X. Le mal corporel

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Un homme – n’appartenant peut-être pas à la troupe d’artiste – fit son entrée. Il portait de grosse lunettes rondes lui donnant un air de mouche et dans ses épais gants de cuir, deux câbles y étaient déposés. Ceux-ci trainaient derrière lui jusqu’à disparaitre dans l’ombre. De la gueule de ces serpents, jaillissaient de lourdes étincelles jaunes et rouges.

Après avoir récupéré une autre paire de gant à sa taille, le jeune homme en tailleur se leva et prit les animaux. Sans qu’on ne lui dise rien, il baissa les câbles à la hauteur du garçon aux cheveux rouges et le frôla. Ceci suffit pour qu’il se torde dans sa petite cage. En un cri déchirant de douleur, il se cambrait au-dessus du sol, tandis que l’autre jeune garçon rigolait de manière presque machiavélique.

Hazel aurait crié… mais ceci aurait paru suspect aux yeux de tous ces… monstres qui rigolait du calvaire des autres. Elle aurait pleuré… mais encore une fois, elle ne pouvait pas se permettre. Elle imaginait son père, caché quelque part dans cette nuée de démons, se délectant lui aussi de la scène. Elle était bien incapable d’infliger de la souffrance. « Monstres » ou non. Comment avait-elle pu résister à ce jour d’Incinération ? Elle n’avait même pas réagi en contemplant le bûcher d’êtres humains. Était-il déjà trop tard ? Faisait-elle déjà partie de cette communauté ?

L’étrange garçon retira les fils électriques du corps de l’impuissant et l’observa, allaitant. Celui-ci grogna, épuisé, face contre terre. Et Hazel remarqua alors que l’habit blanc et boueux aperçut de loin un peu plus tôt n’était autre qu’une camisole. Le pauvre garçon serait donc fou ? Quand il releva la tête, ses cheveux cachaient la grande majorité de son visage et ses bouclettes étaient tellement emmêlés qu’il ne serait peut-être jamais possible de les séparer.

Soudainement, il se releva sur ses jambes flageolantes et grogna de plus en plus fort. Tous les regards étaient rivés sur lui. Hazel entendait Frisette murmurer tout bas :

— Où es-tu… Où es-tu ? Contrôle-toi…

La fillette comprit que quelque chose n’allait pas. Bien sûr ! Mais quelque chose bousculait l’atmosphère. Sans recevoir une autre décharge, le garçon aux cheveux rouges se mit à hurler à plein poumons, avant de se jeter contre les barreaux. On aurait dit qu’il voulait détruire ces barres de fer ou qu’il souhaitait à tout prix renverser la cage. Frisette se mit à sangloter une nouvelle fois, tout en tentant de crier de sa voix cassée qu’il devait arrêter de se faire du mal. Le garçon aux câbles électriques frôla une nouvelle fois le prisonnier à travers les barreaux et celui-ci se tordit encore sur le sol de la cage. Ses hurlements étaient insoutenables pour Hazel qui essuya aussi sec une larme qui lui avait échappé. Ses yeux étaient rivés sur le corps vivant, mais fumant de l’adolescent. La camisole noircissait aux endroits qu’avaient touché les câbles.

Un cri étouffé, ressemblant à une plainte contenue, fit pivoter les regards sur la droite. La fillette timide – bien qu’elle ne semblait plus l’être – commençait à arracher les plumes de l’homme qui ne tentait pas de résister. Mais Hazel sentait bien qu’il ne pourrait pas cacher sa souffrance longtemps. Les épaisses plumes laissaient des trous béants de sang sur les membres dorsaux de l’ange. L’accumulation ferait qu’il céderait. La fillette commença à entamer la chaire du prisonnier qui faisait à présent bien plus que gémir, laissant de grandes traces de griffes profondes. Le sang coulait à flot. Puis, bientôt, ce fût une symphonie d’hurlement de douleur.

La fille hautaine avait pénétré la cage des siamoises – une femme gardait la porte ferrée tout en observant la scène d’un sourire au coin. À coup de marteau, les jumelles tombèrent au sol et suppliait l’enfant d’arrêter. On entendait des bruits de porcelaine cassée et les crissements que provoquaient les fissures qui se formaient. Cependant, il n’y avait pas de sang, seul le néant apparaissait sous la torture.

Plus à droite encore, un son de déchirement s’entendait. Le garçon qui avait paru le plus normal aux yeux d’Hazel était lui aussi entré dans la cage de sa proie et s’amusait à arracher la peau de la femme à la robe bleue. Du papier froissé apparu en-dessous. Puis l’enfant approcha la torche du visage de la prisonnière. Et ainsi de suite, il continuait sa torture sous les acclamations du peuple.

Et pour finir, l’homme-serpent esquivait comme il pouvait les coups de faux. Mais ceux-là étaient largement minimisés par l’infime largeur des barreaux, alors le garçon hautain demanda à son tour l’entrée de la cage. Malum était un peu retissant à cette idée, puisse que le prisonnier pouvait « devenir dangereux ». Pour arriver à ses fins, le porteur de faux insista simplement sur le fait qu’il était absolument sûr de lui. Rien ne pourrait lui arriver, il était bien trop fort !

Enfin, tous les regards se tournèrent vers Hazel. Du moins, les regards de ceux qui n’avaient toujours fait qu’observer. Et pour cause, Frisette était encore muette. On l’interrogeait du regard, mais Hazel ne le voyait pas. Malum, lui, fronçait les sourcils. Cette gamine n’allait tout de même pas gâcher son spectacle ! D’ailleurs, elle n’avait toujours pas lâcher l’instrument cauchemardesque qui reposait aux creux de ses mains. Elle était paralysée. Son esprit bouillait. D’une certaine manière, elle souffrait pour eux – ce qui ne les empêchait pas de tout ressentir.

Hazel fait quelque chose ! Hazel, tu ne peux pas t’abaisser à faire souffrir les autres pour sauver ta peau ! Hazel, tu n’as peut-être que dix ans, mais tu es déjà forte ! Hazel… Hazel… Hazel… Hazel, réveilles-toi ! Cela fait trop longtemps que tu dors !

Son hurlement était si puissant que plus rien d’autre ne s’entendait. Même les torturés n’osaient siffler un mot. À elle seule, elle avait réussi à faire taire l’ensemble du public.

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