Chapitre 21 - une situation intenable

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Lorsqu’on avait demandé à Fye ce qui le rassurerait assez pour garder son alpha dans sa chambre, il était resté pétrifié. Il n’en avait pas la moindre idée et cela allait lui demander de véritables efforts d’imaginations pour trouver une solution acceptable. Lorsque la réponse était finalement arrivée, une partie de Saarf eut énormément de peine pour eux deux car ces choix, abusifs, montraient toute l’angoisse que pouvait ressentir le petit oméga. Fye était terrifié. Obtenir une dérogation ne se faisait que très rarement, il s’agissait de se soustraire aux rares règles de la société après tout. Très peu en faisait la demande.

Il avait fallu un peu de temps pour tout installer comme il l’avait demandé, mais à présent que c’était fait, Saarf se sentait vraiment coupable. Coupable de ne pas avoir compris Merwan. Coupable d’avoir voulu sortir Perte de cet endroit. Coupable d’avoir mêlé Fye à tout cela. Coupable de les avoir mis dans cette situation. Ce fut donc avec une voix particulièrement nouée qu’il expliqua à l’alpha :

- Les liens rassurent Fye.

Une partie de la chambre avait été condamnée par d’épais barreaux de fers. C’était une véritable cellule, de petite taille, qui avait été aménagée. Si Perte accepta de le suivre sans faire d’histoire, il bloqua un peu plus ensuite en voyant ce qui l’attendait et assura d’une voix si faible que ce n’était qu’un murmure :

- Ce n’est pas nécessaire.
- Ça l’est pour votre oméga.

Perte resta silencieux et immobile un instant avant d’oser plaider sa cause, sans pour autant changer de ton, chuchotant l’évidence :

- Je ne pourrais pas dormir.

Saarf baissa les yeux, pleinement conscient que l’alpha avait raison. Dormir dans une minuscule cage, recroquevillé sur lui-même, tout en étant maintenu dans une position pénible par des chaînes, ce serait très difficile.

- Fye a choisi le matelas le plus épais qu’il a pu trouver. Un oreiller et une couverture hypoallergéniques, des draps aussi doux que possible. Mais oui, vous allez avoir énormément de mal à dormir mais si vous obéissez, à force, il aura moins peur. Vous gagnerez des privilèges et je lui parlerais. S’il-vous-plait, rentrez dans la cage.

Perte observa autour de lui un peu perdu. Une cage ridiculement petite, enfermé dans une cellule déjà pas assez grande. Pourquoi ces gens l’avait-il emmené ? Il était bien mieux chez Atkins ! Pourquoi lui avait-on encore volé sa vie ? Si elle était imparfaite et violente à bien des égards, elle était également agréable, joyeuse, … et à présent, enviable.

Malgré tout, il se plia dans la cage, rampant pour y mettre la totalité de son corps trop grand malgré les chaines qui venaient limiter sa mobilité. Ses articulations étaient douloureuses et il était épuisé, mais lorsque Saarf tira sur la chaine qui bloquait ses poignets pour l’attacher à l’extérieur de la cage, s’assurant ainsi qu’il ne pourrait même plus se tourner, il comprit qu’il n’y avait aucune négociation possible. L’oméga fit de même pour sa laisse, le laissant douloureusement comprimé.

- Je reviens demain, dès que possible.

Que répondre à ça ? Il ne se sentit pas capable de sourire et de lui souhaiter une bonne nuit. Il ne pensa pas que le supplier aurait la moindre chance de modifier quoique ce soit. Alors il resta silencieux, comme souvent, et Saarf s’éloigna. Il fallut attendre un certain temps avant que Fye n’ose entrer à son tour. Il jeta un coup d’œil à l’immense silhouette si bien enfermée et il se sentit un peu plus serein. Là, l’alpha ne risquait pas de lui faire du mal !

Il avait fait installer un rideau pour que depuis son lit, il ne soit pas forcé de le voir. Ça lui avait semblé plus facile ainsi, sur le papier, mais à présent, il se retrouvait à surveiller une ombre à peine visible, de peur que Perte ne s’échappe malgré tout. Ce n’était pas évident, mais Fye venait de s’enfoncer sous sa couverture lorsque la voix grave de l’alpha s’éleva doucement, le faisant sursauter, le cœur battant la chamade.

- Pardon… pour aujourd’hui.

Ce n’était presque rien, juste trois mots, mais ils rappelèrent à Fye qu’il ne pouvait pas juste faire comme si cet alpha violent n’était pas dans la même pièce que lui. Il ne pouvait pas fermer les yeux ou détourner le regard. Perte était là et il ne s’en irait pas s’il l’ignorait assez longtemps. Sans qu’il n’y puisse rien, les souvenirs affluèrent à sa conscience, lui arrachant des larmes et des hoquets de terreur.

C’était il y a déjà trois ans. Un alpha venait d’être proposé à l’un des étudiants qui avait fini par l’accepter sans vraiment le vouloir. L’alpha le plus classique qui soit, pensait-il aujourd’hui. Grand, plus d’une tête de plus que lui. Fort comme un bœuf. Avec une carrure d’armoire à glace. Fye se rappelait de ses cheveux bruns taillés courts et de ses yeux presque noirs. Ce n’était pas un mannequin, il était bien trop rustre pour ça, comme la grande majorité des alphas. Il y avait quelques choses dans sa mâchoire, qui lui donnait toujours l’air goguenard.

Un soir, à l’insu de son oméga, il était sorti de sa chambre. Peut-être pour s’enfuir ? Peut-être pour s’amuser. Peut-être pour faire l’une de ces choses bizarres qui animent parfois les alphas comme détruire un objet ou du mobilier. Il était passé devant la bibliothèque où se tenait encore un étudiant buchant sur un projet quelconque. Fye s’en souvenait comme si c’était hier. Il revoyait encore l’exercice et il aurait pu le réciter mot pour mot.

L’instant d’après, l’alpha était sur lui, il s’était penché au-dessus de son épaule tout en lui saisissant le poignet, s’assurant ainsi qu’il ne puisse pas partir. Et lentement, doucement, il lui avait chuchoté quelques mots à l’oreille.

- Tiens, tiens, une petite souris…

Il avait sursauté et s’était retourné sous l’étreinte, plus ébahi que vraiment terrorisé. Il lui avait souri doucement tout en lui demandant s’il s’était perdu. Cela arrivait parfois à l’époque que des alphas fraichement arrivés déambulent dans les couloirs à la recherche des toilettes… voir à la recherche de leur oméga qui s’était éclipsé un peu trop longtemps. Fye avait l’habitude, même si c’était rare, ce serait tout de même le troisième de l’année.

- Oh non, je suis juste là où je le veux. Est-ce que tu te rends compte ?
- De quoi ? avait-il demandé naïvement.
- Il suffit que je te morde, juste là…

Il avait passé ses doigts, ces affreux doigts énormes, sur son cou, le long de son artère.

- Il suffit d’une seule et unique morsure et tu serais à moi. J’aurais une petite souris.
- Vous n’avez pas le droit de faire ça. A qui avez-vous été confié ? Vous devriez aller le retrouver.
- Oui.. le droit… le droit… mais c’est tellement artificiel tout ça. Alors qu’une morsure, une seule et unique morsure… voilà qui est naturel.

Ce ne fut qu’à ce moment-là, que Fye avait compris que cet alpha était complètement fou, détraqué, … et il s’était inquiété pour l’oméga à qui il avait été confié. Il avait tiré sur sa main pour la dégager, pour s’éloigner de lui tout en cherchant à se faire plus ferme que jamais.

- Lâchez-moi s’il-vous-plait… Ce n’est pas nécessaire. Voyons, je suis trop jeune, je ne suis pas en âge de prendre un alpha.
- Encore des règles arbitraires.

Il s’était penché contre lui, l’ensevelissant sous sa masse et dans un geste de défense désespéré, sentant les lèvres chaudes contre son cou, Fye s’était laissé tomber sur le côté. Il avait plaqué sa main contre son cou pour empêcher une morsure et à présent, il se débattait activement contre la poigne trop dure.

Malheureusement, il était trop faible et l’autre trop fort. L’alpha l’avait secoué comme un prunier en tenant ses bras, arrachant sa main à son cou pour pouvoir le mordre. Ce petit était parfait. Minuscule. Faiblard. Sans doute incapable de vice. Une fois mordu, il pourrait surement en faire ce qu’il voulait. C’était une aubaine, une chance terrible qu’il ne voulait pas manquer. Le gamin cria :

- Arrêtez !

Mais il s’abattit sur lui, lui brisant la clavicule sans même y prendre garde et lorsque ses dents effleurèrent son cou, l’oméga hurla. Fye frotta sa gorge tout en essayant de chasser les bribes de souvenirs bien trop vivace. C’était il y a longtemps déjà. L’alpha n’avait jamais réussi à le mordre, la crise de rut l’avait atteint la première, le laissant dans un état d’excitation rare, incapable de contrôler ses propres muscles, fusillés par l’envie. Ils étaient si proches que Fye était resté à moitié coincé sous lui, alors qu’il se frottait et éjaculait à tour de rôle. Lorsqu’on était enfin venu le chercher, alerté par l’odeur terrifiante, il avait déclenché deux crises de plus, laissant l’alpha aux portes de la mort.

Il avait été sauvé. Ils avaient tous les deux étaient sauvés. Lui, il était resté là, incapable de croiser le moindre alpha. Et l’alpha, lui, avait été emmené dans une zone commune spécialisée. Tout était bien qui finissait bien… ou presque.

Lentement il baissa les paupières, cherchant à chasser les dernières bribes de souvenirs avant de conclure d’une voix qu’il trouva aussi petite que ridicule :

- Je… je ne peux pas.

A quelques pièces de là, dans une autre chambre, deux autres personnes tentaient de s’apprivoiser peu à peu. Merwan observait l’arrière du tee-shirt de Leyn avec cette même impression d’impuissance. S’il posait ses doigts sur le garçon, s’il caressait son dos, alors peut-être qu’une chaleur toute similaire naîtrait dans son ventre ? Ou peut-être plus ? Lui toucher le visage, le cou, c’était une chose mais au plus il descendrait au plus il prendrait des risques.

Tout en déglutissant douloureusement, l’alpha prit sur lui pour poser ses doigts, épais et forts, sur le dos délicat. Le tissu était tiède et lentement, alors qu’il faisait des gestes pour le moins aléatoires, la tête de Leyn se baissa en soupirant sous la détente.

Des omégas s’étaient frottés, excités, sur son corps. Des omégas s’étaient liquéfiés de terreur. Des omégas s’étaient tendus d’angoisse. C’était la première fois qu’il sentait avec autant de netteté le calme envahir quelqu’un à son contact et ce fut cette impression qui le rassura rendant ses gestes plus précis. A travers le vêtement, il sentait les courbes douces du corps de Leyn. Il ne savait pas masser mais il le caressa en faisant tourner ses pouces comme son compagnon l’avait fait plus tôt.

Au bout d’un très long moment, il dut admettre qu’il n’aimait pas du tout sentir la texture du tissu sous ses doigts. Il avait l’impression d’en percevoir la moindre fibre. L’idée d’avoir envie de continuer sur la peau nue le prit par surprise et le fit reculer. Il avait envie de toucher Leyn. Pourquoi ?

- Tu veux qu’on réinverse ?

Merwan accepta, sachant pertinemment qu’ils n’étaient pas allés assez loin et lorsque son oméga lui proposa qu’ils retirent le haut, il souleva les pans de son vêtement, la mort dans l’âme. Les doigts fins se posèrent sur la peau de ses épaules, ils étaient un peu froids et Merwan se tendit tout à fait.

- Je t’ai fait mal ?
- Non…
- D’accord…

Tout en le massant, Leyn commença à lui parler du prochain cours qu’il aimerait préparer et de toute la voie qu’il allait devoir explorer. Ce n’était qu’une tentative de le distraire et si Merwan s’en rendit compte, il se laissa faire. Se perdant dans son récit, il laissa ses muscles se détendre et fut surpris de sentir soudain les doigts glisser le long de ses reins, le massant tendrement. Le contact était doux, tendre, appréciable… Un frisson se répandit tout le long du corps de Merwan et les doigts s’immobilisèrent sur sa peau.

- Je voudrais sortir.

Ce n’était qu’une supplique, il était sûr que Leyn lui répondrait que ce n’était pas possible et qu’ils avaient mieux à faire. Il était sûr qu’on ne l’écouterait pas. Il était sûr de tant de choses… mais Leyn aimait briser ses certitudes et il le fit encore en répondant simplement :

- D’accord, on y va alors.

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