous expliquer votre présence en nos murs, jeune homme ?

– Je cherche quelqu'un.

– Et ce quelqu'un serait ici ?

– Était.

– Était ? Vous voulez dire qu'il est parti ? Je vois. Les patients de ce bâtiment ont été transférés il y a plusieurs mois. Si vous...

– Je ne parle pas d'un patient.

– Mais de qui parlez-vous alors ?

– De ceux qui ont squatté les lieux pendant plusieurs jours.

– Vraiment ? Mlle Fischer avez-vous remarqué le moindre mouvement ces derniers jours en provenance de cette aile ?

– Non docteur. Il n'y avait personne. Les caméras n'ont rien montré.

– Elle ment.

– Mentez-vous, Mlle Fischer ?

– Non, docteur. Je peux vous montrer les bandes. Il n'y a que lui.

– Bien. Jeune homme, je vais vous demander de me suivre. Nous allons devoir en référer aux autorités et … Mais que faites-vous ?

Aloïs s'était mis à marmonner en faisant quelques mouvements de poignets. Les deux docteurs commencèrent à ressentir une vive douleur au niveau de l'abdomen. L'infirmière, elle, s’évanouit tout bonnement. Le colosse, lui, ne bougea pas d'un iota, bien qu'une fine pellicule de sueur soit apparue sur son front.

– Je vais partir et vous ne ferez rien pour m'en empêcher.

– Mais qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ? grinça l'un des deux médecins en essayant de ne pas s'effondrer.

– Qui je suis n'a pas d'importance. Ce que je cherche est déjà parti. Plus je reste ici, plus votre souffrance augmentera. Est-ce vraiment cela que vous souhaitez ?

– Arrêtez ! Je vous en supplie, cria le second médecin en crachotant du sang.

– Il ne tient qu'à vous que cela s'arrête. Laissez-moi passer, dit-elle devant eux.

Aucun des deux médecins ne pouvait s'opposer à son passage. Ils n'en avaient ni la force, ni la volonté. Quant au colosse derrière eux, malgré sa résistance, il montrait des signes de souffrance évidente. Pourtant, il ne fléchissait pas. Pas encore. Aloïs resserra son emprise sur lui et le fit mettre à genoux. Elle déversait sa colère sur eux. Elle voulait faire souffrir autant que tuer. Il fallait que quelqu'un paye pour son nouvel échec. Lorsque plus aucun gémissement ne vint perturber le silence de la pièce, Aloïs enjamba ses victimes sans un regard et sortit du bâtiment.

Si Etha Milligan était revenue d'entre les morts – et c'était manifestement le cas – et qu'elle aidait les créatures et la letiferus, alors les choses allaient se compliquer. Aloïs allait devoir changer ses plans. Elle ne pouvait se permettre de filer ses proies en espérant qu'elles commettent une erreur et se laissent attraper. Elle n'avait pas l'éternité devant elle contrairement à eux.

Elle devait envisager le problème différemment. Les diogonos avaient le livre et sa lectrice. Deux sorciers avaient choisi délibérément de les aider – elle ne pouvait imaginer que Batten ait autorisé cette association, pas maintenant qu'il possédait 4 couronnes – et leur donnaient un avantage non négligeable sur leurs ennemis. Que restait-il à Aloïs pour agir contre eux ?

La sorcière s'assit au volant de la voiture qu'elle avait volée quelques heures auparavant. Un levier. Il lui fallait un levier. L'enfant. Mais l'enfant était aux mains de Sargon. Elle ne pourrait pas la récupérer. Aloïs soupira.

Elle n'avait pas de prises sur Brune. En revanche, elle pourrait peut-être aider celui qui la détenait contre Pàl et Hendry. Le Maître de la Confrérie ignorait où se trouvait ses adversaires. Il devait les chercher autant que Batten devait la chercher elle. Et c'est exactement sur cela qu'elle pouvait agir.

Elle avait senti Etha dans l’hôpital. Si elle se concentrait sur elle, sur le lien surprenant qui subsistait entre elles, elle retrouverait la trace de son ancien hôte. Mais comme elle pouvait la retrouver, Etha pouvait la sentir venir. C'est sur ce détail qu'elle devait jouer. Ça n'est pas elle qui viendrait les chercher !

Aloïs sourit. Elle allait continuer à les traquer. Mais elle n'agirait pas contre eux. Elle se contenterait de donner les informations à la Confrérie. Sargon aurait les moyens de les arrêter. Il utiliserait des naturels. Or, Etha et Matthew ne les sentiraient pas venir. La sorcière se mit à rire toute seule. Elle avait un nouveau plan. Elle avait sa vengeance.

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