Chapitre 39 La mort d'une souveraine

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1957, 20 avril


Aloïs savait qu’elle jouait à un jeu délicat. Convaincre de sa loyauté tout en fomentant une trahison n’était pas de tout repos. D’autant plus quand vous habitiez le corps d’une autre, et que celui qui se disait votre allié tentait lui aussi de vous trahir. Elle avait dû jouer sur plusieurs tableaux sans se perdre en chemin, ni commettre d’erreur. Mais elle y était presque. Encore quelques instants à feindre.

La délégation de sorciers de la cour d’Irlande était prête. Elle patientait dans le grand hall de la bâtisse où Dame O'Leary résidait en temps normal. Parmi eux, quelques sorciers écossais continuaient de croire que leur Cour n’était pas complètement morte. La souveraine d'Irlande leur avait promis de la rétablir et d’organiser la sélection pour un nouveau souverain dès que possible. En attendant, il fallait calmer les ardeurs de Lord Batten qui ne cachait pas son désir d’ajouter une troisième couronne aux deux qu’il possédait déjà.

Accompagnée d’Etha, qui contre toute attente répondait bien aux potions de Findan, Isha O’Leary descendit avec majesté le grand escalier. Elle portait autour du cou un sceau inattendu en plus du sien propre. Il était rare qu’un sorcier se défasse de son sceau de naissance. C’était une marque de grande confiance et montrait une volonté de protection. Le geste de Ian O’Brien répondait au refus d'Isha de le laisser l'accompagner. À présent, il se tenait sur le palier du premier étage. Avec inquiétude, il suivait sa Dame des yeux. Il n’aimait pas l’idée de cette entrevue avec Batten. Et encore moins la façon de s’y rendre. Tout dépendait trop du pouvoir d’Etha. Or, Aloïs était toujours tapie dans l'ombre.

Toutefois, Isha avait raison. Ils n’avaient pas le choix. Batten se montrait trop pressant. Il devenait urgent de trouver une solution qui n’inclut pas de combat. L’union était nécessaire si les sorciers voulaient pouvoir lutter efficacement contre les diogonos et se venger. Isha avait refusé d’écouter les rumeurs qui circulaient sur une alliance passée entre les deux couronnes et le clan McDonald. C’était inconcevable. Surtout après la mort de Fergusson.

– Pouvons-nous y aller ? demanda la Dame d’Irlande d’une voix confiante.

Etha ne répondit pas. Elle se contenta de tendre le bras vers Isha et de poser sa main sur son épaule. Avant de disparaître, elle jeta un œil moqueur en souriant à O’Brien. Le cri du sorcier se perdit dans le vide du hall. Il venait de comprendre que la Cour d’Irlande avait fait une monumentale erreur. Isha n'était pas accompagnée d'Etha mais d'Aloïs ! Isha était en danger !

O'Brien se précipita à l'extérieur à la recherche de Maggie Stelen, une sorcière qui pourrait peut-être l'aider à voyager plus vite. Lorsqu'il arriva près du bâtiment où elle avait un atelier, il sut qu'il avait perdu la partie. Maggie gisait sur le sol, la nuque brisée. Le lieu de rendez-vous était sur une autre île. Il n'avait aucun moyen de rejoindre la délégation. Aloïs avait très bien travaillée.


Les sorciers apparurent au milieu d’une plaine humide et déserte. Ou presque. Au moment où des silhouettes sombres sortaient des brumes en divers endroits tout autour d'eux, Aloïs s’empara des poignets d’Isha et l’emporta.

Les deux femmes réapparurent dans un village composé d’une unique rue et de quelques maisons en ruines rongées par la végétation.

– Etha ? Que faisons-nous ici ?

– Nous sommes là où vous deviez aller. Là où vous êtes attendue, dit Aloïs d'une voix sournoise.

– Aloïs ? Qu’avez-vous fait ? demanda Isha alarmée en se tournant vers la sorcière.

– J’ai fait ce qui devait être fait pour que les sorciers survivent et que les diogonos meurent.

– Aloïs ! Je ne comprends pas ? Ramenez-moi au lieu de rendez-vous ! Je dois voir Lord Batten ! Que cela vous plaise ou non !

– Oh ! Mais vous allez me voir, ma chère ! Je suis ici ! dit alors une voix claire provenant du haut de la rue.

Batten et une dizaine de sorciers avançaient vers les deux sorcières. Ils portaient tous un habit gris avec un brassard noir en signe de deuil. Pourtant, aucun visage ne portait les traces d’une quelconque tristesse. Avant qu’ils n’arrivent à leur hauteur, Isha se tourna vers Aloïs et lui imposa une main sur le front. Pensant la dame d’Irlande rendue inoffensive par la surprise et l’incertitude, la sorcière ne s’attendait pas à cette attaque.

Aloïs hurla pendant qu’Isha fouillait son esprit à la recherche d’Etha. Seule la voyageuse pourrait la sauver de ce qu’elle soupçonnait. Elle ressentit faiblement la jeune sorcière effondrée dans son propre corps. Trop loin pour revenir. Trop désespérée pour lutter. Même pour sa Dame.

Aloïs parvint à se séparer de sa victime en lui assenant un coup de poing dans l’abdomen. Isha courbée en deux tentait de reprendre son souffle quand Batten arriva près d’elle.

– Et bien ! Quelle querelle bien inutile, Isha ! s’exclama-t-il avant de se tourner vers Aloïs en lui tendant un sceau.

La sorcière s’en empara en même temps qu’elle arrachait celui d’O’Brien du cou de sa Dame.

– Tout ça pour des sceaux ! Vous avez trahi pour des sceaux !

– Pas n’importe lesquels, ma chère. Les trois plus puissants des Deux Couronnes, dit Batten d’un ton mielleux en s’écartant d’Isha.

Aloïs eut le temps de le voir faire un geste en direction des autres sorciers avant de disparaître. Isha allait mourir et la sorcière ne tenait pas à voir ça. Ce devait être un vieux fond d’âme d’Etha qui le lui demandait. Elle réapparut seule au milieu de son antre, une grotte qu’elle avait aménagée au fil du temps et qui recelait tout son savoir et tout son savoir-faire. Sa cachette. L’unique endroit où elle se sentait chez elle quel que soit le corps qu’elle ait emprunté.

Elle avait déjà préparé les sorts dont elle avait besoin. Il lui fallait juste les lier aux sceaux. Ensuite, elle n’aurait qu’à suivre la trace du sorcier envoyé par Batten auprès des diogonos. Un certain Byrne. Une abomination faite sorcier. Un homme qui se vantait de connaître les créatures mieux qu’elles-mêmes. Il mourrait avec ses sujets d'étude. Aloïs rendrait service aux Cours en l’éliminant. C’était certain.


***


Depuis le toit où ils s'étaient dissimulés jusqu'à présent, Abner et Titus se jetèrent sur Cadmon dans un même élan. Le bras droit de Sargon esquiva l’attaque de justesse avec un saut, qui le porta, malheureusement pour lui, trop près de Pàl. Ce dernier, en profita pour lui asséner un coup violent à la tête qui le fit tituber, mais pas tomber.

L’attaque surprise des jumeaux avait mis le feu aux poudres. Sargon gronda sur ce timing hors contrôle. Il donna le signal attendu par ses troupes dès que Cadmon fut sous les coups du clan. Ses diogonos avaient encerclé le cottage avec un maillage serré. Ils étaient une bonne vingtaine. Des guerriers de l’ombre pour la plupart. Des créatures entraînées pour tuer.

Sargon était sûr de vaincre. Pourtant, il aurait préféré récupérer Adela et le livre avant le déchaînement de violence. Il s’était lui-même rué sur Hendry pour que Cadmon puisse se battre contre Pàl sans craindre un coup en traître, tandis que les 3 diogonos qui les accompagnaient se jetaient sur les jumeaux pour les éloigner de leur cible.

Adela avait reculée dans le couloir d’entrée de la maison, le sorcier sur ses talons. Dès qu’ils avaient été à l'intérieur, Byrne s’était mis à dessiner des symboles partout autour d’eux jusqu’à l’entrée du salon dans lequel, ils s’étaient finalement réfugiés.

– Je dois sortir d’ici, M. Byrne. Je dois arrêter tout ceci. Si je rejoins Sargon, ils arrêteront de se battre… Je dois…

– Rien du tout, Madame Prat. Votre sacrifice ne sera qu’une victoire de plus pour Sargon. Ne vous illusionnez pas, il ne permettra jamais la libération de cette Paulina et de votre petite-fille. Il s’en servira pour vous faire obéir jusqu’à votre mort. Et ensuite… Et bien il se débarrassera de la diogonos. L’enfant survivra tant qu’elle aura de l’intérêt pour lui.

– Mais pourquoi aurait-elle de l’intérêt ? Elle n’est pas de mon sang ! Elle n’est pas une letiferus ! Mon dieu, ma petite Brune !

– J’ai entendu une rumeur sur elle. Un sorcier ayant survécu à Cramond prétend qu’il s’est passé quelque chose là-bas qui n’aurait pas dû arriver, et que c'était l’enfant qui l’avait déclenché.

– Brune, ma Brune. Ma toute petite, murmura Adela, effondrée que d'autres connaissent le secret de sa petite fille.

Elle se rendit compte alors qu’elle tenait encore le coffret renfermant le Devolatus.

– Fichu livre ! hurla-t-elle en le laissant tomber sur le tapis.

– Ne dites pas ça ! Il y a peut-être à l’intérieur quelque chose qui pourrait nous aider à combattre la Confrérie !

– Quelque chose... comme les Firs ?

– Quelque chose de mieux que les Firs. Il faut chercher. Asham était une puissante et grande sorcière. Elle était aussi très organisée. Elle a placé l’invocation concernant les Firs juste avant le chapitre les concernant. Il faut trouver les autres incantations et voir à quelles créatures elles sont liées.

– Si je déchaîne d’autres choses, saurez-vous les arrêter ?

– Et bien, tachons de ne pas déchaîner quelque chose de trop gros ni de trop sombre, et je devrais pouvoir agir.

– Je ne suis pas sûre…

– Préférez-vous laisser Hendry, Pàl et les jumeaux se faire mettre en pièce par leurs semblables et ensuite suivre leur assassin et le servir ?

– Ce que je veux, c’est Brune, murmura Adela.

– Brune sera toujours en sécurité tant que vous ne céderez pas. Elle est un levier. Sargon ne s’en débarrassera pas tant qu’il a une chance de vous récupérer grâce à elle. Et vous avez montré que nous vous retenions contre votre gré.

Adela ramassa le coffret et le posa sur le bureau avant de s’asseoir. De là où elle se trouvait, elle voyait parfaitement les combats à l’extérieur. Le clan se battait avec toute la force du désespoir contre tous ces diogonos surentraînés. Ils ne feraient pas le poids longtemps.

Un bruit provenant du couloir, la fit sursauter. La porte restée délibérément ouverte laissa apparaître deux créatures de Sargon. Ils souriaient de voir leur proie si facile à prendre. Ils en furent pour leurs frais. Dès qu’ils tentèrent de passer le seuil, une sorte de toile d’araignée les enveloppa à partir des pieds jusqu’à les couvrir entièrement. Ils tombèrent en gesticulant dans le couloir sans pouvoir rien faire pour se libérer.

– Le filet de dameragna. Une valeur sûre, dit Byrne en souriant.

Adela, le souffle court, lui rendit son sourire avant de se mettre à chercher dans le Devolatus les pages d’incantations d’Asham. Elles étaient difficiles à trouver. Il lui fallut lire tous les titres dans sa tête pour les distinguer des autres chapitres. Elle en trouva 15.

– Matthew, je fais quoi maintenant. J’ai quinze créatures qui pourraient aussi bien se déchaîner ici que dans des zones peuplées d’humains normaux. Je n’ose rien faire d’autant que les descriptions ne sont pas toutes très claires. Comme pour les Firs dont j’avais la légende mais peu de caractéristiques physiques.

– Asham l’a fait exprès. Voyons voir si je connais quelque unes de ces bestioles…

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