Chapitre 2

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La nuit tombe rapidement, amenant le froid avec elle. Takeshi se voit forcé de s’arrêter dans la forêt pour faire un feu afin de se réchauffer. Alors que le sommeil le gagne peu à peu, des voix se rapprochent et le sortent immédiatement de sa torpeur. Il prend soin de bien cacher son identité sous sa capuche et garde la tête baissée.

« Eh, qui es-tu toi ? Qu’est-ce que tu fais sur notre terrain de chasse ? » lance un gros homme bedonnant.

- Je suis juste un vagabond, pardonnez-moi, je ne savais pas que c’était votre terrain.

Les gars se lancent des rictus moqueurs en tournant autour de lui tout en fouillant son bagage à la recherche de quelques affaires précieuses à dérober.

- Pff, il a rien sur lui, soupire le gros.

- Tu appartiens à quel clan ? lance un autre, soupçonneux.

Au vu de leurs tenues, ces hommes viennent certainement du village se trouvant à la limite de la zone neutre ; le village des plus grands chasseurs des terres Hatano. Au moins, ils appartiennent au même clan. Enfin, ancien clan...

- Clan Hatano, comme vous je suppose ?

Satisfaits de cette réponse, les chasseurs acquiescent et leur agressivité semble se dissiper.

- Et d’où viens-tu, vagabond ?

- Je viens de La Colline sous les arbres.

Le gars se met à tiquer et s’avance vers Takeshi.

- Ma sœur vient de ton village, je connais bien cet endroit. Pourquoi tu ne portes pas leurs habits ?

- Je…

- Montre ton visage, dit-il en plissant les yeux.

- Inutile, je pars en ermite, j’ai changé de tenue pour cette raison.

Cet argument ne semble pas convaincre celui qui se trouve vraisemblablement être le chef de la bande. Et il est malheureusement loin d’être idiot.

- Ecoutez, je ne voulais vous causer d’ennuis, je vais quitter votre…

- Montre ton visage, insiste l’homme en s’avançant dangereusement.

Entouré par le groupe de chasseurs, Takeshi laisse le chef abaisser sa capuche et se prépare à poser la main sur son katana.

- C’est personne, ce type, Kyô. Allons-nous en.

- En plus, il a rien sur lui. Même pas d’argent, rajoute un autre.

Malgré tout, le chef, suspicieux, continue à dévisager Takeshi avec méfiance. Ce dernier prend soin de garder les yeux rivés sur le sol, caché par les mèches de cheveux qui lui tombent sur le visage. S’il croisait son regard, son œil le trahirait et il sera reconnu. Et les ennuis s’enchaîneraient sûrement.

Kyô dévie son regard vers la hanche de Takeshi et pousse sa cape d’un revers de main pour dévoiler son katana. Son expression change immédiatement et ses mains se posent sur sa propre arme.

- Un katana aux couleurs violettes !

- C’est un guerrier Hatano ?!

- Je ne suis pas un guerrier…

- Alors, qui es-tu ! Ne mens pas ! s’énerve le chef.

Face à son silence délibéré, Kyô saisi fermement le menton de Takeshi pour plonger de force dans son regard de jade.

Lorsqu’il découvre l’éclat doré scintillant dans son œil droit, il reste bouche bée, les yeux écarquillés.

- Tu es… le prince Hatano…

La bande s’approche pour dévisager le jeune homme qui tente de garder son calme, malgré tous les regards braqués sur lui.

- T’es sûr ?!

- Evidemment, abruti ! Regarde son sabre ! Et l’éclat doré dans son œil ! C’est le second fils Hatano !

- Alors… qu’est-ce qu’on en fait ?

L’index au menton, le chef vise le katana pendant que Takeshi recule lentement.

- Prenez son sabre et emparez-vous de lui. Y’a un paquet de gens qui paieront cher pour qu’on leur livre l’héritier Hatano. A commencer par Ken Musashi…

A l’évocation de ce nom, le sang de Takeshi ne fait qu’un tour. Alors que le gros tente de s’emparer de lui, il le bouscule et se faufile habilement entre les chasseurs pour s’enfuir dans la forêt.

- Rattrapez-le !!

Le cœur battant à tout rompre, le jeune prince court sans jamais s’arrêter. Mieux vaut mourir que de finir entre les mains du chef de clan Musashi. Au bout d’un long moment, il finit par semer ses poursuivants et s’accorde donc une pause pour souffler derrière un arbre. Où se trouve-t-il maintenant ? Il a couru si longtemps. Est-il encore seulement dans la zone neutre ? Si même les chasseurs Hatano veulent sa peau, qui ne la voudra pas ?

« Par-là ! Il est là-bas ! »

- Bordel ! Pires que des chiens…

Ces hommes sont réputés pour être les meilleurs chasseurs de la région et après cette longue course poursuite, Takeshi peut aisément confirmer leur réputation.

Alors qu’il reprend sa fuite entre les arbres, son regard se perd sur des lumières scintillant devant lui et il perd l’équilibre. Après une désagréable sensation de vide sous ses pieds, il chute lourdement au fond d’une crevasse et sa tête heurte brutalement le sol. Un bourdonnement sourd résonne dans son crâne, lui provoquant un long vertige. En ouvrant les yeux, il comprend qu’il vient de tomber dans une fosse cachée. Ces pièges, utilisés par les chasseurs pour piéger les gros prédateurs, avaient été pourtant interdits par son père, ayant blessé de nombreux habitants par le passé. Et voilà qu’il tombe dans un de ces foutus pièges. Sa vie n’aura vraiment été qu’un enchaînement de malchances et de mauvais sorts. Derrière son regard qui se voile, il distingue de vagues silhouettes s’agiter au-dessus de lui puis son esprit l’abandonne et il perd connaissance.

Peu importe qu’il se fasse prendre désormais. Sa vie était déjà un échec jusque-là et le monde semble réclamer sa mort depuis sa naissance. A quoi bon lutter quand la vie est bien décidée à vous éliminer…

***

Une lumière aveuglante force Takeshi a plisser les yeux. Lorsqu’il tourne la tête pour éviter les rayons du soleil et que sa nuque se tord, il émet un long gémissement de douleur.

« Reste tranquille… »

Surpris par la voix qui retentit soudain à côté de lui, il tente de se redresser trop vite et est pris d’un violent vertige.

« Pourquoi tu n’écoutes pas ? »

Le blessé jette un petit regard groggy sur celui qui lui parle. Il découvre un jeune homme aux longs cheveux noirs vêtu d’un large vêtement blanc, agenouillé à une table. Un livre à la main, celui-ci lui adresse à peine un regard en coin puis reprend paisiblement sa lecture.

Takeshi prend le temps de se redresser plus calmement tout en observant la pièce lumineuse où il se trouve.

- O-où suis-je ?

L’inconnu se décide enfin à bouger et vient l’ausculter en silence. Puis, il plonge ses beaux yeux gris dans les siens. L’étrange insistance de son hôte sur son œil droit met Takeshi mal à l’aise. Il est pris d’un sentiment de panique et recule fébrilement sans même savoir pourquoi.

Etonné, ce dernier arque un sourcil.

- Pourquoi as-tu peur maintenant ?

- Je…

Pourquoi ? Oui, pourquoi a-t-il peur ? Pourquoi le devrait-il ? Et pourquoi a-t-il eu cette forte appréhension lorsqu’il a scruté son œil ?

- Comment t’appelles-tu ? rajoute l’étranger.

- Je…

Takeshi tente faire le tri dans son esprit vaporeux mais un brouillard semble bloquer totalement la moindre de ses pensées. Il ouvre de grands yeux paniqués, à la recherche de son nom ou d’un quelconque souvenir. Mais rien n’apparaît. Absolument rien.

Devant son état de confusion et de stress, l’autre garçon comprend vite la situation et son visage s’adoucit peu à peu.

- Tu as perdu la mémoire. Elle reviendra avec le temps. Ne te tortures pas davantage.

- Mais… je ne me souviens de rien, articule Takeshi, bouleversé. Que m’est-il arrivé ? Où suis-je ?

- Du calme.

« Que je me calme ?! Mais qu’est-ce qu’il… »

- Je m’appelle Kaito Kimura, fils héritier du chef de clan Kazuhiro Kimura. Tu te trouves dans notre maison, dans la Cité des Lumières.

Les mots résonnent d’une manière presque habituelle dans sa mémoire et pourtant, il est incapable de juger de cette information.

- Et… c’est une bonne chose pour moi ? demande Takeshi, toujours pas rassuré.

- Si tu considères que tu te trouves dans la maison de ton sauveur alors je suppose que oui.

L’amnésié fronce les sourcils, contrarié, mais se sachant en sécurité, il finit par se détendre malgré tout.

- Que m’est-il arrivé ? Raconte-moi s’il te plaît.

- Viens manger et je te raconterai, dit-il en retournant à sa place.

- Tu me fais déjà du chantage ? remarque Takeshi en croisant les bras, bougon.

Kaito ne prend pas la peine de répondre et reprend sa lecture sereinement tout en pointant du doigt un bol de soupe chaude. Résigné, Takeshi soupire et s’exécute.

Son repas finit, l’aîné pose son manuscrit et tient sa parole.

- Tu t’es cogné la tête en tombant dans un des pièges des chasseurs du crépuscule. Ils étaient à ta poursuite.

- P-pourquoi ? Je n’ai rien fait !

- Je croyais que tu ne te souvenais de rien.

- Certes, mais je sais que je suis quelqu’un de bien, lance-t-il avec une moue vexée.

Kaito lève les sourcils, à la fois surpris et amusé.

- Et puis, je n’ai pas une tête de sanglier pour être chassé ainsi !

- Hm, bien. Tu as fini ?

La moue vexée du jeune homme s’accentue.

- Je ne sais pas ce qu’ils te voulaient mais ils tenaient réellement à t’attraper.

- Alors, pourquoi je me retrouve dans ta maison ?

- Tu te trouvais proche de nos frontières et nous n’approuvons pas ces méthodes de capture. Et encore moins la chasse à l’homme. Cela va à l’encontre de la vision du clan Kimura.

Un air inquiet se dessine sur le visage de Takeshi. Il finit par jeter un regard triste par la fenêtre.

- Si je ne sais pas qui je suis ni ce que j’ai pu faire par le passé… que dois-je faire maintenant ?

Kaito le dévisage silencieusement de ses yeux froids avant de poser son manuscrit.

- Viens, je vais te présenter à mon père, dit-il en se levant. Je dois l’informer de ta présence.

Takeshi acquiesce et lui emboîte le pas.

Sur le chemin, il admire l’immense demeure lumineuse et les jardins verdoyants absolument splendides tout autour d’eux. Un grand patio chaleureux jonché de fleurs colorées trône au milieu de la partie famille. En rejoignant le côté de la maison propre au chef de clan, la décoration se fait plus austère et imposante, composée d’une grande collection d’armes et d’objets d’arts en tout genre et de grandes bibliothèques en bois massifs.

Arrivés devant le chef de clan Kimura, ils s’inclinent tous les deux puis, Kaito prend la parole pour expliquer la situation à son père.

- Cette histoire d’amnésie ne m’inspire pas confiance, marmonne Kazuhiro Kimura, suspicieux.

- Allons, chéri, nous n’allons pas abandonner ce jeune sans défense à son propre sort… ce serait contraire à l’éthique de notre clan, lui susurre son épouse avec un doux sourire.

Ce dernier regarde sa femme et lâche un profond soupir avant de se lever.

- Hmm… après tout, les Kimura sont le clan de la paix et de l’harmonie, dit-il en se dirigeant vers les deux garçons avec un air bienveillant. Tu pourras rester ici le temps de te rétablir. Ensuite…

Kazuhiro s’arrête net et son sourire s’efface instantanément lorsqu’il s’attarde sur les yeux de l’héritier Hatano. Il reste muet, un malaise grandissant en lui.

- Père ?

Ce dernier pose ses yeux sur son fils avant de les poser de nouveau sur son invité.

- Emmène-le et surveille-le, dit-il soudain sur un ton froid.

- Que se passe-t-il, père ?

Takeshi baisse la tête et fait un pas vers le chef en se courbant avec une mine contrite.

- Kimura-sama, je vous prie de m’excuser. Je ne resterai pas dans votre maison ni même dans votre ville si ma présence vous cause un ennui quelconque… je ne suis personne.

Le patriarche, surpris par cette intervention, examine de nouveau le visage perdu et désolé du jeune homme. Après une longue réflexion, son expression se fait moins dure et il regarde son fils en hochant la tête en signe d’approbation. Les deux s’inclinent de nouveau avant de quitter les lieux, sous le regard du couple Kimura.

- Yûna, sais-tu qui est ce garçon ?

- Non, dit-elle en s’approchant, tu le connais ?

Kazuhiro relève le menton et une expression venue des profondeurs d’un passé lointain traverse son visage.

~

Vingt ans auparavant.

- Takeshi !! Takeshi cesse d’embêter Kazu !!

- Ah, laisse les voyons, Tsubasa, ils s’amusent simplement.

- Cet enfant va me rendre fou. Heureusement que Tetsuya est plus calme.

- Il fera un excellent héritier, le jour venu.

Tsubasa Hatano affiche un sourire fier.

- Pas trop vite quand même, rigole-t-il. Ne sois pas si pressé de m’enterrer, vieille branche.

- De toute manière, tu partiras avant moi. Je suis bien plus solide que toi.

- Je partirai en avance car j’ai toujours été en avance sur toi pour tout, se moque Hatano en riant.

- Le premier pour commencer le premier verre d’alcool ou voler le premier cheval à tes parents oui, répond l’autre en lui donnant un coup de coude.

- En somme, le premier en tout.

Les deux amis se regardent avec un air supérieur puis éclatent de rire.

« Père ! Père ! »

- Qu’est-ce qu’il y a Kaito ?

- Pouvons-nous aller jouer au bord du lac avec Takeshi et Kazu?

- Attendons que vos mères reviennent pour y aller ensemble avec vos frères, tu es d’accord ?

- Oui ! Merci, père !

Les deux hommes regardent fièrement leurs enfants jouer ensemble sous les pétales de fleurs de cerisier, flottant dans les airs.

- Kaito fera un héritier parfait, lui aussi. Je n’en doute pas.

Kimura acquiesce en souriant puis les deux amis lèvent leurs verres pour trinquer.

- Trinquons à nos deux familles qui forment le seul et unique grand clan Hatano Kimura, pour des générations et des générations !

- A cet avenir radieux et à ce monde que nous allons changer grâce à notre merveilleuse amitié, rajoute fièrement Kimura. A nous !

- A toi, mon frère, souffle Hatano en posant son bras sur ses épaules. Rien ne pourra réussir à nous séparer.

~

L’épouse Kimura vient agripper le coude de son mari qui revient à la réalité et pose un regard

transcendé sur elle.

- Je te trouves très étrange, chéri. Dis-moi donc, qui est ce jeune homme ?

- Cet enfant… c’est Takeshi. Takeshi Hatano.

Elle porte une main à ses lèvres, bouche bée. Après un long silence, elle se tourne vers son époux avec un air inquiet.

- Et… que vas-tu faire ?

- … Rien.

- Rien ? Que veux-tu dire ?

- Je ne vais rien faire. J’en laisse la responsabilité à Kaito. Après tout, c’est lui qui l’a ramené ici.

- Kazuhiro… tu ne vas vraiment rien lui dire ?

- Le passé ne doit plus ressortir.

- Qui te parles du passé ?

- Cet enfant appartient au passé qu’on a tous enterré.

- Que vous avez enterré, toi et Tsubasa.

- Ne recommences pas, je t’en prie, soupire le mari.

Celle-ci se détourne de lui en croisant les bras, contrariée.

- Yûna, ces histoires appartiennent à une vie antérieure. Et nous avons fait ce qu’il fallait pour que cela reste ainsi, tu le sais. Sa présence ici est dangereuse. Il est dangereux.

- Dangereux ? Tu le trouves dangereux ? dit-elle sèchement. Cet enfant est mon neveu ! Je tolère ce que vous avez fait avec mon frère mais je ne peux pas te laisser dire une telle chose !

Il lève les yeux au ciel et soupire avant de croiser les bras à son tour en grommelant.

- Tu t’obstines encore à garder ces liens encore aujourd’hui !

- Ils sont ma famille tout autant que toi et nos trois enfants.

- Mais il n’est pas ton frère de sang !

- Ce n’était pas le tien non plus et pourtant, vous vous disiez frères aux yeux du monde.

Ces mots ne plaisent pas au patriarche qui détourne le regard avec une moue bougonne.

- J’ai été élevée dans la famille Hatano. Et je resterai une Hatano tout autant qu’une Kimura, pour toute ma vie. Ne me demandes pas de nouveau de choisir.

- Yûna…

Elle se plante devant lui en lui jetant un regard douloureux.

- Si tu veux que le passé reste enterré, ne creuse pas toi-même là où il ne faut pas, lance-t-elle avant de s’éloigner.

Le patriarche soupire puis fixe les deux garçons, discutant dans les jardins comme deux inconnus. Son cœur se serre et il fronce les sourcils.

« Maudit soit cette prophétie. Maudit sois-tu Tsubasa Hatano… »

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