Les noces du voyage

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[histoire contant les noces d'Oyk la Tornade, tiré d'Uuroca, l'esprit maudit]


— Je t'aime.

Ça y est, les mots tant bouillonnés dans son ventre s'extirpaient de sa bouche. De lourdeur ils prirent leur envol avec légèreté pour dessiner un sourire éclatant sur les lèvres d'Ausni. Son regard d'automne se plissa de joie et elle passa ses bras autour de son cou. Ses lèvres frôlant celles d'Oyk, elle susurra :

— En échange de ces mots, Oyk, je veux, pour toi, t'offrir plus que de simples amours de passage. Marions-nous.

Débordé d'émotion, il ne put que grimacer un rictus. Ses yeux noirs brillèrent et répondirent à sa place.

— Sais-tu ce que cela implique pour mon peuple ?

— Pour moi, cela signifie vivre ensemble aussi longtemps que la vie nous le permet. Être exclusif l'un à l'autre et se soutenir. J'ignorais même que ton peuple m'accepterait.

Ausni lâcha un rire hoquetant. Sa façon de s'esclaffer surprenait au début tant elle tranchait avec la régularité de ses traits, mais Oyk en était venu à l'adorer.

— Toi, Oyk la Tornade, héros des Miljiens, membre de l'équipe qui vainquit l'esprit maudit et pneumanthe lié au vent (cf Uuroca, l'esprit maudit), tu crois que mon peuple pourrait ne pas vouloir de toi  ? Tu deviendras un des nôtres, tu abandonneras la sédentarisation et mettras tes talents au service du peuple nomade.

Oyk soupira.

— Je vis déjà comme un nomade. Maintenant que la vengeance ne me guide plus, je serais heureux de suivre les pas de ton peuple.

— Les mariages s'organisent vite, chez nous. Nous nous occupons de tout, trouve-toi seulement un homme de confiance.

— Peut-il être Miljien ?

— Qu'importe sa nationalité, car il devra être honnête aux Esprits des Vents !


Les préparatifs du mariage se déroulèrent avec une célérité qui témoignait de l'expérience des nomades. Oyk n'eut son mot à dire que sur le choix des vêtements, qu'il relégua à son homme de confiance. Proche de la capitale, Joys Psyché avait accepté avec béatitude le rôle qu'on lui confiait. Compagnon d'Oyk lors des derniers événements, son choix fut apprécié par Ausni et les siens.

Le jour de fête arriva, trop tôt pour qu'aucun autre de leurs amis ne puissent y assister. Les deux Miljiens soupçonnèrent les nomades de l'avoir mis en place aussi rapidement pour s'assurer qu'Oyk ne change pas d'avis.

— J'entre dans la trentaine, j'ai rencontré bien assez de femmes pour savoir avec laquelle je veux passer le reste de ma vie, râla-t-il pour la forme.

— Plus d'unes maudiront celle que tu choisis aujourd'hui, le taquina Joys. Je suis content qu'au moins un de nous deux trouve son bonheur.

Oyk lui serra l'épaule et enfila un gilet orné de motifs d'oies sauvages. Il avait fière allure avec sa haute taille, ses longs cheveux noirs et sa peau brunie par sa vie de plein air.

L'après-midi touchait à son terme et les premiers instruments de musiques appelaient à la danse. Joys chantonnait en rythme en ajustant sa plus belle cotte.

À l'approche du crépuscule, ils s'approchèrent d'un cercle marqué par des pieux. Ses derniers étaient gravés de symboles et de formes anciennes qui appelaient les Esprits des Vents, grands protecteurs des nomades.

Un couple de doyens de la famille d'Ausni attendait à une extrémité. Oyk et Joys s'y placèrent. Le cœur du premier s'emballait, il se sentait encore plus nerveux qu'avant un tournoi. Ausni apparut au côté de sa femme d'honneur. Elle rayonnait sous son amoncellement de foulards qui soulignaient sa taille et flottaient dans son dos.

Il se sentit rassuré de voir à son sourire qu'elle partageait le même trac. Oyk se souvint de leur première rencontre. Elle dansait dans un faubourg, attirant le regard des spectateurs pour qu'ils laissent une pièce dans son escarcelle. En le voyant, elle le reconnut comme le Champion et lui réclama un baiser en guise de rémunération. D'autres hommes en avaient exigé autant, elle les avait remis à leur place avec un aplomb qui plaisait au guerrier.

Ils se tenaient, côte à côte, face aux doyens. Ceux-ci en appelèrent aux Esprits, rappelèrent leurs devoirs envers l'un et l'autre et envers le peuple. Ils enjoignirent l'homme et la femme d'honneur à retenir les engagements des conjoints. Enfin, ils donnèrent au nouveau couple une graine qu'il dut planter comme on attendant d'eux qu'il apporte une nouvelle vie aux nomades.

De grandes acclamations retentit lorsque la terre recouvrit la semence.

— Nous prenons ce que la nature nous offre, il est normal que nous lui en rendions par moment, expliqua Ausni en versant quelques gouttes d'eau.

Le peuple nomade vivait morcelé en plusieurs grandes familles et se regroupait aux événements. D'ordinaire les mariages attiraient les foules, celui-ci s'était organisé un peu trop vite pour que tous puissent y assister. Pourtant, quand Oyk revint vers la foule, il réalisa à quel point ce peuple était nombreux.

— Affûte ton estomac, commenta Ausni avec son hoquet joyeux. On va tellement nous nourrir et nous abreuver que nous serons bien en peine de consommer nos noces !

— Nous avons donc bien fait de prendre de l'avance, commenta Oyk avant qu'ils soient envahis de visages souriants et de bras à étreindre.

Tel qu'annoncé par Ausni, Oyk se retrouva bien vite rassasié. Heureusement, les nombreuses danses à droite et à gauche l'aidaient à dépenser tout ce qu'il absorbait. Les jeunes dames voulaient toutes une danse, plus d'une soumirent à la tentation son engagement juste contractualisé. Les aînées purent constater que pour le jeune époux, il n'était de femme plus désirable que sa jeune épouse et elles l'aidèrent à retrouver ses bras pour quelques danses.

La soirée avançant, Oyk tenta de retrouver la trace de Joys. En vain, le discret pneumanthe savait se mêler aux festivités à sa manière et le marié espéra que son soulageait sa solitude avec quelques amourettes d'une nuit.

En attendant, Oyk fut mandé de démontrer ses pouvoirs. Habitué à faire un peu office de bête de foire, il fit bonne figure et déclencha une mini tornade dans sa paume. On lui en demanda d'autres, pouvait-il faire tourbillonner cette feuille ? Et ce foulard ? Le marié ne savait plus comment rejeter les demandes sans les vexer. Heureusement, sa belle vint à sa rescousse  :

— Ce n'est pas les vents qu'il doit faire valser ce soir, aller, oust !

Tout en Oyk souriait, à Ausni, à sa famille, aux étoiles qui les bénissaient, à son peuple de nomade.

Pour la première fois depuis la mort de ses parents, il se sentait appartenir à une communauté. Sa nouvelle vie pouvait se construire en adéquation avec son passé : continuer les voyages, en famille cette fois et juste pour le plaisir d'aller et venir. De se laisser porter par le vent.


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