XII. Une idée du violoniste

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Hazel et le violoniste avaient l’idée de sauver les prisonniers. C’était bien beau d’avoir tant d’enthousiasme, mais comment comptaient-ils s’y prendre ? L’enfant n’en avait aucune idée ; seulement, elle était certaine d’une chose : elle ne fuirait pas. Et sans trop se tromper, certains diraient qu’elle n’avait pas nettement conscience du danger qu’elle courait.

Elle était à nouveau au bord des larmes et peut-être bien de la crise de nerfs. Son cœur ne brulait plus, mais il ne tarderait certainement pas à exploser. Elle avait pris conscience qu’elle vivait depuis longtemps entourée de mensonges. Toutes les personnes qu’elle connaissaient étaient aussi odieuses qu’eux, que ces « artistes », que cette troupe ? Ses scrupules lui dictaient de ne pas se mettre au fait.

Malgré tout, elle sauverait ces personnes prisonnières des monstres cauchemardesques. Elle le voulait !

Ils étaient proches du chapiteau, mais impossible d’aller plus loin. Les membres de cette compagnie dite amusante tournaient autour et ils ne tarderaient pas à s’écarter dans les rues. Ils les cherchaient, et puis, ils semblaient bien agités. Leur disparition était si inquiétante que cela ? Quelque chose n’allait pas. Et en y réfléchissant, Hazel se demandait bien comment ils avaient pu sortir sans se faire stopper par qui que ce soit.

Elle zieuta en direction du musicien. Celui-ci dû sentir son regard appuyé puisqu’il tourna la tête. Il fit signe de le suivre ; il l’entraina encore un peu à l’écart.

— Où est-ce que nous allons ? demanda-t-elle en murmurant son trouble. (Il ne lui accorda pas un regard et continua.) J’ai peur, rajouta-t-elle en espérant le faire réagir.

Il lui attrapa la main, sans pour autant s’arrêter, et la serra fort dans la sienne. Ce petit geste d’affection suffit à la rassurer.

La fillette avait froid ; elle avait perdu son chapeau et était sûrement décoiffée. Elle ne chercha pas à remettre de l’ordre, trop occupée par la situation qui se tenait.

Puis le garçon la colla à elle, cachant son visage dans son bras. Surprise, tout ce qu’elle entendit fut des cris colériques, suivi d’un coup de feu. La fillette sursauta et étouffa sa stupéfaction. Deux larmes lui échappèrent, mais rien de plus.

Le jeune homme la prit dans ses bras et s’éloigna rapidement et en silence.

Un homme de la troupe venait de perdre la vie de la main d’une femme censée être de la « même famille ». Règlement de compte. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Ils s’étaient sûrement éloignés dans les ruelles pour être tranquille.

Il aurait aimé dire à l’enfant de ne pas avoir peur, qu’il la protégerait parce qu’elle était différente, qu’une perle rare comme elle ne devait pas se perdre. Il donnerait sa vie pour elle et ainsi elle pourrait protéger sa bien-aimé. Jusqu’ici, son existence n’avait été que méprisable. Torturé et torturant, il appartenait des deux côtés, mais aujourd'hui, il voulait enfin avoir le choix. Il avait grandi au sein de cette communauté, mais cela ne l'empêchait pas de la détester.

Il ne s’était pas trompé après tout : cette enfant aimait la vie. Bien plus que tous ces gens qu’il voyait sans arrêt. Elle ne cherchait pas à se sauver pour le simple plaisir de vivre, mais pour la vivre pleinement, cette vie.

Il fallut attendre quelques minutes, cachés derrière des poubelles renversées, pour que l’enfant sorte d’autres mots.

- Tu penses que nous y arriverons ?

Elle leva la tête dans sa direction, attendant une réaction explicite sur la situation, mais il ne fit que la regarder tristement : il était épuisé. Puis se rendant compte que réagir ainsi ne pourrait que l’inquiéter davantage, il fronça les sourcils. Il se releva et la tira par la main. Ils avaient déjà perdu assez de temps comme ça.

Ses propres chances de survie étaient infimes, mais qu’importe si les autres vivent. Parce qu’il était évident que la troupe ne laisseraient pas partir les Contemptibilia aussi facilement.

La force, ni l’un ni l’autre ne l’avait, le nombre non plus, alors foncer dans le tas serait suicidaire… Il fallait donc plus opter pour la ruse, et pour avoir observé cette enfant en particulier pendant tout le spectacle, il savait qu’en plus de son côté enfantin, elle possédait l’intelligence et le courage. Elle était bien plus mature que n’importe quelle personne. Elle était une « Perle ».

Ce fut d’ailleurs une des raisons qui le poussa à indiquer cette cage à la petite fille. Avec un espoir immense, il s’était imaginé qu’ainsi la prisonnière serait épargnée, d’une façon ou d’une autre. Et l’enfant avait bien refusé de la toucher.

Ce qui, dans tout cela, lui avait mis la puce à l’oreille fut simplement sa fascination débordante et son entreprenariat face aux serpents. Elle avait un cœur d’or.

Quand il pensa aux prisonniers, surement torturés, il redoubla de vitesse, et la petite fille en eut du mal à suivre. Ils arrivèrent finalement aux bords de la place aux Piques. La lune les baigna à nouveau de sa lumière : Hazel fut émerveillée par les reflets que cela créait sur les mèches argentées du jeune homme. Sous cette lueur, son visage paraissait plus reposé, moins cerné et creux, mais il redoublait de détermination.

En revenant sur cet endroit, ils prenaient tous deux de très gros risque. Les patrouilles du cirque se cachaient certainement dans la foule déjà diminué par rapport au début de soirée. Malgré tout, il était hors de question de la lâcher, elle était trop précieuse.

Cependant, s’il avait décidé de venir ici, ce n’était pas pour rien : il avait une idée, aussi bancale était-elle. Il leur fallait se camoufler parmi le peuple et être rapide. Très rapide. S’ils se faisaient avoir, tout serait fini. Lui avait l’habitude de souffrir ; Malum le battrait à nouveau et si l’envie lui prenait de le condamner, ce n’était pas bien important puisse que sa bien-aimé ne serait jamais seule. Il n’avait pas peur de mourir ; seulement, il la laisserait, elle, entre les griffes du diable en personne. Elle souffrirait encore, lui serait libre, et ce n’était pas ce qu’il voulait, tout au contraire. Quant à Hazel, il n’oubliait ce qu’elle était.

Il prit une grande bouffée d’air et resserra son étreinte sur la main de l’enfant. Ils avancèrent. Ils couraient presque ; la cape d’Hazel volait derrière elle. Celle-ci n’avait aucune idée de l’endroit où il comptait aller, mais elle avait une confiance pratiquement aveugle envers lui. Il l’avait sauvé de son père.

Le violoniste passa de nombreux stands avant de s’approcher de sa cible. Certaines personnes se retournaient sur leur passage et plusieurs fois, ils pensaient être pris au détour d’une de ces constructions en bois. Ils auraient pu croiser un ennemi à n’importe quel moment, mais il faut croire que la nouvelle de leur disparition ne fut pas réellement ébruitée. Ce qui se comprenait : imaginez que l’on vous apprenait que deux fuyards – quoi que l’enfant semblait plus simplement enlevée – « dangereux » et contraire à vos idées se cachaient parmi vous. Cela créerait la panique, assurément. Non, il valait mieux terrer les problèmes pour ne pas détruire la réputation du cirque.

Là, Hazel reconnut les différentes odeurs… sucrées… chaudes… Ils se trouvaient près d’un de ces stands de sucrerie. Elle n’eut même pas le besoin de se rappeler à l’ordre ; les bonbons ne l’attiraient plus. Mais elle ne comprenait toujours pas ce qu’ils faisaient, et la paranoïa commençait à s’installer en elle ; elle jetait souvent un regard par-dessus son épaule gauche. Puis droite. Puis gauche.

Le musicien voulut fendre la foule, mais la Perle le stoppa.

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